L’Union européenne (UE) et les États-Unis classent le cobalt comme une matière première stratégique. En effet, ce métal rare, autrefois utilisé comme pigment bleu, possède plusieurs propriétés recherchées dans un certain nombre de domaines. Ferromagnétique, il est protégé de l’oxydation par une fine couche d’oxyde et peut être attaqué par les halogènes et les composés soufrés. Le cobalt est utilisé dans les turbines à gaz en alliage avec le fer et le nickel, mais également pour former des alliages durs résistants à la corrosion.
Il faut dire que si le cobalt est aujourd’hui incontournable pour l’industrie, sa cherté et sa rareté le rendent encore plus stratégique. La RDC est le leader mondial avec plus de deux tiers de l’offre mondiale. Toutefois, aujourd’hui, deux secteurs industriels sont principalement évoqués quand on parle de l’approvisionnement en cobalt, ceux de l’électronique (smartphones) et de l’automobile (véhicules électriques).
Les différentes avancées technologiques ont rendu nécessaire la fabrication de nouvelles formes de batteries rechargeables rapidement, dans lesquelles le cobalt est primordial. Ainsi, de grands groupes industriels comme Apple ou encore BMW, Volkswagen, Samsung SDI, se battent sur le marché pour constituer des stocks avant la pénurie annoncée par les experts.
En 2008, la percée des smartphones a entrainé une hausse rapide de la demande de batteries rechargeables et, avec elle, une augmentation des prix du cobalt. Si le prix a fluctué les années qui ont suivi, c’est à partir de 2016 qu’il montera en flèche suite aux spéculations nées de la perspective d’une croissance des ventes de véhicules électriques. De 2016 à 2018, le prix est passé d’environ 26 000 dollars la tonne à plus de 90 000 dollars. « Les gains des prix sont dus à la fois à la hausse de la demande des consommateurs et à une demande accrue des investisseurs sur un marché ouvert réduit », explique l’institut géologique américain, l’USGS.
Craintes d’une pénurie
Au premier trimestre 2018, l’ampleur des craintes d’une pénurie due au boom attendu des véhicules électriques, a fait plafonner les cours. En mars 2018, le cours du cobalt a grimpé jusqu’à 95 500 dollars/tonne, son plus haut niveau depuis que la bourse des métaux de Londres a commencé à suivre ce métal en 2010. Les géants industriels se sont lancés dans une course pour se constituer des stocks, afin de répondre à leurs besoins futurs. Cette situation a entraîné plus d’investissements dans le secteur et incité les producteurs de cobalt à accroître leurs capacités d’extraction. De plus, des industriels chinois et africains thésaurisaient le cobalt pour le remettre sur le marché quand les prix seraient en hausse.
Pendant ce temps, le boom annoncé des véhicules électriques tarde à atteindre les niveaux annoncés par le passé. Depuis quelques mois, les acteurs du marché prennent conscience que la demande en batterie pour les voitures électriques ne serait pas aussi importante que l’ampleur des mouvements écologistes le laissait présager. « Tout le monde en parle, mais qui fabrique exactement des véhicules électriques à grande échelle ? Tesla ? Qui d’autre ? Et combien de points de recharge voyez-vous ? », explique un acteur du marché à la BBC. Toutes ces situations combinées ont mis le marché en surabondance, et entraîné une chute violente des prix. Fin juillet 2019, le prix du métal bleu, en chute libre depuis le début de l’année, est retombé à 26 000 dollars/tonne, son plus bas niveau en trois ans.
Le géant minier suisse Glencore a décidé début août de fermer temporairement la mine congolaise de Mutanda, l’un des plus grands sites d’exploitation de cobalt et de cuivre au monde. La décision de mise en régime de maintenance et entretien prendra effet dès le début de l’année prochaine. Selon le groupe, la mine, qui a représenté l’année passée un cinquième de l’offre mondiale de cobalt, « n’est plus économiquement viable », à cause de la chute des prix.
« En raison de la baisse importante du prix du cobalt, de l’inflation accrue de certains de nos principaux intrants (principalement l’acide sulfurique) et des taxes supplémentaires imposées par le code minier, la mine n’est plus économiquement viable à long terme », a déclaré Glencore, qui a vu son bénéfice net chuter de 92 % en glissement annuel pour atteindre 226 millions de dollars. En outre, quelques jours après l’annonce de Glencore, toujours en RDC, la compagnie chinoise Huayou Cobalt a décidé de se retirer d’un accord qui devait la voir investir 66,3 millions de dollars pour acquérir 51 % de participation dans une mine de cobalt appartenant à Lucky Resources Holdings. La compagnie a expliqué dans une note à la bourse de Shanghai, qu’après la signature de l’accord (en décembre 2017), le marché a subi un « changement assez important », faisant référence à la chute des prix.
Les avis d’experts
La plupart des experts s’accordent sur le fait que la situation actuelle du marché ne devrait pas beaucoup évoluer à court terme. Selon Jon Hykawy de Stormcrow Capital, l’offre sera supérieure à la demande pour au moins l’année à venir ou d’ici 18 mois. Au début du troisième trimestre de l’année, certains facteurs et annonces clés pourraient toutefois avoir une incidence sur le marché du cobalt. « Il est possible que les prix se redressent légèrement à la fin du troisième trimestre et au quatrième trimestre, car il s’agit généralement d’une période de pointe pour l’industrie des batteries. Un facteur clé sera de voir l’impact de la réduction des subventions sur les ventes de véhicules électriques en Chine », a déclaré à Investing News Network, Caspar Rawles, analyste chez Benchmark Mineral Intelligence.
Toutefois, il y aurait encore de l’espoir pour le cobalt à long terme, si le boom attendu des véhicules électriques se concrétise. « Le surplus de cobalt devrait se réduire au fur et à mesure que la demande s’accélère, avant que cette dernière ne dépasse l’offre en 2022, ce qui fera remonter les prix», prévoit la firme Darton Commodities, spécialiste du marché, relayé par le journal Les Affaires. Selon Darton, il est possible que les constructeurs d’automobiles et les fabricants de batteries électriques profitent des faibles prix actuels pour se constituer leurs propres stocks, ce qui devrait contribuer à relever la demande et donc permettre aux prix de remonter.
Selon le cabinet d’études britannique CRU International une fois la crise passée, l’essor du marché des véhicules électriques va drainer une hausse de la demande de cobalt de 25 % à 35 % par an lors des cinq prochaines années. « Ce sera le moment critique pour la demande mondiale de cobalt, car les grands constructeurs automobiles, BMW, Volkswagen, Ford et Daimler sont prêts à augmenter leur production », indique George Heppel, un expert du cabinet. La cherté du cobalt, sa rareté et son quasi-monopole par la RDC inquiètent de plus en plus les investisseurs. En plus d’investir dans la quête d’autres sources de cobalt, ces derniers financent également des recherches pour identifier des technologies de diversification. Par exemple, selon le Monde, CATL, le plus grand fabricant de batteries de la planète, travaille déjà à réduire sa dépendance au cobalt en cherchant des moyens d’abaisser son taux dans les batteries. Le taux est sur le point d’être ramené de 20 % à 12 % et pourrait même chuter à 7 % en 2021.