CE N’EST PAS de sitôt que Jean-Dominique Senard, le nouveau président de Renault, se remettra de l’échec du projet de fusion avec Fiat et des tensions persistantes avec son partenaire japonais Nissan. En tout cas, il s’est vu infliger un nouveau camouflet. Emmanuel Macron, le président français, aurait refusé de le recevoir. La position de celui qui avait été accueilli comme « l’homme providentiel » en janvier pour succéder à son compatriote Carlos Ghosn tombé en disgrâce, est apparue mercredi 12 juin fragilisée alors que les actionnaires se réunissaient dans l’après-midi en assemblée générale pour approuver formellement la nomination de l’ancien président de Michelin à la tête du groupe au losange. Le projet de fusion avec Fiat Chrysler Automobiles (FCA), défendu par Jean-Dominique Senard, a échoué en fait la semaine achevée le 9 juin après que l’État français a demandé un délai supplémentaire pour donner le temps à Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, de surmonter les réticences de Nissan. Après cet épisode, le président de Renault a demandé à rencontrer le président de la République pour s’assurer de son soutien, mais en vain, selon des sources proches de la présidence française.
Alliance en pleine crise
Sept mois après l’arrestation de Carlos Ghosn sur des accusations de malversations financières, qu’il dément, l’alliance franco-japonaise dont il a été l’artisan est en pleine crise. Nissan a refusé d’étudier la fusion complète avec Renault proposée par Jean-Dominique Senard, la priorité du groupe japonais consistant à desserrer l’étreinte de son partenaire français, qui détient 43,4 % de son capital.
Jean-Dominique Senard s’est alors tourné vers une proposition de fusion avec FCA, préparée sans que Nissan ne soit au courant. Mais là encore, le président de Renault s’est heurté à un mur, quand John Elkann, son homologue chez Fiat, a retiré son offre face aux conditions fixées par l’État français, principal actionnaire de Renault. Quelques jours plus tard, le président de Renault a fait part de son intention de bloquer la réforme de la gouvernance de Nissan à moins que Renault soit mieux représenté dans les puissants comités du groupe japonais, soulevant au passage une vague de protestation au Japon.
Selon des sources proches de Renault, l’exaspération de Jean-Dominique Senard est encore montée d’un cran quand Bruno Le Maire, soucieux d’apaiser les tensions en marge du G20, a évoqué publiquement la possibilité d’une baisse de la participation de 15 % de l’État dans Renault, voire de celle de Renault dans Nissan. Le président de Renault, qui s’est senti court-circuité par ces déclarations surprise, a alors confié à des collèges qu’il attendait désormais d’être « soutenu au plus haut niveau », a dit une des sources. Renault a refusé de faire un commentaire. Mais des sources proches du président du groupe automobile ont minimisé l’importance de ce refus, ajoutant que Jean-Dominique Senard était déterminé à rester à son poste.
L’une des principales missions confiées à Jean-Dominique Senard était de renouer avec Nissan un dialogue ébranlé par les révélations sur l’ancien homme fort de l’alliance. Mais Hiroto Saikawa et Thierry Bolloré, deux anciens bras droits de Carlos Ghosn, respectivement directeur général de Nissan et de Renault, s’adressent à peine la parole ce qui ne facilite pas vraiment l’apaisement, selon plusieurs sources. « Il en a pleinement pris conscience », a indiqué une source familière du mode de pensée du président de Renault.
Vote contre le maintien
Parmi les développements récents au Japon, la position de Hiroto Saikawa peut sembler également fragilisée après que deux sociétés de conseil de premier plan ont recommandé de voter contre son maintien en poste à l’assemblée générale de Nissan, le 25 juin prochain. Un vote négatif de Renault reste toutefois hautement improbable, le groupe devant soutenir les propositions du conseil d’administration de Nissan en vertu de l’accord de 2015, trouvé pour mettre fin à une crise liée à l’exercice de droits de vote double.
Le projet de fusion entre le groupe français Renault et l’italo-américain Fiat-Chrysler (FCA) « reste une belle opportunité », a déclaré lundi 10 juin Bruno Le Maire. Des analystes disent ne pas croire aux fusions entre égaux. Il n’y a qu’à voir les exemples de Lafarge et Holcim ou Luxottica et Essilor, sans parler de Daimler et Chrysler pour constater qu’il y en a toujours un qui prend le contrôle de l’autre. Il y a un dominant et un dominé. C’était clairement une OPA des Italiens pour prendre le contrôle de Renault sans payer la prime de contrôle. L’ultimatum de FCA sur la parité et l’urgence de la réponse n’a pas été un point positif. Quand on veut se marier pour la vie, on ne pose pas un ultimatum de quinze jours. Ca préfigurait mal de l’avenir.
Il y avait certes un effet volumes et des synergies à préciser. Mais FCA fait 60 % de son chiffre d’affaires en Amérique du Nord avec des véhicules totalement différents. Quid dans ce cas des achats communs et des synergies ? À part ça, l’intérêt pour Renault d’un telle fusion était ténu : FCA apportait des usines en Italie très sous-utilisées et une gamme de produits vieillissants. En outre, FCA a un niveau d’émissions de CO2 très élevé (124g/km). Pour éviter les amendes de Bruxelles, FCA est contraint d’acheter à Tesla pour 1,8 milliard d’euros de droits à polluer sur trois ans, soit 600 millions par an. C’est énorme.