LA BANQUE Commerciale Du Congo (BCDC) soufflera cette année sur ses 110 bougies. Témoin : l’imposante affiche en background placée dans la salle des promotions Mgr Luc Gillon de l’Université de Kinshasa (UNIKIN). Pendant trois jours (du 18 au 20 mars), l’amphithéâtre a été pris d’assaut par des étudiants de Kinshasa, venus en nombre pour suivre des conférences, mais aussi pour participer à des activités culturelles dont un concours d’éloquence. Une initiative qui sera désormais organisée chaque année au mois de mars par l’Observatoire de la Gouvernance (OG) de la faculté des sciences sociales, politiques et administratives de l’UNIKIN.
Mercredi 20 mars, c’était le tour d’Yves Cuypers, le directeur général de la BCDC, d’animer une conférence-débat sur le sous-thème de la gouvernance dans le secteur bancaire. Il faut dire que face à l’auditoire éclectique (formé essentiellement par les étudiants et leurs encadreurs scientifiques pais aussi par des chefs d’entreprise et autres), le directeur général de la BCDC était bien dans son registre car depuis un certain temps, lui et sa banque sensibilisent sur le risque et le respect des normes de gouvernance d’entreprise.
Dans son exposé de 27 minutes et 19 secondes exactement, Yves Cuypers a d’emblée souligné que parler de la gouvernance dans le secteur bancaire est « un sujet complexe » parce qu’il y a bien des « choses à dire ». Mais il est parti du point de vue historique pour expliquer ce qui a conduit les entreprises en général, les banques en particulier, et les régulateurs à faire la gouvernance. Bref, son exposé a tourné autour des cadres juridique, légal, réglementaire, politique et des défis à relever.
On retiendra utilement de sa communication que dans le secteur bancaire en matière de gouvernance, le krach (désastre boursier ou chute soudaine de la Bourse) de 1929 est le point de départ. Considéré comme la première grande crise de l’histoire financière dans le monde, il a permis la prise de premières mesures dont la séparation des banques d’investissement des banques commerciales. Puis il y a eu une succession de problèmes bancaires, notamment dans les années 1970.
La faillite d’une banque allemande en 1978 a conduit le régulateur à imposer des mesures de protection de l’épargne parce que le risque auquel les banques s’exposaient était devenu trop grand, a souligné Yves Cuypers. Qui a distingué deux types de risque. Le premier risque est celui du capital et le second, celui de la solvabilité et de la liquidité du système bancaire. Pour illustrer son propre, il a cité deux cas de banque chez nous qui ont été exposés à ces risques, à savoir la Banque Congolaise (BC) et la Banque internationale pour l’Afrique centrale (BIAC). La première est tombée en faillite tandis que la seconde est encore placée sous la gestion administrative de la Banque centrale du Congo (BCC). À cause d’une crise de liquidité, ces deux banques ont été incapables de faire face au retrait des déposants.
Ensuite, il y a d’autres crises. Il y en a eu beaucoup dans l’histoire. En 2008, par exemple, une grande banque américaine, vieille de 150 ans, Lehman Brothers, a été mis en liquidation à la suite de la crise bancaire et financière, après la crise des suprimes en 2007. Le krach de 2008 est le fait de l’accroissement de la crise de liquidité, de la crise de confiance mais aussi du renchérissement supplémentaire du crédit par une augmentation du taux interbancaire, ayant touché tous les pays.
Gestion prudente
« Je dis souvent aux jeunes que je recrute à la BCDC que ce n’est pas parce que la banque a plus de cent ans qu’elle va encore faire 100 ans. C’est dire qu’il faut avoir finalement une gestion prudente », a fait remarquer Yves Cuypers. Et de faire un petit rappel sur la situation de la République démocratique du Congo. Point n’est besoin de dire que dans les années 1990 le pays était quasiment en faillite, et le secteur bancaire mal en point du fait de la guerre. Au sortir de la crise en 2003 après la signature de l’Accord (politique) de Sun City, le secteur bancaire a bénéficié d’une protection juridique pendant quelques années qui lui a permis de se restructurer. En 2005, on comptait les banques au bout des doigts : 7 à 9 banques actives dans un pays de près de 65 millions d’habitants, avec un total bilan de moins de 250 millions de dollars. Rien du tout par rapport à certaines banques, comme Paribas qui pèse environ 2 mille milliards d’euros, presque l’équivalent du produit intérieur brut (PIB) de la France.
Malheureusement, la gouvernance n’a pas été présente, même si de 9 banques, on est passé à 21 établissements bancaires en 2012. Aujourd’hui, il n’en reste que 15 banques, et probablement demain, a regretté Yves Cuypers, une autre banque va quitter le giron pour se muer en institution de microfinance. « Il y a là un problème de gestion », a dit non sans amertume le DG de la BCDC, en même temps président de l’Association congolaise des banques (ACB).
C’est véritablement à la fin des années 1990 que la gouvernance va s’imposer comme nécessité incontournable pour les entreprises cotées en Bourse. Nous suivons tous l’actualité, en France, la somme totale de crédit à la consommation est de 1 800 milliards d’euros, presque la taille de la banque Paribas et du PIB du pays. Intuitivement, cela veut dire que demain, il pourrait avoir un problème en France, a laissé entendre Yves Cuypers. D’où d’ailleurs la réaction de la Banque de France, le régulateur, qui a demandé aux banques de relever leurs provisions. Bref, partout, le discours est à la gouvernance.
Valeurs éthiques, principes déontologiques
Yves Cuypers a trivialement défini la gouvernance comme « la direction qu’on donne à une entreprise ». Gouvernance présuppose deux termes : l’éthique et la déontologie. Les règles éthiques sont basées sur les règles morales (transparence, honnêteté, loyauté, etc.), tandis que la déontologie indique ce qu’il faut faire, c’est-à-dire les valeurs morales normées (principes).
Parler de la gouvernance dans le secteur bancaire signifie qu’il faut tenir compte de la spécificité de la banque. Le métier de banquier, c’est-à-dire prendre l’argent des déposants et le mettre à la disposition de l’économie comporte plusieurs risques. Le premier risque, a souligné Yves Cuypers, c’est celui de la transformation : prendre les dépôts et en faire des crédits. Cela comporte le risque de remboursement. Le deuxième risque, c’est celui de la solvabilité et de la liquidité du système bancaire. On peut être solvable (par exemple avoir un immeuble) et illiquide (avoir des dettes) tout comme on peut être liquide mais insolvable. C’est dire que la banque ou le système financier doit être capable de faire circuler les flux financiers. Le troisième risque est celui de la protection des épargnants. C’est ainsi que le régulateur a mis en place des lois, des règlements, etc. Mais au-delà des instructions et du cadre réglementaire, ce qui compte surtout c’est l’organisation, a insisté le DG de la BCDC.
La BCDC et la gestion des risques
Dans cette banque, la direction à suivre est donnée par le conseil d’administration qui détient « les clés de la manière de gérer, définit le cadre, etc.
« La BCDC est très attentive aux règles et principes de la bonne gouvernance d’entreprise. Celle-ci relève d’une stricte séparation des pouvoirs entre les organes d’administration, de gestion et de contrôle. La gouvernance d’entreprise étant un processus dynamique, le conseil d’administration réévalue en permanence la structure de l’entreprise pour réagir aux changements qui s’opèrent dans les activités bancaires, à tous les niveaux de son organisation ».
Par ailleurs, « la BCDC veut être une banque de référence internationale en termes de qualité, de rigueur, de contrôle, de maîtrise et de transparence de sa gestion, à tous les niveaux de son organisation. En tant que prestataire de services financiers, la BCDC entretient de longue date une culture de sensibilisation au risque et s’est fermement engagée à intégrer le respect des normes de gouvernance d’entreprise, de gestion des risques et de contrôle interne dans sa pratique des affaires et dans sa relation clients ».
Trois défis à relever
Enfin, le DG de la BCDC a épinglé les défis que doit relever le secteur bancaire national. « Les défis sont très grands pour tout le secteur bancaire et pour tous les acteurs du secteur, sans exception ». Ces défis sont « aussi importants que fondamentaux », dès lors que le système financier est devenu, à cause de l’informatique, un véritable écosystème mondial.
Trois défis sont majeurs, à ses yeux, pour le secteur bancaire en RDC. Le premier défi, il est technologique : « C’est quasiment un défi de société et de civilisation. Nous n’avons pas d’autres choix que celui de l’adaptation ». Yves Cuypers prévient que nous entrons dans « un monde dématérialisé » qui porte des noms curieux : monnaie électronique, monnaie virtuelle, Bitcoin, smartphones, banque digitale, mobile paiement… Et de nouveaux acteurs qui ne sont pas des banques, font leur apparition dans ce monde. Ce sont particulièrement les sociétés de télécommunications qui se transforment en banques. « L’enjeu est celui de l’adaptation au sens darwinien du terme. Celui qui ne s’adapte pas disparaît, cfr les dinosaures », lance-t-il.
Le modèle OCDE
Le deuxième défi, c’est la capacité des banques à rencontrer les critères de renforcement de leurs couvertures d’un tas de risques. Pour pouvoir renforcer cette capacité de couvrir et d’absorber des risques, il est demandé aux banques commerciales, à juste titre, de renforcer significativement leur solvabilité sur le modèle des banques dans la zone OCDE, c’est-à-dire ce que l’on appelle « l’enjeu des critères de base ». Cela veut dire que les banques congolaises et leurs actionnaires vont devoir fournir d’importants efforts pour rencontrer ces critères. « C’est un enjeu fondamental évidemment car, d’un côté, il va augmenter la protection des épargnants, réduira et évitera davantage les risques de gestion aventureuse. Il va aussi renforcer la notoriété des établissements, protéger davantage le système financier congolais », explique-t-il. Avant de faire remarquer que derrière cela, « il y a toujours un loup », c’est-à-dire un risque qui est caché. Lequel ? « Un certain type de concurrents, notamment les sociétés de télécommunications qui n’ont pas de contraintes de solvabilité, alors que les banques sont soumises à de fortes exigences », souligne-t-il. Comme il le dit, « il y a donc un risque évident de déséquilibre et de glissement d’une rentabilité d’un secteur vers un autre secteur.
Enfin, le troisième et dernier défi : celui de la gouvernance et de la transparence. Ce sont « les deux fondements nécessaires et indispensables pour un secteur bancaire mature et crédible ». La gouvernance n’est rien d’autre que « le respect des règles de gestion, universellement acceptées et qui passent aussi par l’application des règles de conformité stricte de contrôle ». Tandis que la transparence est « la volonté des banques de communiquer de manière crédible sur leurs comptes, leurs réalisations, leurs objectifs et sur les moyens qu’elles mettent en œuvre pour les atteindre ». Ce dernier défi est à lui seul un vaste chantier. « Ce sera probablement le défi le plus difficile à relever, même si en apparence il paraît simple, car il est la clé de bonnes relations que le secteur bancaire va entretenir avec les banques correspondantes, particulièrement celles qui opèrent en dollar américain », insiste encore Yves Cuypers. D’après lui, les banques n’auront pas de problèmes ni de difficultés avec des correspondants en euro. Par contre, cela n’est pas acquis avec des correspondants en dollar.