COMME l’année dernière, le Code minier révisé et son corollaire le Règlement minier ont été au centre des débats lors de la 15è édition de la DRC Mining Week à Lubumbashi. Alors que l’année dernière, le climat était au bras de fer ou l’affrontement entre les miniers et l’État, cette année, Pullman Hotel Karavia a respiré plutôt un air d’apaisement. Même Albert Yuma Mulimbi, le président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) et président du conseil d’administration de la Générale des carrières et des mines (GECAMINES), a été moins percutant que d’habitude.
Quand bien même il est resté égal à lui-même. Par exemple, sa communication a pris 42 minutes, presque la moitié d’une partie de foot, le temps qu’il met en moyenne. Magistral comme à son habitude, Albert Yuma a déroulé, disséqué et donné une réalité concrète à ce qu’on pourrait désigner comme la nouvelle vision minière de la RDC. Son credo : plus jamais, alors plus jamais, l’État ne fera le lit aux investisseurs miniers comme par le passé. Mais « la RDC est ouverte à tous ceux qui voudront investir ici », a-t-il dit. Les organisateurs l’ont invité cette année pour parler de « la contribution du secteur privé pour la croissance ».
En se concentrant sur le thème de la DRC Mining Week de cette année « Repenser le modèle traditionnel minier dans la nouvelle ère des métaux », Albert Yuma a déclaré que « dans cette nouvelle ère des métaux, caractérisée notamment par le recours croissant à des métaux rares ou semi-rares dans des industries nouvelles comme l’éco-mobilité et par la concurrence internationale que se livrent les pays pour y avoir accès, la RDC occupe une place encore plus importante que par le passé sur l’échiquier mondial des matières premières ».
La thèse de Yuma
Et de poursuivre : « Ce n’est donc probablement pas un hasard si des délégations importantes, venues de pays que nous n’avions pas l’habitude de voir en si grand nombre sont présentes cette année ».
Cela étant dit, il lui paraît donc tout à fait normal que dans ce monde où ces métaux rares sont la clef du futur, « le propriétaire des ressources puisse bénéficier de l’avantage naturel qui lui a été donné pour adapter, en fonction de ses intérêts, le modèle économique de l’exploitation de ses ressources nationales pour en valoriser au mieux les retombées au service du développement économique et social de ses populations ».
En tant que président de Gécamines, a-t-il rappelé, il s’emploie à « une évolution en profondeur du modèle en place depuis la fin des années 1990 », qui n’a pas, hélas, apporté les résultats promis et sur lesquels l’État comptait. Le président national de la FEC s’est dit « particulièrement reconnaissant » à Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, « d’avoir affirmé avec force et constance qu’il ne laisserait pas la réforme de son prédécesseur être altérée, comme certains le souhaitent ». Tout comme il sait gré à Joseph Kabila Kabange, son prédécesseur, « d’avoir en son temps maintenu contre vents et marées sa volonté de réformer ce code minier au profit du peuple congolais », par la promulgation de la loi du 9 mars 2018.
« C’est un bien commun à tous les Congolais et il convient de le défendre comme tel. Et je peux vous assurer que moi, en tant que président national de la FEC, je m’opposerai à toute tentative de modifier le nouveau Code minier », a martelé Albert Yuma.
Qui reconnaît que « la législation ne couvre pas tout, même si elle trace des perspectives dans un grand nombre de sujets et a doté l’État de d’outils pour agir ».
Structurellement, a soutenu Yuma, une évolution réelle de la façon dont l’industrie minière est organisée en RDC est irréversible. « Une industrie à l’heure actuelle majoritairement extravertie où la part de la transformation locale est réduite à la portion congrue. À défaut de quoi, nous nous retrouverons probablement encore ici dans 10 ans et celui ou celle qui sera à cette place répétera peu ou prou, le même discours », a-t-il lancé.
Se voulant méthodique, le président national de la FEC appelle de ses vœux cette évolution, qui est selon son entendement un ensemble des principes essentiels. Tout d’abord, un modèle qui modifie les règles du partage de la ressource entre l’investisseur et le pays de l’investissement en alignant mieux leurs intérêts. Ensuite un modèle qui favorise la valeur ajoutée locale. Enfin, un modèle dans lequel la puissance publique joue réellement son rôle de gardienne de ses ressources stratégiques.
« À ces trois principales conditions, le secteur minier contribuera en profondeur à l’émergence d’un secteur privé développé où nationaux comme partenaires étrangers trouveront leur compte. L’activité appelle l’activité, et notre pays regorge encore de nombreuses opportunités de développement, dans les mines mais également, dans l’énergie ou les transports par exemple, qui en sont une composante essentielle », a encore dit Yuma.
Qui insiste : « Je ne cherche pas à ce que les Congolais remplacent les opérateurs étrangers actuels, cela n’a jamais marché. Je dis juste qu’il faudrait qu’il y ait aussi un tissu entrepreneurial congolais, comme cela fut le cas par le passé. »
Un secteur privé congolais
C’est indispensable, souligne-t-il, parce que « si on veut vraiment que le secteur privé contribue à la croissance de ce pays, joue un rôle de courroie de transmission entre l’économie et les populations, il faudrait qu’on puisse aussi compter sur un secteur privé congolais. Leçon : « Nous devons cesser de n’être que cette économie de rente qui nous fait utiliser les trop faibles devises qui reviennent dans le pays pour massivement importer des biens de première nécessité. » C’est à cette condition et à cette condition seule, pose le patron des patrons, qu’on pourrait « créer une réelle croissance durable et inclusive ».
Puisque nous ne sommes pas un « émirat gazier ou pétrolier » dont les ressources et la population lui permettent d’être un gestionnaire de patrimoine et de sous-traiter les opérations à d’autres, Albert Yuma appelle à « un meilleur équilibre dans la façon de vivre avec nos partenaires étrangers, pour le développement économique de notre secteur minier ». Comment ? En protégeant les revenus de l’État et ses entreprises, en usant de l’opportunité minière pour développer la valeur ajoutée locale et en redonnant les moyens à la puissance publique d’être la gardienne des ressources stratégiques du pays.
« Le modèle dominant de la joint-venture ou de l’amodiation traditionnelle qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui, par lesquelles l’État, ou les entreprises dont il est le propriétaire, concèdent la gestion de la ressource nationale à des investisseurs, a clairement montré son inefficacité à générer de la richesse pour le pays », a soutenu Albert Yuma. Dossier à suivre.