APRÈS deux jours d’agitation, les Congolais travaillant chez les commerçants libanais, indopakistanais, Chinois et autres ont envahi la rue mercredi 13 mars, décidés à être reçus par Lambert Matuku Memas, le ministre d’État, ministre de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance sociale, afin de lui présenter leurs doléances. Une délégation de six personnes seulement a été reçue au ministère. La veille, les manifestants avaient bruyamment battu le pavé au point que le général Sylvanus Kasongo, commandant en chef de la police pour la ville de Kinshasa, était descendu lui-même dans l’arène, dit-il, sur instruction express de Félix Antoine Tshisekedi, le président de la République. Il a lui-même conduit une délégation à l’Hôtel de ville, apparemment sans succès.
À la manière de la mobilisation de Gilets jaunes en France, les manifestants réclament que soit appliqué le nouveau barème de paie dans le secteur du commerce. Le nouveau smig décidé en 2018 devait entrer en application en janvier dernier. Concrètement, les salaires de ces employés des commerçants chinois, libanais et indopakistanais sont fort minables : de 30 à 50 dollars. Ils dénoncent aussi certaines pratiques de sous-traitance, pourtant interdites dans la législation congolaise depuis 2018, continuent à être imposées aux employés locaux. Enfin, ils demandent le respect strict des heures de travail.
Réticence et frilosité
On apprend que la mobilisation qui ne faiblit pas à Kinshasa devrait toucher tout le pays, selon des syndicalistes du secteur. Le mouvement de grève prévu de longue date vise l’application du nouveau salaire minimum interprofessionnel (Smig). Tous les salariés de la République démocratique du Congo dans le secteur privé devraient toucher le Smig décidé lors de la dernière session du Conseil national du travail (CNT). Le CNT est le mécanisme légal tripartite de concertation et de dialogue permanent entre le gouvernement, le patronat et les syndicats pour prévenir les conflits sociaux.
En 2017, les syndicats proposaient, entre autres, l’augmentation du Smig net à 15 dollars par jour. Ils rappellent que le salaire a avant tout un caractère alimentaire. Avant, un salarié au Smig gagnait (officiellement) 3 dollars par jour, soit 78 dollars mensuellement. Ils soutiennent que le réajustement du Smig a pour effet de relancer le pouvoir d’achat des travailleurs en berne depuis des lustres. Réajusté à 5 dollars, le Smig était censé applicable dès janvier 2018, par paliers tous les 6 mois, en raison de 25 % par palier, notamment dans le secteur agro-industriel et pastoral, selon les recommandations de la 33è session du CNT tenue à l’Institut national de préparation professionnelle ou INPP.
Par ailleurs, le CNT a décidé de la mise en place des commissions tripartites, chargées de : examiner et statuer sur le taux journalier des allocations familiales par enfant, la quotité saisissable par l’employeur de la contrevaleur du logement et d’annuité ; faire le lobbying auprès du gouvernement pour la réduction des impôts professionnels sur les revenus (IPR) ; et étudier les mécanismes de fonctionnement du nouveau cadre permanent du dialogue social dont les conclusions seront soumises aux travaux du prochain CNT.
Le ministre du Travail avait promis que le gouvernement mettra tout en œuvre pour faciliter l’accès aux mesures d’accompagnement en vue d’une « applicabilité efficace et efficiente du Smig ». À l’Office national de l’emploi (ONEM), on pense que c’est le moment de réviser l’article 44 du code du travail relatif au contrat du travail, afin de le mettre en phase avec l’article 210. Le contrat du travail doit être exclusivement écrit, soutient-on.
Une patate chaude entre les mains
Le ministre d’État Matuku a feint de s’étonner que le Smig ne fût pas encore d’application dans le secteur du commerce. Pour sa part, l’exécutif provincial s’est contenté d’un simple communiqué de rappel à l’ordre : « Il sied de vous rappeler que conformément aux dispositions pertinentes des articles 3, 23, 24 et 29 de la loi n°17/001 du 8 février 2017 fixant les règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé, il a été constaté ce dernier temps que beaucoup d’entrepreneurs principaux se livrent aux pratiques interdites par la loi, foulant ainsi aux pieds les dispositions de la loi susvisée. La dernière en date est le mouvement d’arrêt du travail constaté dans le secteur du commerce, perturbant ainsi la paix sociale dans ce secteur ».
Le communiqué de l’Hôtel de ville de Kinshasa est signé par Guy Matondo Kingolo, le ministre provincial des Finances. « Nous vous demandons à dater de ce jour, de mettre fin au travail dissimulé et prêt illicite de la main-d’œuvre au risque d’encourir les pénalités prévues par les dispositions légales et réglementaires en la matière », poursuit le même communiqué daté du 13 mars ». Le commandant en chef de la police de Kinshasa, lui aussi, a semblé botté en touche.
Visiblement, des autorités nationales et provinciales, politiques et militaires, sont à la gêne à la suite de la mobilisation des salariés de l’avenue du commerce. Personne ne veut vraiment se lancer dans la résolution de la crise. Mais la détermination des grévistes est inébranlable.
Au début de la mobilisation, laisse-t-on entendre, les parapluies des commerçants expatriés mis en cause dans cette affaire leur ont fait croire que leurs employés congolais allaient rapidement reprendre le travail, puisqu’à Kinshasa on vit au jour le jour.