SI LA BANQUE centrale du Congo (BCC) s’inquiète du « resserrement » des correspondants bancaires à l’international pour les institutions financières nationales, c’est que la situation devient préoccupante pour l’ensemble du système financier national, nous fait comprendre un directeur à la retraite de la banque des banques. Au début de l’année, l’Association congolaise des banques (ACB) a fait part de ses craintes par l’entremise de son président Yves Cuypers, le directeur du comité de direction de la Banque Commerciale Du Congo (BCDC).
Voyait-il déjà venir le danger ? Lors du dîner annuel de l’ACB pour l’échange de vœux, le 8 février, il avait pointé la relation financière comme l’un des trois défis de 2019. Plus qu’un défi, à lui tout seul, c’est un vaste chantier. « Ce sera probablement le défi le plus difficile à relever, même si en apparence il paraît simple », avait-il insisté. Gouvernance et transparence, c’est là la clé pour entretenir une bonne relation financière avec les banques correspondantes, particulièrement celles qui opèrent en dollar américain.
D’après Yves Cuypers, la relation financière est le « véritable poumon financier » du pays. Pour relever ce grand défi, les banques commerciales ont besoin de soutien venant de la Banque centrale et du gouvernement. Concrètement, l’ACB demande à la BCC d’adapter certaines de ses Instructions aux réalités congolaises.
Surveillance prudentielle
Pire, le danger tant redouté est déjà à nos portes ! Des banques internationales ont décidé de ne pas ou plus correspondre, c’est-à-dire avoir une relation financière, avec les institutions financières congolaises. La raison invoquée : elles ne présentent pas un « dispositif adéquat » de surveillance des risques, liés notamment à la circulation de l’argent sale. Ou tout simplement, par prudence, parce qu’elles veulent éviter d’être liées à quelque niveau que soit au phénomène de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme ainsi que d’être mêlées aux personnes ou pays frappés par les sanctions internationales, notamment américaines et européennes.
Désormais, c’est la Citi(bank)/RDC qui jouerait le rôle d’une sorte de chambre de compensation et donc de correspondant bancaire à l’international pour les banques commerciales congolaises, constatent les observateurs du système financier national. D’ailleurs, l’État vient d’y rouvrir un compte après plusieurs années, et sur ce compte serait logée la première partie (20 millions de dollars) de sa quote-part dans le partenariat avec Dubaï Port Wolrd, une firme des Émirats arabes unis, pour la construction d’un port en eaux profondes sur l’étroit débouché atlantique.
D’après les mêmes observateurs, c’est l’effet des carcans de plus en plus renforcés de la réglementation de la finance mondiale dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme international. Il va sans dire que les Américains sont le porte-étendard de ce combat, et, à ce titre, la Fed ou le Trésor américain traque tous les flux financiers illicites à travers le monde, notamment pour surveiller la circulation du petit billet vert ou le dollar américain. Selon les mêmes observateurs, la situation devient plus compliquée en ce qui concerne la République démocratique du Congo. Un banquier de la place de Kinshasa nous confiait : « Quand on travaille en dollar, il n’y a aucun moyen de contournement des sanctions américaines qui ont même des effets en extraterritorialité ».
Le 21 mars dernier, « le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du Département du Trésor des États-Unis a sanctionné trois hauts fonctionnaires de la RDC en vertu de l’ordre exécutif (E.O.) 13413, tel que modifié par E.O. 13671, qui autorise des sanctions à la lumière d’actions ou de politiques qui sapent les processus ou les institutions démocratiques en RDC ». Sigal Mandelker, le sous-secrétaire au Trésor, chargé du terrorisme et du renseignement financier, a justifié cette mesure en ces termes : « Cette action fait suite à la corruption persistante de hauts responsables au sein de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de la RDC et de l’ancien gouvernement Kabila dans le but d’empêcher et de retarder la préparation d’élections crédibles et inclusives. »
Et d’ajouter : « Les États-Unis continueront à aider ceux qui cherchent à éliminer des allégations de corruption crédibles, mais n’hésiteront pas à faire appel à nos autorités pour imposer des conséquences tangibles et importantes aux acteurs pervers en RDC et dans le monde, qui minent le processus démocratique et le trafic de corruption. » Pour rappel, les trois hauts fonctionnaires de la CENI dont question, ce sont Corneille Nangaa Yobeluo, le président; Norbert Basengezi Katintima, le vice-président; et Marcellin Basengezi Mukolo, conseiller. À la suite de la décision du 21 mars, tous leurs actifs relevant de la juridiction des États-Unis sont bloqués et il est interdit aux personnes qui sont aux États-Unis d’effectuer des transactions avec eux.
Les effets des sanctions us
Les noms de ces trois personnalités ont été donc ajoutés sur la liste d’une dizaine de personnalités congolaises, proches de Joseph Kabila Kabange, l’ancien président de la République. Avec le fonctionnement moderne de la finance mondiale, expliquent ces observateurs, les États perdent leur souveraineté du fait des sanctions financières internationales. En effet, la Fed surveille à la loupe la réglementation financière internationale, à travers des dispositifs d’alerte, de sorte que toutes les personnes, morales ou physiques, frappées par les sanctions ne puissent pas effectuer des opérations bancaires à travers le monde.
Cela veut dire que les banques en RDC ne devraient pas faire une quelconque opération au profit des personnes sanctionnées par le Trésor américain. Sinon, elles s’exposent au risque de ne plus avoir de relation financière avec les banques internationales, surtout américaines, étant donné que les transactions dans le système financier congolais se font en grande partie en monnaie américaine, soit à plus de 70 %. Cela va sans dire que les banques congolaises sont dans le viseur de la Fed pour justement s’assurer qu’elles respectent scrupuleusement ces sanctions.
Cette situation est prise très au sérieux par les dirigeants des banques, à commencer par la Banque centrale elle-même. À l’issue de la réunion ordinaire du Comité de politique monétaire de la BCC du 30 avril dernier, Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, le Gouv’ de la BCC, a déclaré ceci à la presse : « Nous travaillons pour éviter la situation d’enlisement dans le resserrement des correspondants américains. Cette situation peut compromettre la stabilité financière parce qu’elle renchérit les coûts des transferts internationaux du fait de la multiplicité des banques intermédiaires lorsqu’on cherche à dénouer les transactions financières avec les banques du reste du monde. Et ce renchérissement risque d’impacter négativement nos prix intérieurs et déstabiliser le cadre macro-économique. »
Les garde-fous de la BCC
Deogratias Mutombo se veut rassurant : « Nous adaptons régulièrement nos dispositifs de lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme aux principes du GAFI (Groupe d’action financière). Nous adaptons également nos dispositifs de compliance dans nos banques, où les services de compliance sont dotés des logiciels dédiés à détecter les opérations non conformes à la réglementation financière internationale. » Et de poursuivre : « Ces logiciels inter-opèrent avec les logiciels internationaux, notamment ceux de l’OFAC, qui restituent toutes les informations sur les personnes blacklistées, les personnes sanctionnées. Ils font en sorte que les transactions jugées non conformes à la réglementation internationale ne passent pas. De même, des efforts sont fournis pour l’amélioration des dispositifs de connaissance du client afin de signaler les opérations inhabituelles. »
Certes, la Banque centrale a mis des garde-fous afin de ne pas exposer le système financier national au bannissement sur le plan international : « Nous avons fait un effort d’élaborer une charte de conformité à la réglementation financière internationale. Toutes les banques ont adhéré à cette charte. Nous maintenons un contact permanent avec nos correspondants américains, même avec le service du Trésor américain, l’OFAC. Ce sont des efforts que nous faisons pour éviter cet enlisement des correspondants américains ». Mais, pour des observateurs, c’est plus question de crédibilité. Et ils doutent que cette crédibilité soit pour le moment intacte.