LE SUSPENSE a duré quatre bonnes années après l’entrée en vigueur du code des assurances consacrant la libéralisation du secteur et trois ans après le décret du 1ER Ministre portant création, organisation et fonctionnement de l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances (ARCA), en tant qu’établissement public régulateur dans le secteur. C’est le 28 mars dernier que l’ARCA a dévoilé les noms des compagnies d’assurances, de réassurance et de courtage, six au total, autorisées à fonctionner en République démocratique du Congo. L’annonce faite in tempore non suspecto, c’est-à-dire au sortir des élections présidentielle et législatives après une longue période (2015-2018) des tensions politiques au pays, n’a pas suscité de vives réactions.
Seuls des observateurs ont fait remarquer qu’il n’y avait pas les mammouths du secteur des assurances sur cette première liste publiée.
À cette exception près, ce fut le silence absolu. Sans doute parce que, comme leurs politiciens, les populations sont un peu perdues quand il s’agit d’aborder les sujets hautement techniques comme celui des assurances.
Presqu’un mois après, soit le 30 avril, l’ARCA a remis officiellement les agréments à quatre sociétés d’assurances, Rawsur Life SA et Rawsur SA, filiales de la Rawbank ; Activa Assurance RDC, filiale du groupe camerounais ACTIVA ; Société Financière d’Assurance Congo (SFA-Congo) ; et à deux sociétés de courtage : Gras Savoye RDC et Allied Insurance Brokers (AIB). À cette occasion, Alain Kaninda, le directeur général de l’ARCA, a invité à travailler au « développement d’un marché dynamique, inclusif, équitable et conforme aux standards internationaux ».
Les perspectives du marché
Selon des experts bien au fait, le marché local des assurances pèserait entre 71 et 80 millions de dollars de chiffre d’affaires annuel en termes de volume de primes. Selon les données du secteur, notamment du régulateur, le taux de pénétration est encore en dessous de 1 %, alors que la moyenne en Afrique est au-delà de 13 %. Néanmoins, les experts restent positifs : la RDC regorge de nombreuses opportunités d’affaires pour les investisseurs. Et ils estiment le potentiel du marché des assurances à quelque 5 milliards de dollars sur les dix prochaines années.
Les perspectives du marché local des assurances des personnes sont donc importantes. Le pays est en pleine reconstruction. Il y a une forte croissance dans le secteur des infrastructures et de la construction connaissent… Les experts disent qu’il y a une corrélation directe entre la croissance du Produit intérieur brut (PIB) et le développement du marché des assurances. D’après les experts du cabinet Ernst & Young, spécialisé dans les assurances, le marché de RDC est encore peu développé, voire quasi inexistant. Avec le nombre de primes qu’il va engranger à travers la libéralisation, Herman Mbonyo, ancien administrateur délégué général de la SONAS, pronostique que le pays deviendra la plaque tournante des crédits sur les marchés africains parce qu’étroits, soit démographiquement, soit géographiquement.
En attendant, les six opérateurs agréés ont pleinement le droit de développer leurs activités. La Société nationale d’assurances (SONAS) devra se plier à la même réglementation que les autres, mais du fait de sa présence déjà dans le secteur, elle n’a pas eu à répondre aux mêmes exigences d’agrément. La SONAS qui était depuis 1970 l’unique opérateur dans le secteur, n’était plus en capacité de jouer son rôle comme il se doit.
La réforme du secteur des assurances avait été lancée en 2012 et a abouti à la promulgation du nouveau code en 2015. À fin 2017, une quinzaine de sociétés congolaises et étrangères avaient fait la demande de l’agrément auprès de l’autorité de régulation. Et pourquoi seulement en agréer seulement six ? Le label de l’ARCA, c’est participer au développement du pays, promouvoir le « local content » dans le management (direction de la compagnie) ainsi que dans l’actionnariat (capital), et conformer la qualité des produits et des services aux besoins du marché. Apparemment, ces sociétés ont convaincu l’ARCA. Apparemment !
Avant même que le secteur ne s’ouvre effectivement à la concurrence, on assistait à un empressement tous azimuts des majors. Et dans l’opinion, d’aucuns craignaient déjà que la libéralisation du secteur ne laisse la voie libre à la prédation ou au blanchiment d’argent. Pour rappel, le nouveau code des assurances s’applique aux opérations d’assurance et réassurance réalisées en RDC, à l’exception des opérations d’assurance relevant de la sécurité sociale.
Celles-là avaient l’ambition
La Fédération des entreprises du Congo (FEC) a toujours été favorable à la libéralisation de ce secteur, car elle y voit un créneau à même d’attirer davantage d’investissements dans l’avenir. Ce qui participe de l’assainissement du climat des affaires en RDC. Mais l’irruption attendue des mammouths sur le marché local n’est pas arrivée. Pourquoi ? Est-ce qu’ils ont été déçus du processus ? Est-ce qu’ils cherchaient à prendre le contrôle du marché pour quelle fin ? Est-ce qu’il n’y a pas eu d’actionnaires congolais auxquels s’allier comme réclamé par l’ARCA ? Finalement, qu’est-ce qui a refroidi l’enthousiasme du départ des majors des assurances dans le monde ?
Un ancien cadre de la SONAS à la retraite confiait à Business et Finances : « J’espère que le code des assurances évitera au pays une vaste escroquerie ! À la seule condition qu’il offre aux opérateurs économiques et aux consommateurs un cadre libéral, attractif, juste, exigeant et sécurisant. » D’après cet expert des assurances qui se prépare à exercer comme consultant, la nouvelle loi doit « offrir aux acteurs les garanties d’une grande impartialité et d’un interventionnisme étatique réduit à sa plus simple expression ». Le code des assurances est censé organiser les conditions d’une saine concurrence destinée à aboutir à une optimisation des choix et des coûts pour les assurés.
Allianz agressive
Allianz qui est le leader dans le monde dans le secteur des assurances, la multinationale cherche à refaire son retard en Afrique. Après la République du Congo, où elle est présente depuis 2011, à travers Allianz Africa, le numéro un mondial de l’assurance des biens et responsabilités, lorgnait la RDC. Les services qu’elle assure couvrent les particuliers et les professionnels, grâce à l’appui de la maison mère et des réassureurs internationaux.
Depuis 2016, Allianz ne cache plus son ambition de maillage du continent africain. Par exemple, elle a racheté Ensure Insurance (Nigeria), pour un coût estimé à 35 millions de dollars. Elle a aussi acquis 8 % dans le capital d’Africa Re, la société panafricaine de la réassurance. En 2016, l’assureur allemand avait racheté la filiale marocaine de Zurich Insurance pour 274 millions de dollars. À la fin de 2017, Allianz X, la branche d’investissement numérique du groupe, a injecté 96,6 millions de dollars dans BIMA, micro-assureur spécialisé dans le numérique, présent en Afrique, en Asie et en Amérique latine….
Allianz ne définit pas sa stratégie en réaction aux concurrents mais veut être un leader de l’assurance en Afrique. Présente dans dix-sept pays africains, l’objectif d’Allianz : ne pas être absente du domaine de la technologie mobile, qui est le meilleur outil pour faire croître le taux de pénétration de l’assurance en Afrique, et investir de manière plus agressive dans les pays d’Afrique francophone. Le challenge africain d’Allianz n’est pas simple. L’assureur allemand n’occupe des positions de leader que dans une poignée de ses implantations : au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Au Maroc, sa filiale n’apparaît même pas dans les cinq premiers du marché. Quant à Ensure Insurance, elle représente à peine 2 % des primes émises au Nigeria.
Fondé en 1890 à Berlin en Allemagne, Allianz est le premier groupe d’assurances en Europe, et le cinquième gestionnaire d’actifs au monde. Ses services diversifiés vont de l’assurance-dommage à l’assurance-vie. Actif en Allemagne, France et Italie, Allianz utilise également son réseau d’agents d’assurances pour vendre des produits bancaires. Bref, l’acquisition intégrale de l’Assurance générale de France (AGF) en 2007 a permis à Allianz de mettre pied en Afrique.
Axa, une présence mondiale indéniable
Faut-il voir dans l’effervescence d’Allianz une réaction au grand rival français ? Axa est présente dans huit pays africains, mais encore très loin des leaders, Saham (Maroc), Sanlam et Old Mutual Life Insurance (Afrique du Sud). Le groupe français avait aussi des ambitions pour le marché de la RDC. À l’origine, une compagnie mutuelle contre l’incendie dans la ville de Rouen, dont la fonction principale était de couvrir les risques agricoles en Normandie, le futur groupe Axa avait déjà commencé une timide internationalisation en 1955 en acquérant une compagnie québécoise dénommée Provinces-Unies. Vingt ans plus tard, la société accéléra son développement, notamment en créant une filiale de réassurance, afin de pouvoir mieux observer les marchés étrangers.
En 1985, Axa devint la dénomination de la société issue de la fusion en 1982 de Mutuelles Unies et Drouot. Appuyé par une grande banque et sa base arrière des mutuelles protectrices, en rachetant plusieurs sociétés d’assurance, Axa devint ainsi le numéro deux de l’assurance en France, derrière l’UAP. Axa étendit par la suite ses tentacules en Europe et lorgnait le premier marché mondial de l’assurance, les États-Unis… L’année 1996 fut une année charnière pour ce groupe. Il débuta ses activités au Maroc en rachetant Assurance Al Amane puis l’UAP. La fusion avec UAP en 1998 donna naissance à la plus importante entreprise française par le chiffre d’affaires (313 milliards de francs de l’époque). En 2000, Axa acquit Sanford Bernstein puis créa Axa Bank Belgium, et fit d’autres acquisitions : Banque Directe, filiale du groupe BNP-Paribas (2002) devenue Axa Banque, Winterthur assurances en Suisse (2005), filiale française de Nationale Suisse (2007), entrée dans les marchés coréen et ukrainien (2007), ING Seguros Mexique, OYAK (2008), Omniasig Roumanie (2009) devenue Life Axa. En 2010, Axa renforça sa position en Chine à travers une joint-venture avec la banque ICBC.
En 2012, Axa lança en Chine la filiale d’ICBC-Axa Life, puis, à la suite du rachat de la filiale de HSBC, il devint le numéro un pour l’assurance dommage à Hong-Kong. En 2013, Axa acquit 50 % de Tian Ping, société chinoise d’assurance dommages. En 2014, il devint l’actionnaire majoritaire dans l’assureur nigérian Mansard pour 198 millions d’euros. Axa a repris l’entreprise égyptienne Commercial International Life Insurance pour 88 millions de dollars.
Les Sud-Africains
Santam et Liberty Group avaient dépêché des émissaires à Kinshasa pour prospecter le marché. Santam Ltd passe actuellement pour la plus importante compagnie d’assurances d’Afrique du Sud. Elle s’est lancée localement dans de petites acquisitions et des joint-ventures après une expérience infructueuse à l’international, notamment en Europe. Santam envisageait de gagner 20 % de son chiffre d’affaires du marché indien et 20 % du reste de l’Afrique.
Liberty Group a également une vision pour l’Afrique. Troisième fournisseur de services d’assurances en Afrique du Sud, le groupe avait annoncé un plan d’expansion en Afrique, dont la capitale kenyane, Nairobi, sera le hub régional pour l’Afrique de l’Est, tandis que Lagos au Nigeria servira le Ghana, la Guinée et la Côte d’ivoire. Liberty Group a aussi des représentations au Botswana, au Lesotho, en Namibie et au Swaziland. Ses services couvrent l’assurance-vie et l’assurance-maladie.
Le marché congolais intéressait également les autres sociétés africaines plutôt agressives. Il s’agit de la Nouvelle société interafricaine d’assurance (NSIA). C’est un groupe fondé en 1995 par l’Ivoirien Jean Kacou Diagou et évoluant dans le secteur de la banque et des assurances. En 1996, NSIA racheta la filiale ivoirienne de l’Assurance générale de France (AGF), et commença alors sa croissance en tant que groupe. Il créa en 1998 la Nouvelle société assurance Bénin (NSAB), puis en 2000, il racheta la Mutuelle du Gabon, qui devint NSIA Gabon. De 2000 à 2007, le groupe comptait en son sein quinze entreprises, dont la Banque internationale pour l’Afrique de l’Ouest (BIAO), 6è au classement des banques de Cote d’Ivoire), et ex-filiale de la Belgolaise. En chiffres, le groupe NSIA pèse plus de 72 milliards de FCFA. Le groupe kenyan Jubilee Insurance avait également annoncé, en octobre 2015, avoir entamé ses opérations en RDC dans le cadre d’un plan d’expansion en Afrique subsaharienne, incluant aussi des implantations en Éthiopie et à Madagascar. C’est une filiale de Jubilee Holdings Ltd dont le siège se trouve à Nairobi et présente au Burundi, à Maurice, en Tanzanie, en Ouganda et au Pakistan. Selon le rapport 2014 de la Kenyan Insurance Regulatory Authority, cette compagnie d’assurances est actuellement la première en parts de marché kenyan, avec 11,9 %, devant Britam et Insurance Group CIC Ltd, qui détenaient respectivement 11,2 % et 9 %.
Un grand groupe émirati, lui aussi, envisageait de venir en RDC, parce que le pays était à un tournant décisif de son histoire. Le nom ni la vision de ce groupe n’ont toutefois pas été dévoilés alors que des responsables avaient promis de donner un point de presse à Kinshasa, à la veille de l’entrée en vigueur du code des assurances. Et depuis, plus rien.