DANS sa lettre de demande d’adhésion, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, motive la requête comme suit : « Cette requête fait suite aux échanges commerciaux qui ne cessent de croître entre les opérateurs économiques de la République démocratique du Congo et ceux des États de la susdite Communauté. » C’est dire qu’il y a des opportunités économiques que la RDC attend de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC/CAE).
Première opportunité : l’intégration régionale, en tant que phénomène multidimensionnel et à la fois une situation et un processus, désigne l’absence de discriminations entre les économies nationales et un ensemble de mesures destinées à les supprimer entre les unités économiques, appartenant à différents pays en vue de l’intensification des échanges. Les experts expliquent que l’intégration économique est un processus en cinq étapes : la zone de libre-échange, l’union douanière, le marché commun, l’union économique et l’intégration économique parfaite.
La zone de libre-échange abolit les droits de douane et les restrictions quantitatives entre les pays membres, mais chacun d’eux conserve ses tarifs douaniers avec les pays non-membres. L’objectif est de libéraliser les échanges de marchandises entre les pays signataires.
Par contre, l’union douanière harmonise les tarifs douaniers dans le commerce avec les pays extérieurs à travers un tarif commun appliqué à tout produit importé en dehors d’elle. En plus de la suppression de discrimination sur la circulation des marchandises à l’intérieur de l’union, le passage de la zone de libre-échange à l’union douanière suppose que les pays membres mettent en place un même et unique droit douanier pour tous.
Le marché commun est l’étape qui mène à l’intégration complète, puisque l’abolition des barrières n’a plus une incidence seulement sur les échanges des produits (comme dans l’union douanière) mais aussi sur les mouvements des facteurs de production. Le marché commun n’est autre que l’union douanière à laquelle s’ajoutent certaines caractéristiques comme la libre circulation des marchandises, du capital et des travailleurs au sein de ce marché entre les pays membres. Le marché commun de l’EAC/CAE, c’est le COMESA, dont la RDC est membre.
La communauté est-africaine n’est pas encore à la phase d’union économique, à l’instar de l’Union européenne (UE). Qui exige une harmonisation des politiques économiques afin d’éliminer les discriminations dues à des disparités qui peuvent naître des politiques de libéralisation. Les mesures d’harmonisation concernent les domaines des politiques monétaires, financières, commerciales et sociales. L’union économique se caractérise par les politiques communes. Tous les pays de l’espace économique ne cherchent que l’intérêt commun.
L’Union économique devient parfaite quand les États membres adoptent une monnaie unique qui facilite les échanges et permet de favoriser la stabilité à l’intérieur de l’espace économique. La monnaie unique met à terme les risques de change entre les monnaies des pays membres et permet une application de la politique monétaire commune. Au bout du processus, l’intégration se traduit par la liberté de circulation des biens et des services, la liberté d’établissement et de prestation des services, la libre concurrence… Tout cela repose sur la volonté politique car les seuls flux commerciaux ne suffisent pas.
Avantages et désavantages
Les avantages sont liés à l’échange et au bien-être des citoyens : le libre-échange, la création de commerce, d’économies d’échelle, accroissement de la concurrence, réduction des inefficacités internes, accroissement de la taille du marché, augmentation du pouvoir de négociation, la stabilité et la paix. Tandis que les inconvénients, notamment au niveau politique et commercial : perte de souveraineté, détournement du commerce…Servant à régionaliser l’activité économique, l’intégration a des répercussions sur cette activité au niveau des ménages et des communautés, surtout en ce qui concerne l’emploi, principal déterminant du revenu des ménages et un des vecteurs clés du renforcement des capacités et de l’accès aux opportunités d’expansion du développement humain.
Pour comprendre la motivation de la demande d’adhésion de la RDC, il est important de présenter en bref les chiffres clés de son économie. La RDC a connu une situation florissante durant la période de l’avant et de l’immédiatement après-indépendance, avec une balance commerciale excédentaire, une structure des exportations diversifiées, marquée par la variété des produits agricoles (caoutchouc, fibres de coton, de jute et de sisal, huiles, noix palmistes, café, bois) ainsi que ceux du secteur d’extraction minière (cuivre, étain, cobalt, or, diamant…).
En 1950, par exemple, les secteurs de l’agriculture et de l’industrie contribuaient quasiment à part égale aux recettes en devises, soit respectivement 48,8 % pour l’agriculture et 51,2 % pour l’industrie. En 1959, la contribution de ces deux secteurs était respectivement de 42,8 % pour l’agriculture et 57,2 % pour l’industrie. L’agriculture et l’industrie contribuaient efficacement et de manière équilibrée aux exportations de la RDC. Par conséquent, la balance commerciale est restée excédentaire pendant de longues années.
Déficits abyssaux
Cependant, au cours des quatre dernières décennies, la RDC a aligné des déficits extérieurs abyssaux, et l’économie nationale a été l’une des plus extraverties et hyper-dépendantes de l’évolution des cours des matières premières et des importations. La structure de nos exportations reste encore dominée par des produits primaires (minerais et combustibles, vendus à l’état brut et dont la volatilité des prix impacte négativement les recettes publiques, les réserves de change et la valeur de la monnaie nationale) à hauteur de 93,2 %.
La tendance à la diversification de l’économie nationale, héritée de la colonisation, s’est effritée au fil des années au profit des produits de l’industrie extractive et au détriment de l’agriculture. En 1997, par exemple, l’industrie extractive a contribué aux recettes en devises à concurrence de 81,3 % alors que la part de l’agriculture a baissé à 12 %. Et la tendance baissière s’est accentuée au cours des années 2000. La contribution de l’industrie extractive aux recettes en devises du pays était de 87 %, alors que celle de l’agriculture s’est située à 4 % seulement de l’ensemble des recettes.
Et selon les statistiques de l’Organisation mondiale du commerce (OMC, 2014), la structure des exportations de la RDC se présente de la manière suivante : industrie extractive, 90,2 % (produits primaires) ; agriculture, 3 % (dont 77 % des produits primaires) ; la branche manufacturière, 4,7 % ; et le secteur des services, 2,1 %. Concernant la structure des importations, on observe la prédominance des produits agricoles, soit 73,7 % (dans la catégorie des importations des produits primaires, 29 %) et la prédominance des produits manufacturés, soit 70,2 %. Selon la Banque centrale du Congo (rapports sur la politique monétaire de 2014-2016), l’économie nationale repose essentiellement, depuis quelques années, sur les exportations des matières premières (produits miniers et hydrocarbures). Les produits miniers et les hydrocarbures ont contribué pour 10, 083 milliards de dollars, soit 98,0 % en 2015 et 9,337 milliards, soit 97,53% en 2016.
Pour les spécialistes, il existe un lien de cause à effet entre le volume, la structure des exportations et la structure des importations d’un pays et sa structure économique. D’après eux, la faiblesse structurelle d’une économie est reflétée tout naturellement par son impact négatif sur son commerce extérieur. Ils notent que le commerce est devenu le principal levier de la croissance économique et le moteur de développement des nations. Son expansion a permis à certains pays en développement d’amorcer l’envol pour se hisser au rang des pays émergents.
Rien à faire, il faut mettre fin à la forte dépendance de la RDC aux importations des produits alimentaires et manufacturés, en développant les chaînes de valeur dans l’agriculture et l’industrie. Les nations ne comptent plus que sur leurs avantages comparatifs basés uniquement sur la dotation en ressources naturelles. Elles sont désormais ancrées dans la logique d’avantages compétitifs, c’est-à-dire la qualité doit être au rendez-vous au côté de la quantité. Du point de vue historico-géographique, la RDC ne peut qu’être un « État commerçant ». Et sur le plan historique, les puissances mondiales avaient déjà donné, à la Conférence de Berlin de 1885, à l’État indépendant du Congo (EIC) un statut de zone de libre-échange. Où tout le monde pourrait commercer.
Et dans leur objectif de réaliser un développement régional rapide et équilibré, les États fondateurs de l’EAC/CAE (Kenya, Ouganda et Tanzanie) avaient en tête de créer un environnement capable d’attirer les investissements et donner la possibilité au secteur privé et à la société civile de jouer un rôle considérable dans la mise en œuvre de ces objectifs. L’adhésion de la RDC à l’EAC/CAE paraît donc logique. Tous les États qui la composent sont membres de la CIRGL, signataires de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba. La RDC apporte par ailleurs tout son potentiel quasi inexploité.