LE RETRAIT de la Byblos Bank de la République démocratique du Congo, après le scandale de la BIAC et l’absorption de la Fibank par Afriland First Bank, en 2017, a fini par plonger le secteur bancaire dans une situation d’incertitude. Troisième banque sur le marché libanais avec un total bilan estimé à plus de 17 milliards de dollars, Byblos Bank a comme stratégie le déploiement international sur les « marchés exotiques, sous-bancarisés mais rentables ».
Cette stratégie de diversification géographique a permis à cette banque de réduire sa forte exposition au marché libanais confrontée aux soubresauts de la crise syrienne. C’est ainsi que l’Afrique est devenue un axe important de développement même si les activités africaines ne pèsent aujourd’hui que quelque 240 millions de dollars dans le total bilan de Byblos Bank, à travers une présence au Nigeria et au Soudan.
Byblos Bank est entrée en RDC via l’acquisition de Solidaire Banque Internationale (SBI Sarl) en 2010. En tout cas, la banque envisageait fermement de s’installer en Angola et au Ghana, ceci expliquant peut-être cela. En février 2018, Yves Cuypers, le président de l’Association congolaise des banques (ACB), a dit que « perdre un confrère, ça n’est pas une bonne chose parce que ce ne sont pas des pertes des marchés que nous gagnons. C’est le secteur qui souffre ».
Bref, le retrait de la Byblos Bank, le scandale de la BIAC et l’absorption de la Fibank par Afriland First Bank ont remis sur le tapis la problématique de la solidité financière et de l’impact de la mondialisation sur le système bancaire national. Le renforcement de la solidité financière des banques commerciales et l’impact de la mondialisation du système financier international sur le système bancaire congolais sont aujourd’hui une réalité d’évidence.
Sujet récent mais important
L’ACB apprécie énormément la compréhension de la Banque centrale, depuis 2017, particulièrement dans l’encadrement des banques dans la problématique de leur relation avec les organismes internationaux et son plaidoyer auprès du ministre de la Justice et Garde des sceaux en vue des mesures particulières de sécurisation et protection des établissements des crédits et de leurs dirigeants. Pour Yves Cuypers, les banques ne peuvent évidemment pas prendre des « positions claires » si elles ne sont pas protégées
La solidité financière des banques commerciales, un sujet très récent mais important dans l’histoire du secteur bancaire national, est sous-tendue par l’Instruction n°14 qui a déjà subi six modifications. Les experts de la Banque centrale se sont fondés sur la confidence d’un consultant, en synthétisant simplement et en mettant au goût de la RDC Bâle III.
Bâle du nom de la ville suisse où se réunit depuis 1988 un comité d’experts qui a mis en place un certain nombre de règles auxquelles les banques (de l’OCDE d’abord) doivent se plier pour renforcer leur solvabilité (en anglais, l’adéquation du capital avec les risques bancaires).
C’est clair, les banques doivent résister aux chocs exogènes et endogènes. Quand une banque a un portefeuille des crédits pauvre, c’est que ça va mal. Il faut y résister, c’est ça un choc endogène. Par contre, un problème est exogène, quand il y a un déficit de balance des paiements, etc. Pour le dire simplement, le secteur bancaire national a vécu jusqu’au 31 décembre 2017 sous le régime de Bâle I.
Cela signifie que les banques ont en termes d’adéquation du capital avec les risques bancaires respecté un ratio minimum de 7 %. Or, pour fonctionner avec des fonds propres sans les risques, le ratio doit être de 10 %.
Bâle III a ceci d’avantage qu’il a introduit beaucoup d’innovations qui font que le numérateur se rétrécit et le dénominateur s’agrandit, a fait remarquer le président de l’ACB. En d’autres termes, au lieu de 10/100 (10 %) avec les mêmes paramètres, on table sur 8/120 (6,5 % pour atteindre un minimum de 7,5 %). En fait, l’objectif est de renforcer la solidité financière des banques.
Il faut modifier la loi
Les banques sont favorables à l’évolution. Il n’y a pas que la question du relèvement du capital et des risques bancaires ainsi que du crédit qui les préoccupe. D’après l’ACB, il faut également régler la question de la fixité du capital. À ce propos justement, à partir de janvier 2019, le capital minimum des banques passera de 10 à 30 millions de dollars, et probablement à 30 millions puis 50 millions de dollars en 2020 ou 2021.
Pour renflouer leur capital à cette hauteur, les banques n’ont le choix que des deux techniques. Soit, elles font des bénéfices reportés mais en 2 ans seulement, ce qui veut dire qu’il faut reporter beaucoup de bénéfices ; soit elles injectent des fonds nouveaux. Si les fonds que les actionnaires détenteurs de capital dans les banques commerciales injectent perdent de la valeur, ils n’auront aucun intérêt à le faire.
Voilà pourquoi, soutient l’ACB, qu’il faut à tout prix « protéger les actionnaires des banques », car sans cette protection contre les risques de dépréciation monétaire, les banques courent le danger de se retrouver dans l’impasse. En effet, bien des banques ont perdu de l’argent en 2016 à cause de la dépréciation monétaire. Il faut donc trouver une solution, recommande l’ACB.
Qui propose deux pistes de solution. La première, c’est d’inclure la plus-value de réévaluation, totalement ou en partie, dans le calcul de Bâle des fonds propres. La seconde, c’est accepter que le capital soit en dollar ou en une autre monnaie étrangère (euro). Pour cela, il faut modifier la loi, pour qu’elle reflète justement la réalité du marché et de l’économie.
Vu sous l’angle de l’ACB, Bâle III ne règle pas seulement la question de l’adéquation du capital avec les risques bancaires, mais il laisse aussi une fenêtre (2è pilier), celle de faire soi-même son propre examen de conscience. Cette ouverture est également reprise (en partie) dans les Instructions n°14, 17 et 21 de la Banque centrale.
Le grand jeu de domino
Comme on le voit, l’enjeu de la mondialisation, c’est bien la crédibilité du système financier national sur le plan international. Quelle est sa place dans le « grand jeu de domino, de flux financiers qui vont dans tous les sens ? En juin 2017, l’ACB a envoyé une mission à Washington pour y rencontrer des responsables américains.
Convaincue qu’en ce XXIe siècle où le système financier est mondialisé, les banques commerciales sont contraintes, dans certaines situations bien précises, de se plier à certaines exigences et à certaines injonctions venant des autorités supranationales. C’est clair qu’avec la mondialisation et la révolution numérique, les banques locales perdent leur souveraineté financière. La compliance va certainement engager le futur du secteur financier national. De là à dire que les banques n’ont plus leur destin en mains ?
Pas évident. Yves Cuypers estime qu’il y a quatre conditions à remplir. D’abord, mettre en place notre propre système national des paiements en monnaies étrangères (dollar et euro). Cela permettra de « lever un certain nombre d’hypothèques et de problèmes rencontrés dans l’exercice quotidien des transferts ». La mise en place de ce système pour assurer les transferts locaux va certainement faciliter largement les opérations, d’une part, et la position des banques commerciales vis-à-vis de l’étranger, d’autre part. « Il n’y a plus d’obstacles à l’extérieur du pays à la mise en place d’un tel système ».
Ensuite, il faut remplir les critères d’exigences les plus élevées en matière de conformité et d’application des lois de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Il faut également que l’ACB mette en place et ait une politique de communication, formation et d’information. Enfin, être transparent dans la situation réelle des banques commerciales en RDC.