Les banques américaines n’ont jamais été aussi puissantes. En 2018, la valorisation de JP Morgan Chase était évaluée à 390 milliards de dollars quand celle de la Société Générale plafonne à 30 milliards. Dix ans plus tôt (décembre 2007), les deux entreprises valaient respectivement 150 et 80 milliards.
Cet exemple, parmi d’autres, illustre une réalité imparable : en dix ans, les banques américaines sont devenues des mastodontes, régnant de façon hégémonique sur le monde. Comment l’expliquer ?
Régulation bancaire et taux directeurs
Après la crise de 2008, une refonte en profondeur des mécanismes de la régulation bancaire internationale a eu lieu. L’objectif central : rendre les banques plus résistantes aux cycles financiers en augmentant le volume de fonds propres. Schématiquement, le critère retenu a été la taille de leur bilan plutôt que leur propension à prendre des risques.
Cette décision est paradoxale. Alors que c’est l’attrait des banques américaines pour le risque qui a largement provoqué la crise financière de 2008, ce sont les banques européennes qui ont payé le prix fort de la réglementation.
Seconde raison de la montée en puissance des banques américaines : la différence de taux directeurs. On en parle peu en France, mais les différences entre les taux directeurs pratiqués par la Réserve fédérale (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) sont devenues abyssales. Depuis 2016, la Fed les relève progressivement, pour atteindre aujourd’hui environ 2,25 %. À l’inverse, la BCE maintient le sien à 0 %, espérant stimuler une croissance européenne encore morose. Conséquence directe : inflation comprise, pour chaque millier d’euros stockés dans leurs agences, les banques européennes perdent quatre euros. C’est tout l’inverse pour les banques américaines : chaque dépôt dégage du revenu supplémentaire.
Justice américaine
Enfin, sans virer à la paranoïa, on doit s’interroger sur le rôle joué par la justice américaine. Elle s’est en effet arrogé un droit de regard sur tous les échanges libellés en dollars, et ce dans n’importe quel pays du monde. C’est ainsi que la BNP Paribas s’est vue infliger une amende historique de 9 milliards de dollars en 2014, assortie d’une interdiction d’accéder directement à cette devise qu’elle fournissait jusqu’alors à ses clients.
Véritables épées de Damoclès, les sanctions américaines créent un climat d’incertitude. L’effet dissuasif est radical. Les banques européennes sont désormais paralysées par crainte de nouvelles amendes. Elles ne prennent plus aucun risque, délaissent le terrain du dollar, laissant ce privilège… à des établissements américains.Une rente incroyable, quand on pense que plus de 80 % des échanges internationaux sont réalisés en dollars, que tous les grands marchés de matières premières (du coton au maïs, des métaux précieux au pétrole) sont côtés en dollars et que plus de 60% des réserves des banques centrales sont constituées de dollars.
Péage unique
En résumé, pour faire du business, les banques européennes doivent passer par les banques américaines. Ces dernières sont les seules à avoir un véritable accès aux dollars US et à être autorisées sans compromis par la Fed à distribuer les précieux billets verts.
Aujourd’hui, elles deviennent les «banques des banques» : comme un particulier qui emprunte de l’argent pour son bien immobilier auprès d’une banque, finit par loger ses revenus et réaliser ses opérations dans cette même institution, les banques américaines profitent de leur quasi-monopole sur le dollar pour devenir, de facto, les partenaires de toutes les opérations bancaires. Si nous n’y faisons rien, il n’y aura demain qu’un seul et unique péage pour le monde du business international : les mastodontes américains.
Pierre-Antoine Dusoulier est le président-fondateur d’Iban First.