LE RAPPORT économique sur l’Afrique 2019 de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) s’intitule: « La politique budgétaire au service du financement du développement durable en Afrique ». Il examine en profondeur les réformes institutionnelles et stratégiques qui permettront aux pays africains de maximiser la mobilisation des ressources intérieures. Ce rapport met également l’accent sur le rôle déterminant que joue la politique budgétaire pour attirer les investissements et créer une marge de manœuvre budgétaire suffisante pour soutenir la politique sociale et promouvoir les petites et moyennes entreprises (PME) dirigées par les femmes et les jeunes.
ODD et Agenda 2063
En 2015, les pays africains ont souscrit à deux importants programmes de développement : les Objectifs (mondiaux) de développement durable (ODD) à l’horizon 2030 et l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA). À dix ans de l’échéance fixée pour atteindre les ODD – qui visent à ne laisser personne de côté à mesure que les pays se développent -, les pays africains sont encore à rechercher les combinaisons des mesures susceptibles de les aider à accélérer la réalisation de ces objectifs, souligne ce rapport. Mais, pour de nombreux pays, le financement reste le principal goulet d’étranglement, les capacités de mise en œuvre venant immédiatement en deuxième position.
« Si elle veut atteindre les ODD, l’Afrique devra, selon les estimations, mobiliser 11 % de son PIB (Produit intérieur brut) par an sur les 10 prochaines années pour combler son déficit de financement », lit-on dans ce document. Aujourd’hui, les recettes fiscales moyennes sont en-deçà de 16 % du PIB dans la plupart des pays africains. « Une mobilisation efficace et efficiente des ressources intérieures peut aider à combler une part importante de ce déficit de financement », estiment les experts de la CEA. La Commission n’a eu de cesse de défendre cette position, dont le point d’orgue a été le document de synthèse du Programme d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement pour 2015.
Autre chose : « Les gouvernements africains pourraient accroître leur marge de manœuvre budgétaire, en particulier en augmentant leurs recettes publiques de 12 à 20 % du PIB par an et par la mise en œuvre des réformes fiscales dans six domaines clés ». Cela est possible, à condition d’avoir une bonne politique budgétaire, de revoir et de mettre à jour la politique fiscale, d’élargir et d’approfondir l’assiette fiscale, d’améliorer l’administration fiscale, de lutter contre l’évasion fiscale, de renforcer le recouvrement des recettes non fiscales et d’améliorer la gouvernance des ressources naturelles afin de lutter contre la fraude fiscale.
Le Rapport met en lumière plusieurs gains rapides à réaliser par l’Afrique dans la recherche d’une marge de manœuvre budgétaire supplémentaire pour financer son développement accéléré et atteindre les ODD et les aspirations de l’Agenda 2063, qui définit un modèle pour « l’Afrique que nous voulons ».
Entre autres outils, la numérisation rapide ouvre aux pays africains des possibilités particulièrement prometteuses d’accroître les recettes, de réduire les coûts de recouvrement et d’étendre la fiscalité à certains secteurs difficiles à taxer, comme l’agro-industrie, l’immobilier et les services, tout en créant un environnement propice au développement du secteur privé et en particulier des PME.
Les grandes priorités
La première priorité pour accroître les recettes, selon ce rapport, est l’orientation de la politique budgétaire. « Il a été démontré qu’en Afrique, les politiques budgétaires contra-cycliques avaient des effets bénéfiques sur la croissance ». Deuxièmement, compte tenu de l’évolution de la composition de nombreuses économies, les décideurs doivent examiner l’efficacité des types et des ratios d’imposition. « Les exemptions et l’amnistie constituent des failles importantes qui ne servent qu’à accroître les bénéfices des entreprises sans être une motivation essentielle pour investir dans tel ou tel pays ». D’après les experts de la CEA, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) devrait stimuler l’investissement et la croissance sans impact négatif significatif à long terme sur les recettes publiques.
Troisièmement, l’amélioration de l’administration des recettes par l’élargissement de l’assiette fiscale et la simplification du recouvrement sont des domaines importants qui pourraient aider à rapporter plus de 99 milliards de dollars chaque année sur les cinq prochaines années. Un certain nombre de pays, comme l’Ouganda, ont récemment amélioré sensiblement le recouvrement de l’impôt, en mettant par exemple en place des systèmes électroniques de déclaration fiscale.
Quatrièmement, les recettes non fiscales (comme les impôts fonciers et, pour ce qui est des pays producteurs de produits de base, les redevances) constituent une source importante de revenu. Cinquièmement, l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, qui constituent une partie des flux financiers illicites, sont des sources majeures de fuites illégales de capitaux qui, si l’on y remédie, pourraient contribuer à accroître les recettes fiscales d’environ 2,7 % supplémentaires du PIB selon les estimations. Enfin, sixièmement, une gestion prudente de la dette s’impose pour que les avantages d’une marge de manœuvre budgétaire plus grande aident concrètement à développer des infrastructures sociales et physiques qui sont si nécessaires.
Bonne gouvernance
Les experts de la CEA sont optimistes : l’Afrique peut relever les défis des ODD et des aspirations de l’Agenda 2063 à travers une « politique budgétaire appropriée et durablement efficace ». Il suffit seulement que les gouvernements qui ont choisi plusieurs options politiques adaptées à leurs pays pour stimuler la création de recettes fiscales, tirent les enseignements des réformes mises en œuvre avec succès au Rwanda, en Afrique du Sud, en Mauritanie, en Ouganda, au Kenya, au Burkina Faso… Parmi ces réformes, l’introduction de la déclaration fiscale électronique et de l’automatisation des paiements.
Toutefois, la réalisation de cet objectif nécessitera une direction efficace, une gestion prudente du secteur public et une bonne gouvernance, souligne le Rapport économique sur l’Afrique 2019. « L’Afrique fait des progrès constants dans la création de conditions indispensables à des sociétés durables et résilientes, même si les progrès vers la réalisation des Objectifs de développement durable sont lents et inégaux sur l’ensemble du continent ». L’accès aux infrastructures de base telles que l’énergie, l’eau et les services d’assainissement s’améliore aussi, mais se situe bien en dessous de la moyenne mondiale.
« La mise en œuvre effective de l’Agenda 2063 et des ODD à l’horizon 2030 exige que les pays africains accroissent leurs investissements dans la science, la technologie et l’innovation pour promouvoir une croissance rapide et inclusive ». Le coût de ces investissements est énorme et nécessite une mobilisation accrue des ressources. « Le Programme d’action d’Addis-Abeba de 2015 fournit un nouveau cadre mondial pour le financement du développement durable en alignant tous les flux et politiques de financement sur les priorités économiques, sociales et environnementales ». Il reconnaît l’importance des ressources publiques nationales, complétées par l’aide internationale, pour atteindre les ODD.
Toutefois, malgré les nombreuses réformes budgétaires entreprises par de nombreux pays africains depuis 2000, les recettes publiques en pourcentage du PIB (21,4 % en 2018) restent faibles par rapport au potentiel du continent et aux ressources financières nécessaires pour réaliser les aspirations nationales de développement. Les ressources financières dont a besoin le continent pour réaliser les ODD sont énormes, et le déficit de financement important. Les besoins de financement sont estimés entre 614 et 638 milliards de dollars par an (CNUCED, 2014).
En matière d’infrastructures, de sécurité alimentaire, de santé, d’éducation et d’atténuation des effets des changements climatiques, ces besoins sont évalués à 210 milliards de dollars par an (CNUCED, 2014). Pour combler le déficit de financement, les pays africains doivent renforcer la mobilisation des ressources intérieures, ce qui exige une amélioration durable de l’efficacité et de l’efficience de la politique budgétaire.