C’EST QUOI le commerce électronique ? Quelles en sont les contraintes ? De manière triviale, l’e-commerce ou le commerce électronique est un commerce où le magasin est tout simplement virtuel. Selon l’analyste Al Kitenge, il correspond à des donneurs et fournisseurs de biens et services réels et à des acheteurs réels qui se rencontrent seulement autour d’internet. D’après lui, cela pose deux types de problèmes. Lesquels ?
Le premier problème est celui de la confiance : « Tous les pays du monde ont déjà réglé ce problème sauf la République démocratique du Congo. Simplement parce que nous n’anticipons pas les choses. » Le deuxième problème, c’est le mécanisme de paiement : « Tous les pays du monde l’ont résolu. Ils ont mis en place des gateways de paiement électronique et ils ont des systèmes de sécurité pour que l’argent dépensé sur le portail électronique arrive en sécurité chez les destinataires. Ce n’est pas aussi réglementé chez nous. » D’après Al Kitenge, « nous avons accumulé beaucoup de retard sur le commerce électronique ». Les défis qui se posent à nous, les utilisateurs, c’est qu’il faut d’abord un minimum d’apprentissage. Ensuite, c’est le portage de la marchandise. Dans tous les pays du monde, c’est généralement la poste qui est le grand livreur. Après il faudra développer d’autres porteurs qui devront être certifiés. Il faut aussi un minimum de réglementation pour assurer la sécurité des uns et des autres parce que les abus ne manquent pas. Est-ce que les Congolais sont près d’intégrer le commerce électronique dans leurs habitudes ? Difficile à dire, mais les mentalités se doivent d’évoluer. Pour la plupart des observateurs, la « révolution » viendra très rapidement, à en juger par la manière dont les Congolais absorbent les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Et cela dépendra également de la facilité à accéder à internet.
Seulement voilà, le commerce électronique suggère un nouveau type d’activité économique qui présente certaines particularités, liées à la nature: globalité, automaticité et immatérialité, qui se heurtent à divers risques découlant de l’usage du téléphone et de l’internet. C’est donc tout cela qui doit être réglementé : la vente de biens et la fourniture de services à distance par voie électronique dans plusieurs secteurs d’activités, la mise en ligne des services offerts par l’État aux administrés…
Réglementer veut dire relever les défis, notamment juridiques soulevés par les transactions entre particuliers. À l’analyse, le projet de loi qui avait été déposé à l’Assemblée nationale sur l’échange et le commerce électronique, semble être une décision politique d’ouverture au commerce électronique, en s’inspirant de la loi type de la CNUDCI sur le commerce électronique adoptée par la résolution n° 51/162 de l’Assemblée générale de l’ONU du 16 décembre 1996.
Il en emprunte les principes, comme l’équivalence fonctionnelle entre, d’une part, le document et la signature électroniques et, d’autre part, le document et la signature de l’écrit classique, sous réserve de leur accessibilité, de leur fiabilité et de leur intangibilité, tout particulièrement pour ce qui est de la signature. L’écrit sous forme électronique revêt ainsi la même valeur que l’écrit papier (revêtu de la signature manuscrite). Mais aussi la question de l’exercice d’un droit de rétractation et de protection des consommateurs contre les prospections commerciales.
Là où ce projet de loi pèche, c’est quand il n’intègre pas la nécessité pour le prestataire de service de connaître la qualité de l’internaute dans l’interface graphique, alors que l’Acte uniforme sur le droit commercial général ne permet la conclusion de certaines catégories des contrats qu’entre professionnels : ventes de valeurs mobilières, ventes de navires, ventes d’électricité (Articles 234 et 235).
D’où la nécessité d’imposer également au prestataire de service une obligation particulière d’information portant sur sa propre identité (nom ou dénomination commerciale, adresse d’établissement, adresse e-mail de contact, numéro de téléphone…) et son activité professionnelle (registre du commerce, ordre professionnel auquel il appartient, code de conduite auquel il serait soumis…), comme le suggère Etienne Montero. D’autant plus que le vide juridique accentue les risques de dissimulation des données requises par la loi.
Par ailleurs, d’autres experts relèvent que le projet de loi a tout faux, lorsqu’il prévoit la possibilité aux autorités administratives, sans les nommer spécifiquement et clairement, de restreindre l’exercice du commerce en ligne d’un prestataire de service, qui plus est, sans en fixer la durée (article 9). Cette restriction peut freiner l’éclosion du commerce électronique et porter atteinte au principe de la liberté d’entreprendre. Elle est aussi incompatible avec l’article 11 de l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit commercial qui attribue ce pouvoir qu’à une autorité judiciaire (le tribunal de commerce).
L’article 10, alinéa 1, du projet de loi dispose : « Toute publicité sous quelque forme que ce soit, accessible par un service en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle comporte la mention ‘publicité’ de manière lisible, apparente et non équivoque ». D’après les mêmes experts, la conséquence de l’application stricte de cette disposition est l’envoi automatique des messages dits publicitaires vers le courriel indésirable (la boite spam) par les messageries tels que Gmail et Yahoo. Par conséquent, le projet de loi ne prend donc pas en compte les internautes qui consentiraient à recevoir des mails de prospection dans leurs courriers électroniques.
Concernant le consentement d’une personne à recevoir un message publicitaire, le projet de loi a opté pour la thèse de l’Opt-in. En attendant le choix que pourraient opérer le législateur OHADA dans le projet d’Acte Uniforme sur le droit des contrats eu égard aux besoins du commerce électronique, le mieux serait d’adapter les dispositions sur la prospection vers un refuge législatif plus certain à l’instar de la législation française et belge.
L’Acte uniforme relatif au droit commercial général de l’espace OHADA, dans sa version révisée de 2016 ancre la pratique commerciale dans la modernité avec un arsenal juridique reconnaissant les contrats dématérialisés. En définitive, le projet de loi comporte des risques juridiques en matière d’identification des parties, de liberté d’entreprendre, de prospection et de publicité en ligne. Le flou persiste sur certaines questions importantes, notamment le droit de rétraction en ligne, les conditions auxquelles l’exécution du contrat en ligne est soumise, la responsabilité des prestataires intermédiaires, l’exonération de responsabilité pour certaines activités exercées par les prestataires, les intermédiaires (fournisseurs d’accès, d’hébergement…), et la loi applicable aux contrats en ligne.