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ES SALAIRES sont « trop élevés » dans la sphère politique congolaise. Conséquence : aujourd’hui, la politique attire vers elle, tel un aimant, tous les talents, y compris ce qui relève de l’ivraie de la société, pose Delly Sesanga Hipungu, député national. « Tout le monde rêve de devenir politique, non pas pour servir, mais parce que celle-ci est la seule voie qui permet un enrichissement rapide », s’évertue-t-il à déclarer. En tout cas, il persiste et signe : l’Assemblée nationale devrait donner le bon exemple, en assurant « la réduction de son propre train de vie, celui des députés et ensuite s’attaquer à ceux des autres ».
Seulement voilà, Delly Sesanga qui pensait faire œuvre utile pour la nation, n’a pas pris la mesure des réactions virulentes de certains de ses pairs. Déçu, il l’est, mais Sesanga ne s’avoue pas vaincu, tant que les institutions du pays seront de plus en plus « budgétivores ». Sa thèse est claire, nette et précise : l’essentiel de l’effort national doit être consacré à la reconstruction du pays. Or, dénonce-t-il, le fonctionnement de nos institutions consomme l’essentiel des ressources publiques. Par exemple, rien que dans l’exécution du budget 2018, pratiquement 78 % (3,4 milliards de dollars sur 5 milliards) des ressources ont servi à payer les salaires et assurer le fonctionnement des institutions politiques (Président de la République et son cabinet, Parlement et gouvernement). Plus concrètement, a fait remarquer Delly Sesanga, pour 78 % de budget de l’État affectés aux dépenses courantes, seulement 6 % ont été affectés aux dépenses en capital ou dépenses d’investissement, 55 % ont servi aux rémunérations et fonctionnement des organes politiques et 17 % aux autres dépenses courantes (dont les salaires des autres fonctionnaires et agents de l’État).
Ça veut dire qu’on ne dégage pas assez de moyens pour investir dans l’avenir, construire les écoles, les centres de santé, les routes et développer le pays… Pendant la dernière législature, les députés nationaux avaient officiellement un salaire 6 000 dollars, hors les « invisibles » (sic !).
Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi, le directeur de cabinet du président de la République, s’est invité dans ce débat, apportant de l’eau au moulin de Delly Sesanga à sa manière : « Nous allons aussi travailler pour enlever aux gens l’envie de devenir parlementaire ou ministre. C’est dommage de constater certains compatriotes qui continuent à croire que la politique est l’un des meilleurs endroits pour se faire des millions. Servir le peuple, c’est un travail de sacrifices, raison pour laquelle nous allons former un gouvernement des esclaves. »
Salaire des élus, parlons-en
Au Palais de la nation, les députés, eux, sont partagés. La majorité des élus ont déjà retoqué cette proposition de Sesanga. Au contraire, ils sont favorables à un amendement d’augmenter la rémunération des élus. Il convient de rappeler que les salaires des politiques ont toujours été élevés depuis l’indépendance du pays. Mais combien ils gagnent : député, sénateur, ministre, gouverneur, chef de l’État ?
Dans une émission de Dialogue entre Congolais de la radio onusienne Okapi émettant de Kinshasa, diffusée le jeudi 21 mars, Delly Sesanga était face à deux co-débatteurs : Dieudonné Mwenze (député national PPRD sur le banc FCC) et Israël Mutala (journaliste). Il a soutenu que les émoluments des députés ne se fondent sur aucune base de calcul. Tenez : pendant la législature (non issue des élections) d’après le Dialogue intercongolais de Sun City en Afrique du Sud (2003-2006), les députés ont touché mensuellement 1 500 dollars. Lors de la législature de 2006 à 2011, ils étaient à 6 000 dollars.
Et pour le mandat prolongé de 2011 à 2018, les voilà qui avaient un salaire de 13 000 dollars et 15 000 dollars pour les sénateurs élus au second degré.
Rien ne vient justifier cette augmentation, si ce n’est une forme de corruption politique des députés par le pouvoir exécutif ? En conclusion, Sesanga propose que le salaire des élus ou députés nationaux soit à la hauteur de 5 000 dollars. À l’issue de cette émission, les Congolais se sont enflammés sur la Toile à travers les réseaux sociaux pour dénoncer, les uns, une sorte d’injustice sociale au sommet de l’État, les autres, l’immoralité politique endémique dans le pays.
Bref, les internautes trouvent incorrectement politique que les élus ou les politiques en général s’accaparent du gros de l’argent public. La plupart soutiennent la proposition de Sesanga, estimant que le fruit de la production nationale doit être équitablement redistribué. « Il faut un barème général pour tous les employés de l’État avec des équivalences de grades selon les secteurs.
Car ce n’est pas normal qu’un député national touche mensuellement 13 000 dollars alors qu’un général de l’armée a moins de 200 dollars, un professeur d’université 2 000 dollars pendant que son assistant a à peine 120 dollars, un magistrat 700 dollars et le greffier divisionnaire plus ou moins 100 dollars. Que dire des autres qui ont des salaires inférieurs à 100 dollars ? », tel ce commentaire parmi tant d’autres.