TOUT est déjà ficelé ou presque. Un seul critère majeur a prévalu sur les négociations FCC-CACH : le poids politique des uns et des autres au sein de la coalition. Une liste des entreprises et établissements publics concernés circule déjà. C’est de la rumeur mais dans ce pays où tout se sait, la rumeur finit souvent vite par se transformer en information. Soit ! Au total 44 (DGDA, DGI, DGRAD, OCC, CNSS, OGEFREM, SCPT, SPTC, ANR, DGM, SONAS, SNEL, REGIDESO, RVA, RVF, OR, OMIP, SEGUICE, ANAPI, SOKIMO, RENATELSAT, FPI, FPC, FIKIN, INPP, Congo Airways, Transco, Marché Central de Kinshasa, Marché de la Liberté, CENI, Banque Centrale du Congo, Hôtel de Monnaie, CENARAF, CGMT, RTNC, CNCIRGL, CSAC, Académie diplomatique, ENA, INS, ING, IBKA, SEP Congo, ONEM…) ! Mais sur cette liste ne figurent ni la Générale des carrières et des mines (GECAMINES) ni la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC), ayant déjà fait l’objet de nomination des mandataires publics par le président de la République, mais jamais notifiés par le ministre du Portefeuille ayant dans ses attributions la tutelle administrative des entreprises publiques, non sans provoquer la polémique.
Sur cette liste, il y a également des entreprises et établissements publics, comme l’ARCA, l’ARCPT, etc., qui n’y figurent pas. Faut-il conclure qu’ils ne sont pas concernés par ce partage du gâteau ? Il y a aussi des structures qui ne sont ni entreprise publique ni établissement public. Par exemple, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), l’Agence nationale de renseignement (ANR), la Direction générale de migration (DGM), l’Académie diplomatique, le Marché Central et le Marché de la Liberté…
Arrangements politiques
Depuis 1990, la gestion des entreprises et des établissements publics n’est plus une affaire de compétence, quand bien même sous le long règne de Mobutu Sese Seko, elle était encline au clientélisme. Aujourd’hui, c’est affaire des partis et groupements politiques, seuls, à travers des « Arrangements politiques » particuliers. « C’est quand on s’est partagé les portefeuilles dans le gouvernement, que l’on pense aux autres. C’est ça le jeu politique en très très République démocratique du Congo ! », dénonce un activiste de la société civile.
Pour consoler justement ceux qui n’ont pas pu obtenir un poste ministériel, eh bien, la classe politique se tourne vers les entreprises. Voilà qui suscite des appétits gloutons des acteurs politiques. S’il reste vrai que beaucoup souhaitent depuis longtemps le renouvellement du management dans la plupart des entreprises publiques, non seulement pour écarter les mandateurs incompétents, mais aussi pour mettre fin au régime des ADG intérimaires (à vie ?), il faut admettre cependant que ce n’est pour sortir les unités de production de l’État du trou noir dans lequel elles se retrouvent depuis des décennies du fait de l’incurie.
À y regarder de près, gérer une entreprise, surtout celle de la catégorie A, est plus qu’être ministre, fait remarquer le même activiste. « Des sociétés comme la Régie des voies aériennes (RVA) et la Société congolaise des poste et télécommunications (SCPT), réalisent des recettes de plus de 80 millions de dollars l’an. Leurs ADG n’ont rien à envier à un ministre des PME ou des Droits humains par exemple… Ils n’ont rien à envier à un ministre, ceux qui auront la gestion des sociétés comme la SONAS, l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances (ARCA), l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPTC), l’Autorité de régulation de l’aviation civile (AAC)… », déclare-t-il.
« D’ailleurs, les ministres de tutelle technique recourent souvent aux ADG pour diverses rubriques en matière d’argent », poursuit-il. Qui ne se souvient pas de l’époque de « Kengo Boys » ? Du temps du régime de transition dit « 1+4 », les entreprises du portefeuille de l’État avaient fait l’objet de partage entre ex-belligérants (gouvernement, RCD, MLC et opposition). En un temps record, « le partage du gâteau », comme l’on disait à l’époque, a conduit à des abus, malversations financières, contrats bidons, usurpation du pouvoir…
On se rappellera de l’épisode de Roger Lumbala, alors ministre du Commerce extérieur. Il avait été démis de ses fonctions, semble-t-il, pour « ingérence avérée » dans la gestion de l’Office congolais de contrôle (OCC). Il avait alors défrayé la chronique en se faisant remplacer à ce poste par son épouse.
Deux contrats
En avril 2018, Wivine Mumba Matipa, alors ministre du Portefeuille, avait signé deux contrats, l’un sur la performance et l’autre sur le mandat, en vue de faire des entreprises du portefeuille de l’État « un centre d’intérêt financier » pour le même État. Le contrat de performance intègre les principaux axes de la nouvelle approche de gestion, basée notamment sur « le résultat à impact visible, la bonne gouvernance et les exigences de la clientèle ou des usagers ». Le contrat de mandat, quant à lui, est l’acte par lequel l’État congolais donne à un mandataire le pouvoir d’agir, en son nom et pour son compte, au sein des organes statutaires d’une entreprise de son portefeuille.
Ainsi, en signant ce contrat, les mandataires publics doivent veiller à « la protection » et à « la sauvegarde » de tous les biens sociaux de l’entreprise. Ce contrat interdit à ces derniers de prendre une décision qui puisse conduire à « une diminution de la valeur du patrimoine » ou « rendre un bien de la société indisponible pour une longue durée ».
Pour les initiés, cette façon de faire est un recadrage. En effet, en 2003, le Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (COPIREP) avait géré 180 millions de dollars, dont 120 millions de crédits obtenus de la Banque mondiale pour rendre « plus compétitives » les entreprises du portefeuille, considérées comme des « canards boiteux ». Hélas, la réforme des entreprises publiques ressemble à une histoire sans issue (lire dossier dans les pages suivantes). On se rappellera également de la boutade de Joseph Kabila Kabange, alors président de la République, en 2014, devant les deux Chambres du Parlement réunies Congrès : « Je tiens à dire que nous ne pouvons pas dans ce domaine, comme dans bien d’autres, aller d’étude en étude, de conseil d’experts en conseil d’experts, ce qui souvent n’est qu’une excuse pour ne rien faire. »,
Le COPIREP soutenait, en effet, que l’État gagnerait 5 milliards de dollars l’an à travers les entreprises publiques transformées en sociétés commerciales. Rien de tel n’est venu. En 2015, l’État a même créé le Fonds spécial du Portefeuille pour poursuivre la réforme des entreprises publiques. Mais le financement du Fonds fait défaut. Et pourtant, en 2016, le ministère du Portefeuille via la régie financière a quasiment réalisé 100 % de ses assignations, soit 7,6 milliards de francs sur 7,7 milliards attendus.