C’EST l’heure de la récréation dans une école du Malawi. Hélas, il arrive que la récré dure toute la journée parce qu’un enseignant est absent. Dans une salle de classe en Arménie, les élèves sont notés sur la base de leur aptitude à apprendre par cœur. Le processus d’apprentissage repose principalement sur des manuels, au détriment de l’instruction dispensée par l’enseignant et des méthodes innovantes, ce qui prive les futurs diplômés des compétences indispensables pour trouver leur place dans un monde du travail compétitif.
Au Bangladesh, malgré la progression des taux de scolarisation, les filles n’apprennent pas aussi bien que les garçons, et l’abandon scolaire reste important, du fait principalement des mariages précoces et des charges familiales qui incombent aux enfants.
Pauvreté des apprentissages
Les données révèlent que nous sommes actuellement aux prises avec une crise mondiale des apprentissages qui met en péril les efforts déployés par les pays pour renforcer leur capital humain (les compétences et le savoir-faire) dont nous avons besoin pour nous préparer aux emplois de demain. La réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), y compris celui de mettre fin à la pauvreté extrême, est, elle aussi, remise en cause.
Pour bien mettre en lumière l’ampleur du problème, la Banque mondiale a élaboré le nouveau concept de « pauvreté des apprentissages » en s’appuyant sur une nouvelle base de données constituée avec l’Institut de statistique de l’UNESCO. Ce nouvel indicateur rend compte de la proportion d’enfants qui sont incapables de lire et comprendre un texte simple à l’âge de dix ans. Il résulte de la combinaison de données sur la scolarisation et sur les acquis scolaires : la pauvreté des apprentissages correspond à la proportion d’enfants qui ne possèdent pas les niveaux de compétences minimales en lecture (selon les évaluations scolaires), corrigée en fonction de la proportion d’enfants qui ne sont pas scolarisés (et dont on suppose qu’ils ne savent pas bien lire).
Selon les nouvelles données disponibles, le taux de pauvreté des apprentissages atteint 53 % dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Or, la lenteur des progrès dans ce domaine compromet la réalisation des ambitions portées par l’ODD 4 – « assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité ». Au rythme de progression actuel, 43 % des enfants ne sauront toujours pas suffisamment lire d’ici 2030. Si, en revanche, les pays parvenaient à progresser au rythme le plus rapide observé depuis le début du siècle, le taux mondial de pauvreté des apprentissages chuterait à 28 %.
Compte tenu de la situation actuelle et de la lenteur des progrès dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, la totalité des cibles associées à l’ODD 4 risquent de ne pas être atteintes – y compris l’augmentation du nombre de jeunes et d’adultes disposant des compétences nécessaires à l’emploi, à l’obtention d’un travail décent et à l’entrepreneuriat.
Une cible d’apprentissage
Parce qu’il est indispensable de mobiliser toutes les énergies en vue de réaliser les objectifs éducatifs que s’est fixés la communauté internationale et de juguler la crise des apprentissages, le président de la Banque mondiale David Malpass a annoncé l’adoption d’une nouvelle cible opérationnelle à atteindre à l’horizon 2030 : réduire de moitié au moins le taux mondial de pauvreté des apprentissages. Il s’agit d’un objectif ambitieux, mais réalisable selon les simulations. Il faut pour cela que tous les pays parviennent à améliorer les acquis scolaires à la hauteur des résultats obtenus par les pays les plus performants entre 2000 et 2015, ce qui suppose en moyenne de tripler le rythme de progression mondiale.
Réduire de moitié le taux de pauvreté des apprentissages constitue une cible intermédiaire. Chaque pays devra tracer sa propre voie (et fixer ses cibles intermédiaires) pour le financement et la mise en œuvre des réformes qui feront en sorte que tous ses enfants prennent un bon départ dans la vie. Dans beaucoup de pays, il faudra du temps pour atteindre cet objectif de développement, et un contrat social pour que chacun, quel que soit son origine socioéconomique, sa race ou son sexe, puisse avoir accès à une éducation de qualité.
Dans toutes les sociétés de l’écrit, la lecture est depuis des siècles le socle de l’éducation. Du côté des parents comme des autres parties prenantes, il est entendu que l’une des premières missions de l’école est d’apprendre à lire aux enfants. En effet l’acquisition de la lecture est pour un enfant le sésame qui lui donnera accès à la somme des connaissances encodées dans des textes de tous types. La manière dont il tirera parti de cette compétence dépendra de nombreux facteurs (dont notamment la qualité du système scolaire aux niveaux d’enseignement ultérieurs), mais une chose est sûre : faute de savoir lire correctement, il aura des difficultés à apprendre tout au long de sa vie sociale et professionnelle.
La maîtrise de la lecture est aussi un indicateur des apprentissages de base dans d’autres disciplines, au même titre que l’absence de retard de croissance est le marqueur d’un bon développement chez le jeune enfant. Les systèmes qui parviennent à apprendre à lire à tous les enfants sont plus susceptibles de favoriser leurs apprentissages dans d’autres domaines. C’est ce que les données mettent en évidence : dans l’ensemble des pays et des établissements scolaires, on observe une forte corrélation entre les niveaux de compétence en lecture et ceux obtenus dans d’autres matières.
Par exemple, les notes qu’obtiennent les pays dans l’évaluation PIRLS sur l’apprentissage de la lecture et dans l’enquête TIMSS sur les acquis scolaires en mathématiques et en sciences sont presque parfaitement corrélées, souligne un nouveau rapport de la Banque mondiale qui met en évidence de fortes corrélations interdisciplinaires dans le cadre d’autres évaluations. Le développement du langage chez l’enfant, qui est renforcé par les compétences en lecture, est en outre favorisé par le développement de l’autorégulation comportementale, qui constitue une compétence socio-émotionnelle fondamentale.
Comment aider les pays?
La Banque mondiale a développé un train de mesures reposant sur des interventions nationales ou infranationales qui ont fait la preuve de leur efficacité pour améliorer la maîtrise de la lecture. En Égypte, par exemple, les autorités ont mis en œuvre un plan de réformes qui prévoit une refonte des programmes scolaires et des systèmes de suivi, avec une évaluation continue des élèves tout au long de l’année et des examens axés sur l’acquisition de compétences, un meilleur accompagnement des enseignants et la promotion de l’apprentissage entre pairs.
Ces réformes sont fondamentalement marquées par un changement de priorité : il ne s’agit plus tant de tout miser sur les diplômes que de valoriser les apprentissages. Au Brésil, aussi, l’amélioration constante de l’offre éducative dans plusieurs États – Ceará, Espirito Santo, Acre et Pernambouc – prouve que le changement est possible. Ce ne sont là que quelques exemples mis en avant dans une nouvelle publication intitulée « Ending Learning Poverty: What will it take? »