ON NE PRÉSENTE plus Denis Kalume Numbi. Soixante-quatorze ans d’une vie aussi exceptionnelle que mouvementée, général d’armée à la retraite, plusieurs fois ministre, premier commandant du Service National, préparateur de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) et de festivités du cinquantenaire de l’indépendance, négociateur de la République démocratique du Congo dans la mise en œuvre de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba…
Partout où il est passé, Denis Kalume Numbi a imprimé sa marque. Aujourd’hui, toujours en bon patriote, il continue à servir son pays, cette fois dans la diplomatie, avec le même esprit : ordre, sens d’organisation et travail bien fait. Ceux qui ont travaillé à ses côtés témoignent avoir été fascinés par son énergie de lapin Duracell.
Jeune, il s’engage dans l’armée. Le voilà à l’École de Cadets, puis à l’École (Académie) royale militaire de Bruxelles (106è promotion). Après sa formation militaire en Belgique, il rentre au pays pour servir dans l’armée. Son talent et sa compétence le font vite remarquer. Il entre au gouvernement, comme vice-ministre à la Défense nationale.
Dans le tumulte du début des années 90, consécutif au vent de la Perestroïka qui souffla fortement sur l’Afrique, tel une tempête, Mobutu Sese Seko, le président de la République, le charge de préparer la Conférence Nationale Souveraine (CNS) qui ouvre ses portes en août 1991. Non seulement Etienne Tshisekedi wa Mulumba, alors opposant farouche à Mobutu, y participe, mais aussi il y est élu 1ER Ministre.
Effarouché, le Maréchal Mobutu en veut au général Kalume. Comme pour le punir, il le relègue à la Base militaire de Kamina (BAKA), construite par les colons belges pour permettre aux jeunes Belges de la colonie d’y faire leur service militaire. Loin de Kinshasa, privé de sa famille et coupé de tout contact, Denis Kalume trouve la BAKA dans un état de quasi abandon.
À quelque chose malheur est parfois bon, dit un adage français, son petit doigt lui dit de s’occuper et d’occuper les hommes de troupe réduits à l’état de loque humaine. Connaissant l’armée et les hommes qui la composent, Kalume réussit un tour de réarmement moral. Lui et les militaires qu’il a trouvés là-bas, font leur le précieux conte du laboureur et ses enfants de Jean de la Fontaine.
Ils se mettent alors à labourer la terre, cultivant de vastes champs de maïs. Des tonnes de maïs sont alors récoltées et vendues au Katanga, au Kasaï, au Maniema, voire à Kinshasa.
La BAKA revit
Avec le revenu de leur travail de champ, les militaires peuvent alors subvenir à leurs besoins : manger, se vêtir, se soigner, scolariser les enfants, et surtout s’acheter des souvenirs (télévision, vélo, frigo, machine à coudre, etc.). L’électricité, par exemple, est rétablie dans le centre militaire de Kamina, même les villages riverains en bénéficient. Bref, la vie reprend à la BAKA.
Lorsque la guerre de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) éclate, en 1996, le général Denis Kalume est rappelé à Kinshasa et envoyé au front au plus près du danger. Et quand l’AFDL, dans sa marche vers la conquête du pouvoir à Kinshasa, arrive au Katanga, Mzee Laurent Désiré Kabila est émerveillé par ce qu’il voit à la BAKA et dans les alentours. Il se fait entendre par les notables des communautés riveraines que c’est par le génie d’un homme, le général Denis Kalume, que cela est arrivé. En 1998, pressé de mettre en œuvre sa vision d’autosuffisance alimentaire, Laurent Désiré Kabila s’en souvient. Il fait chercher Denis Kalume et lui charge de réfléchir sur la façon d’étendre l’expérience de la BAKA à l’échelle nationale. Ainsi est créé le Service National et Mzee Kabila place le général Kalume à sa tête.
Cette structure qui rassemble des militaires et des civils, a pour mission : la production agricole pour pallier le déficit alimentaire de la population, la formation des jeunes aux métiers manuels (maçonnerie, électricité, menuiserie, etc.) et la formation militaire de base.
En quelque deux ans, le Service National, avec son centre pilote à Kaniama et Kasese (Sud-Ouest du Katanga), marque les esprits des Congolais. Avant même que d’autres centres ne soient ouverts dans les provinces non encore occupées par les mouvements rebelles (RDC et MLC), afin d’encadrer les jeunes filles et garçons désœuvrés…
Centres d’incubation
Dans la vision de Mzee Kabila, il était question de « transformer progressivement chaque centre en un véritable pôle de développement intégré, en fournissant l’appui technique et matériel à tous les villages environnants ». Mais aussi de « transformer les centres de production et d’appui à la reconstruction en un véritable creuset des valeurs civiques et patriotiques en utilisant le brassage de l’intégration des jeunes venus de différents horizons, couches sociales, ethnies, pour leurs inculquer les valeurs socio-culturelles: d’amour de son pays, de solidarité, de tolérance, de justice, d’égalité et d’équité malgré la diversité des origines »…
À la mort de Laurent Désiré Kabila, en janvier 2001, assassiné dans son palais, et dont il sera associé à l’organisation des funérailles nationales, Denis Kalume retrouve le gouvernement, comme ministre du Plan et de la Reconstruction. Puis, ministre d’État chargé de l’Intérieur et de la Sécurité, avant de se voir confier l’organisation des festivités du cinquantenaire de l’indépendance.
Rapprochement
Alors haut représentant du chef de l’État, Joseph Kabila Kabange, dans le cadre du Mécanisme de mise en œuvre de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, le général Kalume est nommé ambassadeur de la RDC auprès de la Fédération de la Russie en juin 2018. Dans la ville haute, cette nomination est diversement commentée.
D’aucuns pensent que le régime de Kinshasa à qui les puissances occidentales ont tourné le dos, cherche à se rapprocher de la Russie qui, elle, lorgne l’Afrique. En effet, la Russie ce n’est pas rien. C’est l’un des Big Five au Conseil de sécurité de l’ONU, avec droit de veto. La Russie venait d’envoyer deux cents militaires en République centrafricaine, et depuis, on ne parle plus de Seleka et Balaka.
Pendant que Sergeï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, proche parmi les proches du président Vladimir Poutine, était à Kigali, Bogdanoff, le vice-ministre des Affaires étrangères était à Kinshasa, il s’agissait de réchauffer l’accord de coopération militaire et technique entre la RDC et la Russie, vieux de 19 ans.
Cet accord prévoit la livraison par la Russie des armements, des matériels de guerre et autres équipements spécifiques, des missions de conseils, ou encore la formation des spécialistes militaires dans les écoles russes. Un accord qui pourrait permettre à Moscou d’entrer par la grande porte dans les autres secteurs : mines, énergie et agriculture.
Il n’empêche, avant d’aller prendre les nouvelles fonctions en Russie, Denis Kalume se soumet à une formation spéciale des trois mois en diplomatie assurée par l’Académie diplomatique congolaise et s’imprègne de la culture russe.
Question d’être à la hauteur de sa tâche. Pour Aje Matembo Toto, alors vice-ministre aux Affaires étrangères, « cette formation ajoute, en vous (Kalume) la référence éloquente…
…et distinguée dans le parcours de votre brillante carrière militaire d’officier général, et maintenant diplomatique comme ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la RDC près la fédération de Russie ».
RDC, pays d’honneur
À l’issue de cette formation diplomatique, le nouvel ambassadeur souligne sa mission principale : « vendre l’image de la RDC ». Et quand Denis Kalume prend ses nouvelles fonctions de diplomate plénipotentiaire, l’ambassade de la RDC à Moscou se trouve dans un état de « dégénérescence, par manque de moyens et de logement ». La représentation diplomatique est « nichée » dans un appartement de 4 chambres situé à la périphérie de Moscou. « C’est à cause d’arriérés de loyer de 10 ans estimés à 600 000 dollars ». Seulement ! Une somme que d’aucuns dépensent à Kinshasa en une soirée mondaine.
Avec le Sommet et le Forum économique Russie-Afrique à Sotchi, le mandat d’ambassadeur de Denis Kalume semble être désormais sous de favorables auspices. « Sotchi est de bon augure (un présage par lequel on juge l’avenir) Pour Denis Kalume. Chez les Romains, il se disait des signes que les augures tiraient de l’observation du vol des oiseaux. Aujourd’hui, il se dit de tout ce qui peut faire deviner l’avenir », fait remarquer Jean Marie Kidinda.
En effet, à Sotchi, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le chef de l’État, a fait promesse à l’ambassadeur de « tout mettre en œuvre pour résoudre ce problème d’une façon durable, car il y va de l’honneur et de la dignité de notre grand pays la RDC ».