À KINSHASA, des écoles publiques ont été débordées à la veille de la rentrée des classes prévue le lundi 2 septembre par les nouvelles demandes d’inscription d’élèves. Motivés par l’instauration de la gratuite de l’enseignement primaire prônée par Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, beaucoup de parents de Kinshasa cherchent à sortir leurs enfants des écoles privées pour les mettre dans les écoles publiques.
C’est le 21 août que la suppression de tous les frais de scolarité de l’enseignement primaire dans les établissements publics a été annoncée par le ministre sortant en charge de l’éducation, la veille de la table ronde consacrée à la gratuité de cet enseignement. L’objectif de cette table ronde a été d’examiner les modalités pratiques qui permettent la mise en œuvre effective de cette gratuité. Dans certaines écoles publiques, surtout celles du réseau catholique, des parents affluent pour récupérer les frais déjà payés au titre d’acompte. Il est regrettable de constater qu’au lycée Mpiko de Lemba, tenue par des sœurs religieuses, des parents soient allés jusqu’à accuser la sœur directrice auprès des services de renseignement, alors que les frais scolaires sont payés à Afriland First Bank… Les frais supprimés sont les frais de minerval, de bulletin, les frais de l’assurance et ceux de l’identification des élèves. Emery Okundji Ndjovu, le ministre sortant de l’Enseignement primaire et secondaire, a demandé aux responsables d’écoles de « restituer les frais-là aux parents d’élèves ». Tout en promettant des « sanctions exemplaires » à l’encontre de ceux qui ne vont pas respecter toutes ces décisions : « Nous allons sanctionner sévèrement toutes ces écoles qui vont continuer à percevoir indûment l’argent des parents. Ceux qui ont perçu et qui ne veulent pas restituer. Et nous allons répercuter le message à tous les niveaux ». Et depuis, il y a une réelle effervescence, soit pour récupérer l’argent déjà payé, soit pour trouver une place dans les écoles publiques.
Malgré l’afflux de parents, il y a quand même dans l’enseignement les effectifs règlementaires qu’il ne faut pas dépasser. L’État devra alors faire le nécessaire pour augmenter les infrastructures afin d’accueillir d’autres élèves dans les écoles publiques. En assurant la gratuité, le président Félix Antoine Tshisekedi entend réduire le taux d’enfants privés d’éducation à cause de la pauvreté, ce qui touche plus de la moitié de la population.
Quant aux frais de fonctionnement, le gouvernement a promis de les allouer mensuellement aux écoles. Là, les chefs d’établissement et les enseignants demandent à voir. Outre la volonté politique affichée par le chef de l’État, il faudra améliorer les conditions de vie des enseignants. Des partenaires éducatifs du gouvernement recommandent au gouvernement d’octroyer des primes de diplômes aux enseignants pédagogues et des primes de technicité aux enseignants d’écoles techniques et professionnels. Ce sont en effet les parents qui paient le salaire des enseignants, qui touchent l’équivalent de 60 dollars, en plus d’une prime d’encouragement de 20 dollars tout au plus. Les parents doivent également payer les fournitures scolaires.
Toutefois, dans l’entendement du président de la République, la gratuité est un processus qui devra s’étendre jusqu’au niveau du secondaire. Et c’est la raison de la tenue de la table ronde. Le coût global pour assurer la gratuité de l’enseignement au niveau du primaire dès la rentrée scolaire 2019-2020 est estimé à plus de 4 225 milliards de francs congolais par an, soit près de 2,6 milliards de dollars. La gratuité de l’enseignement primaire public est prévue par la constitution de février 2006.
Depuis 1990, l’éducation est devenue un fardeau pour beaucoup de parents dans un pays où le PIB moyen par habitant est de 495 dollars par an, soit 1,35 dollar par jour. L’État dépenserait environ 57 dollars par an pour chaque élève de primaire, alors qu’un pays comme le Cap Vert dépense environ 1 157 dollars par enfant chaque année, souligne Nicole Bella, statisticienne en charge de l’analyse des politiques éducatives à l’UNESCO.
Comme chat échaudé
Malgré l’assurance du gouvernement de commencer l’opération dès cette année scolaire, le coût de la gratuité (40 % du budget total de l’État), n’a pas été inscrit dans le budget 2019. Des observateurs ont peur que cela ne reste qu’un vœu pieux. Le Partenariat mondial de l’éducation (PME) a recensé 3,5 millions d’enfants en âge de fréquenter l’école primaire et qui ne sont pas scolarisés. « C’est un engagement politique important qui ne tient pas compte de certaines réalités », déclare Jean-Mobert Senga, spécialiste de la RDC à Amnesty International. « Il faut aussi noter le problème de la qualité de cet enseignement. Les écoles sont dans un très mauvais état », ajoute-t-il. La Coalition nationale de l’éducation pour tous (CONEPT) a salué vendredi 30 août l’instauration par le gouvernement de la gratuité de l’enseignement de base en RDC, à partir de l’année scolaire 2019-2020, dont l’ouverture est prévue le lundi 2 septembre. Le coordonnateur provincial de cette structure, Remy Sazumba, a par ailleurs demandé aux parents de s’inscrire dans cette logique et éviter de garder les enfants à la maison. « Nous lançons un appel aux parents d’élèves et tuteurs de ne rien laisser comme enfants qui a l’âge scolaire à la maison. Cette année ou jamais, nous devons avoir tous les enfants à l’école !», a affirmé Remy Sazumba.
Sont lui, les parents ne pourront plus prétexter le manque de moyens financiers pour ne pas scolariser leurs progénitures.
Le ministre intérimaire de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel, Emery Okundji avait annoncé mercredi 21 août la suppression, dans les écoles publiques, des frais de minerval, de bulletin, de l’assurance et de ceux de l’identification des élèves.