Le 12 juin, le Premier ministre Edouard Philippe faisait une déclaration de politique générale devant les parlementaires de l’Assemblée nationale. Avec surprise et bonheur, nous prenions acte de sa phrase (1) sur la volonté du gouvernement d’agir concrètement contre la malbouffe, notamment en rendant le Nutriscore obligatoire. Pour autant, depuis cette date, on ne peut que constater que rien n’avance.
Les problèmes nutritionnels abandonnés pour du blé
Force est de constater que depuis dix ans, alors que les bénéfices d’une alimentation moins chargée en sel, sucres et acides gras sont connus, documentés et portés pas tous les organismes publics de santé et de recherche (HCSP, Anses, Inra, Inserm), les choses n’ont que peu progressé. Alors que ces experts prônent cette réduction pour atteindre enfin les recommandations de l’OMS, cet objectif n’est pas atteint comme l’exemple du sel le révèle crûment (un objectif de 5 grammes par jour, pour une consommation moyenne en France de 10 grammes par jour).
Il en va de même sur la présence massive d’additifs, dont les deux tiers des 338 autorisés posent problème, certains étant clairement classés comme toxiques dans d’autres pays. Ils sont le corollaire de la consommation massive d’aliments ultra transformés qui ont conquis jusqu’à 50% de l’alimentation que nous absorbons, et montrés par nos chercheurs de l’Inra et de l’Inserm comme facteur de risque de pathologies chroniques grevant les dépenses publiques comme développé ci-dessous.
Cette situation révèle de façon criante que les engagements volontaires demandés aux industriels ne permettent pas d’atteindre les objectifs de santé publique, pourtant urgents quand on regarde la réalité des maladies chroniques :
– Diabète : 4 millions de personnes touchées, 5,4% de la population ; coût : 20 milliards d’euros par an
– Obésité : 6,9 millions de personnes, 17% des adultes ; coût : 19 milliards d’euros par an
– Cancers : alimentation 5,4% et surpoids 5,4% des 346 000 nouveaux cas par an ; coût : 16 milliards d’euros par an
– Maladies cardio-vasculaires : 3,5 millions de personnes traitées pour un coût de 10 à 15 milliards d’euros par an.
Toutes ces maladies chroniques coûtent plus de 55 milliards d’euros par an alors que le chiffre d’affaires annuel de l’agroalimentaire est de 166 milliards d’euros par an. Seule une forte volonté politique assortie d’un encadrement législatif contraignant pourra être efficace. La première responsabilité du gouvernement est de traduire les paroles en actes et rendre le Nutriscore obligatoire en France et l’imposer à la Commission européenne.
Ensuite, il faut enfin traduire opérationnellement les recommandations du quatrième Programme national nutrition santé (PNNS4) qui incluent enfin une dimension environnementale : les ressources pour produire notre alimentation ne sont pas infinies. Les repères et recommandations du PNNS4 sont validés, mais rien ne progresse dans la mise en œuvre pratique d’un plan national nutrition santé ambitieux.
Nos enfants comptent pour du beurre
A la rentrée 2019 les cantines scolaires continueront de s’approvisionner selon un cadre obsolète. C’est ainsi que les menus de nos enfants seront composés sur la base du PNNS3 qui date de 2011, ne prenant pas en compte les connaissances scientifiques et médicales actuelles.
Enfin, si l’éducation des plus jeunes citoyens est bien un levier important, là encore tout est fait pour ne rien changer, ne contraindre personne et n’imposer aucun cadre commun. Des propositions ont été posées sur la table, certes ambitieuses (une heure d’éducation à l’alimentation de la maternelle au collège), mais elles méritaient d’être discutées.
Quant au bourrage de crâne par la publicité, le feuilleton de la nouvelle charte audiovisuelle embourbée à dessein dans des discussions absconses par l’ARPP ne se termine pas. Là encore, l’argent généré par les publicités (de l’ordre de 600 millions d’euros par an) fait taire tout le monde. La santé de nos enfants (ils sont 6 millions) ne vaut-elle pas plus que 100 euros par tête ?
Le système alimentaire saucissonné
Au final, il faut aborder cette question de façon globale, et arrêter de saucissonner la politique alimentaire entre de multiples ministères. Entre l’Agriculture, la Santé, l’Environnement ou encore l’Education nationale le jeu de ping-pong n’a que trop duré. Il est temps d’un pilotage interministériel, sous l’autorité du Premier ministre.
En effet, il faut une prise en compte globale du système alimentaire, de la production à la consommation. Notre modèle alimentaire, s’il veut être protecteur, doit prendre en compte toutes les dimensions de la durabilité des systèmes alimentaires (santé, biodiversité et bien-être animal, environnement, petits producteurs, socio-économie, traditions culinaires des terroirs). Il doit être conforme au PNNS4 et pourrait être résumé ainsi : un régime riche en produits végétaux, peu transformés, variés, et si possible bio, locaux et de saison.
(1) «Nous avons lancé avec succès une démarche nationale pour améliorer l’information sur la qualité nutritionnelle des aliments et développer l’utilisation de Nutriscore dans l’étiquetage des aliments. Nous la défendrons auprès de la Commission européenne et de nos partenaires afin de rendre le Nutriscore obligatoire.»