EN PRATIQUE, chaque pays adopte une combinaison d’instruments fiscaux pour couvrir toutes les bases potentielles d’imposition, ce qui crée des régimes fiscaux complexes dont les éléments se chevauchent et dont la perception et l’administration peuvent s’avérer difficiles [pour une description plus complète des régimes fiscaux, voir FMI (2012) et FMI et Banque mondiale (2014)]. Quoique la plupart des pays adoptent une combinaison d’instruments fiscaux, certains sont en train d’abandonner les redevances faciles à administrer (sur la base de la valeur brute des ressources naturelles extraites ou vendues) en faveur de taxes calculées sur les revenus nets (Durst, 2016). Il s’agit notamment de l’application aux sociétés extractives du régime standard d’impôts sur les sociétés, impôts qui s’appliquent après qu’une société extractive a atteint un seuil de rentabilité ou recouvré ses coûts (taxes de rentes des ressources) ou sa part du partage des revenus ou de la production d’un projet (contrat de partage de production).
Les impôts basés sur leurs revenus risquent de décourager les sociétés à responsabilité limitée de prendre des risques excessifs (sociétés qui pourraient préférer faire des investissements à risque si elles sont sûres de bénéficier pleinement de tout avantage financier mais de n’avoir qu’une responsabilité limitée en cas de pertes). Mais les impôts sur les bénéfices sont plus difficiles à administrer pour les pays, parce qu’à la différence des redevances qui sont calculées sur la base des valeurs brutes, les impôts sur les bénéfices doivent tenir compte des coûts encourus (déductions), ce qui entraîne la possibilité de sous-estimations des revenus et, par conséquent, d’érosion de la base d’imposition et de transfert des bénéfices (Durst, 2016 ; Brooks, 2013 ; CEA, AMDC et CUA, 2016).
Répartir les responsabilités
Traditionnellement, les réglementations sur le secteur des ressources naturelles étaient fragmentées, les responsabilités étant partagées entre divers ministères et autres agences gouvernementales. Le FMI recommande une répartition des responsabilités. La fragmentation du cadre institutionnel et réglementaire peut empêcher d’imposer les sociétés multinationales dans le secteur des ressources naturelles. Le ministère chargé du pétrole ou des mines est habituellement responsable des négociations sur les accords concernant l’exploration, la mise en valeur et l’extraction ; de ce fait, ces accords sont parfois négociés et conclus sans une participation suffisante du ministère des finances ou de l’administration fiscale. Il faut que les différents organismes publics s’attellent ensemble à la conception et à la mise en œuvre des politiques pour que les recettes des industries extractives soient gérées correctement (FMI, 2018).
Une conséquence manifeste de cette fragmentation des contrôles réglementaires est que les agences de l’État risquent de fonctionner en silos, sans échanger entre elles leurs données et informations, ce qui compromet la gestion fiscale du secteur (FMI, 2018). Certaines de ces agences invoquent le caractère confidentiel des renseignements pour se justifier de ne pas les communiquer, alors que toutes font partie du gouvernement qui a signé les contrats. C’est ainsi que l’administration fiscale risque de ne pas avoir accès à des informations qui lui permettraient de faire respecter la législation fiscale en évaluant complètement les risques posés par les sociétés multinationales afin de les surmonter.
Ce sont des problèmes évidents en Afrique. À titre d’exemple, l’opacité de la gestion du secteur des ressources naturelles est un problème de longue date au Soudan, avec notamment la non-divulgation des accords conclus par le gouvernement central avec des sociétés extractives, des politiques ambiguës au sujet de la gestion du pétrole, des terres et des ressources en eau, des lois obsolètes et mal administrées régissant l’industrie pétrolière et l’administration foncière et l’insuffisance des études d’impact sur l’environnement, en particulier sur les productions de pétrole, ce qui s’est traduit par une dégradation de l’environnement et des confrontations entre les communautés locales et les industries pétrolières.
L’autre problème qui se pose au Soudan est la multiplicité des droits, frais et redevances, ayant ou non un fondement juridique, qui sont imposés, perçus et parfois même conservés par divers organismes gouvernementaux, situation qui perdure parce que de multiples organes sont responsables de contrôles sans aucun cadre effectif de coordination entre eux. Aucune loi ne régissant la collecte et la gestion de ces recettes, des problèmes d’ordre institutionnel apparaissent, qui empêchent le ministère des finances de contrôler et de coordonner efficacement les recettes provenant des ressources naturelles.
Dans certains pays, différents organes gouvernementaux contrôlent les données relatives à la production et à l’exportation ou bien les industries extractives soumettent des rapports différents à divers organes. Le fisc doit alors réconcilier les données saisies dans de nombreuses bases pour calculer correctement les impôts à percevoir. En Zambie, par exemple, il y avait d’énormes écarts entre les statistiques de production du cuivre dont rendaient compte les divers organes de l’État.
Ces différences ont finalement été expliquées par le double comptage de la production intermédiaire, à la fois comme produit intermédiaire et comme produit fini, mais du fait de la fragmentation des contrôles réglementaires et des problèmes de coordination, l’administration fiscale avait beaucoup de mal à effectuer les rapprochements nécessaires pour calculer correctement les revenus imposables (Readhead, 2016).
La pléthore de bases d’imposition et d’instruments fiscaux est telle que différents organes administrent différents aspects du régime fiscal. Les frais de licence, les redevances, les primes de production et les revenus des parts de la production revenant au gouvernement peuvent être perçus par différents ministères ; les impôts sur les sociétés, les taxes sur les rentes et les impôts sur les bénéfices sont perçus par le fisc, tandis que les autorités douanières prélèvent les droits de douane et la TVA sur les importations.
Cette variété d’instruments fiscaux, aggravée par la fragmentation administrative des fonctions de contrôle et de perception des recettes, est telle que les pays aux capacités limitées ont du mal à administrer efficacement leur régime fiscal [Voir FMI (2014a), qui estime aussi que la concentration des recettes dans un seul secteur ou quelques sociétés risque de susciter des problèmes d’intégrité et de transparence], à traiter correctement des risques d’évasion et de fraude fiscales et à faire le suivi de toutes les recettes provenant du secteur des ressources naturelles.