L’OPPOSITION est divisée et l’alternance démocratique entachée avant même de commencer. Martin Fayulu Madidi est aujourd’hui le Congolais le plus détesté dans les milieux politiques. Car c’est bien le fondateur du parti EUCIDE qui a fait basculer la campagne électorale dans le camp de l’opposition mais plonge cette dernière dans une de ces crises qui jalonnent son histoire.
Personne n’avait vu venir cet homme d’affaires, patron de Faden House. Éduqué, chrétien catholique et ouvert sur le monde pour l’avoir maintes fois parcouru, il fait pourtant figure de cadre supérieur d’entreprise type. Ce qui ne l’a pas empêché de faire parcours en politique contre le pouvoir qu’il juge « antidémocratique », avec le résultat que l’on sait : député provincial puis député national.
C’est en ralliant depuis la Conférence nationale souveraine (CNS) au début des années 1990 le courant pur et dur de l’opposition politique, ligne incarnée par Etienne Tshisekedi wa Mulumba, et en ayant un discours qui fait mouche dans les rangs de la jeunesse que Fayulu fait la différence. Et ce d’autant plus aisément que sa campagne a constitué un succès absolu à la surprise générale. Les jeunes ont retenu de lui l’image d’un opposant « farouche » qui ne recule devant aucun obstacle, qui n’est pas accessible à des compromissions, qui a le parler politique vrai…
Chef de file de l’opposition
Officiellement, si la Cour constitutionnelle entérine les résultats de l’élection présidentielle proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Martin Fayulu Madidi, arrivé en deuxième position, deviendra, de jure, et même de facto, le chef de file de l’opposition politique. À en juger par les résultats électoraux, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo a remporté le scrutin présidentiel, mais il n’est pas parvenu à prendre tous les bastions de l’opposition. Ses ambitions nationales pourraient être affectées par ce que décidera de faire Martin Fayulu. La quasi-totalité des déçus de l’élection présidentielle qui se recrutent dans la classe politique, le patronat, les syndicats, la société civile, la jeunesse… peuvent repartir à l’attaque si Fayulu arrive à les galvaniser. Pour peu que ces différents acteurs y mettent un peu plus de conviction, le pari est difficile mais peut-être jouable dans un pays où l’opinion est d’humeur maussade en raison du ralentissement économique et où la défiance des électeurs à l’égard des élites est criante.
Transformer le succès en triomphe
Et si ce scénario se soldait par un échec, il ruinerait plus sûrement la carrière politique de Martin Fayulu et condamnerait l’avenir de l’opposition en République démocratique du Congo. Comme le souligne un observateur, nous n’en sommes qu’au « plan B » de Fayulu ; il reste donc 24 lettres dans l’alphabet.
On connaît le score. Il est ambigu : 38 % pour Tshisekedi, contre 34 % pour Fayulu. Certes, l’opposition a gagné. Mais seule une coalition entre le CAP(UDPS-UNC) et LAMUKA (Réveil/MLC-G7) peut transformer le succès de l’opposition en triomphe électoral. Dans une ambiance de fin électorale en fanfare, au propre comme au figuré, au milieu du brouhaha ponctué de bruits de trompettes, de sifflets, de casseroles, le président élu a tenté de mettre en garde sa « base » et de la convaincre qu’il appartient désormais à tous les Congolais, c’est-à-dire ceux qui l’ont élu tout comme ceux qui ne l’ont pas élu.Il sait pertinemment bien qu’il a besoin d’un quitus clair pour son action à la tête du pays et une majorité nette issue de l’opposition pour aborder les cinq prochaines années. Il ressasse à chacune de ses sorties ses intentions de réconciliation nationale et d’ouverture politique à tous.
Toutefois, on ne peut pas imaginer ou envisager le jeu politique sans opposition réelle. On ne peut pas imaginer un président qui gouverne avec une majorité qui n’est pas de son bord politique. La fête risque alors d’être assombrie. Martin Fayulu n’a pas l’intention de lâcher l’affaire, convaincu qu’on lui a volé sa « victoire ». Du point de vue politique, il a gagné même si en nombre de voix il arrive deuxième. Lui que ses détracteurs disaient, avant la campagne électorale, qu’il n’a pas de « base » ou d’« assise politique véritable » sur le plan national.
Mais au regard du score électoral, il a acquis une épaisseur politique et une assise nationale enviables. Avenue de l’Enseignement dans la commune de Kasa-Vubu, où se trouve le siège de son parti EUCIDE, transformée en l’avenue des partis politiques, certains de ses partisans se frottent les mains. « Avec ce succès, il devient incontournable. Désormais, il faut faire et compter avec lui », expliquent-ils.
Un observateur estime que dans l’entourage de Tshisekedi, on a tout faux en dénigrant et critiquant Martin Fayulu que les « ultras » et les « extrémistes » de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) dépeignent comme un « moins que rien en politique », un « sans base », un « candidat du camp de la haine »… Bref, un argument que les détracteurs de ce parti condamnent : « Tshisekedi a intérêt de faire alliance avec Fayulu et ceux qui sont derrière lui. »
D’après lui, politiquement, Tshisekedi a encore une flèche dans son escarcelle : « Dissoudre l’Assemblée nationale pour se construire une majorité de souche (issue de l’opposition) pour gouverner avec sérénité. C’est donc le bon moment pour lui de faire alliance avec Fayulu, puisqu’il en a besoin. Un tel geste sera un signal politique fort. »
Cheval de Troie
Or, on observe que Tshisekedi s’affichent beaucoup en partisan du camp favorable aux alliances avec le Front commun des Congolais (FCC), au premier rang duquel figure Joseph Kabila Kabange, le président sortant. « Sacrifier un pan entier de l’opposition, ce serait un suicide politique car on ne sait pas ce que les vaincus d’hier ruminent après leur défaite cuisante. »
Le FCC vient d’être sévèrement battu. Il faudrait être aveugle pour le nier. Selon un scénario désormais bien rodé, les Congolais ont profité de l’occasion qui leur a été offerte pour infliger une bonne fessée aux Kabilistes. La question qu’il faut alors se poser est de savoir finalement qui a gagné et qui a perdu vraiment ces élections que tout le monde voulait comme élections-sanctions. La réponse est relativement claire. Une alliance CAP-FCC, ce serait la déception du « peuple » qui est le principal moteur de victoires ou de défaites en politique.
« À vouloir être le président de tous les Congolais, Tshisekedi ne doit pas oublier d’être d’abord celui de ceux qui l’ont élu, c’est-à-dire l’opposition ou plutôt les oppositions. Sinon la politique d’ouverture à l’égard de l’autre camp sera un échec. Il doit d’abord donner corps aux formidables espérances de la population dont l’opposition a été porteuse », explique le même observateur.