À L’ÉPOQUE de la colonisation, nous dit ce constructeur de villes, la communication spatiale entre les provinces du pays était assurée par le réseau routier d’intérêt national et, en quelques lieux, par le réseau ferroviaire, comme entre le Katanga et le Kasaï, et entre Kinshasa et le Kongo-Central. « Aucune autoroute n’a été construite depuis lors jusqu’à ce jour. Et jamais le colonialiste n’avait songé à aménager une ligne de métro, moins encore celle de tramway dans le territoire national de l’État indépendant du Congo », fait-il remarquer. Le transport aérien, n’ayant pas d’exigence d’aménagement de la voie de circulation, ne le préoccupe pas dans le cadre de son approche. Il en est de même pour les transports maritime et fluvial, qui feront l’objet d’une autre proposition constructive, fait-il remarquer.
Quant à l’aménagement urbain, poursuit-il, il était limité à des zones occupées par le colonialiste. « De ce fait, le colonialiste avait entamé la politique d’habitat en érigeant quelques quartiers conçus dans le respect des règles urbanistiques en réalisant le même type de plan des maisons résidentielles d’un même quartier loti et en pourvoyant au quartier concerné ses infrastructures de viabilité, entre autres : la voirie urbaine revêtue, le réseau d’alimentation en eau potable, le véritable et règlementaire réseau d’évacuation d’eau pluviale, le réseau électrique, l’espace vert, le quartier administratif et aussi le quartier industriel », explique-t-il.
Le respect des normes
D’après Jean Marie Kalambayi, toutes les infrastructures réalisées par le colonialiste faisaient l’objet d’« études sérieuses conformes aux normes techniques en vigueur à l’époque et dans le respect des règles de l’art ». Et d’indiquer : « C’est suite aux réclamations réitérées des politiciens congolais pour l’accession de notre pays à l’indépendance que le colonialiste avait stoppé l’urbanisation dans les provinces et la capitale et aussi l’aménagement à travers le territoire national. Le fossé profond entre l’aménagement urbain du temps des Belges et l’état urbanistique des prétendues villes de nos provinces aujourd’hui justifie la proposition des Belges de nous octroyer l’indépendance en 1985. Car à cette date, le Congo serait réellement construit en ayant des villes réellement villes au sens urbanistique du terme, et le territoire national bien aménagé. »
C’est avec « un profond regret » que cet ingénieur formé en Belgique constate que « depuis l’accession de notre pays à l’indépendance, les dirigeants congolais ont fort négligé l’urbanisation et l’aménagement du territoire national » et que nous assistons, par conséquent, à « la détérioration très avancée des infrastructures de viabilité nous laissées par le colonialiste ! ». Comme corolaire de cette négligence de la construction du pays, Jean Marie Kalambayi épingle 7 fléaux.
Premier fléau : les érosions et les inondations parsemées dans le pays et qui ont paralysé même la capitale en lui conférant un aspect lugubre. Cette situation a pour cause l’absence totale de réseau d’égouts souterrains qui est un réseau d’évacuation des eaux pluviales dans chaque ville et dans chaque province. « Il s’agit ici d’un réseau d’égouts longeant sous les trottoirs (accotements revêtus) des routes bien entendu revêtues, conçu et étudié pour évacuer les eaux pluviales de fréquence pluviométrique bien déterminée », souligne Jean Marie Kalambayi.
Le constat : « Notre État a l’habitude de construire des tronçons des caniveaux en lieu et place des égouts. Et nulle part au monde, le réseau d’évacuation des eaux pluviales n’a jamais été constitué des caniveaux qui, du reste, occurrent à la ville un aspect sale.
Ce réseau a toujours été un réseau d’égouts ! » Le remède : « Il faut entreprendre les études hydrauliques d’évacuation des eaux pluviales dans chaque quartier de chaque commune et de chaque province, Kinshasa comprise, au regard de la configuration du lieu en procédant à l’identification des bassins d’apports d’eaux pluviales pour le dimensionnement de tout le réseau et en tenant compte de différentes périodes de retour des pluies. »
Deuxième fléau : les conflits parcellaires multiples et très difficiles à trancher faute de plans d’urbanisation ou d’aménagement urbain pour les différentes provinces, y compris la capitale. Jean Marie Kalambayi recommande « la pratique de la politique d’habitat par l’État » représenté par le ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat dans notre pays. « Cette politique consiste à respecter chaque type d’habitat selon son plan architectural prévu dans le plan d’aménagement urbain pour le mode d’occupation du sol défini sur ce plan. Nous déplorons les destructions des maisons quoique les propriétaires détinssent les documents de cadastre. Ceci est dû à l’inexistence de la politique d’habitat et à l’absence de collaboration entre le ministère de l’Urbanisme et celui des Affaires foncières », déclare-t-il.
Troisième fléau : les immeubles en hauteur qui s’écroulent d’un lieu à un autre. « Ce phénomène est dû au fait que les matériaux de construction dans notre pays ne sont pas bien identifiés ou bien connus, faute de laboratoires spécialisés et accrédités de génie civil dans notre pays. Aucun ingénieur d’un institut supérieur ou d’une université de la place ne peut être incriminé ou mal jugé pour cette situation car elle relève de la compétence et de la responsabilité des dirigeants de notre pays », fait observer Jean Marie Kalambayi.
Quatrième fléau : les routes de la voirie urbaine sont construites sans trottoirs pour la circulation des piétons, sans signalisation horizontale ni verticale, à l’exception de quelques signalisations trouvées uniquement sur le boulevard du 30 Juin et sur quelques routes de la voirie secondaire dans la capitale et dans les autres villes des provinces telles que Lubumbashi, Goma, Bukavu et Kindu. Les routes sont aussi construites sans toutefois être accompagnées ou longées par le réseau d’évacuation des eaux pluviales.
Et la quasi-totalité de ces routes sont dépourvues de l’éclairage public. Le constat : « La longueur totale des routes nationales (RN) et urbaines réalisées depuis l’indépendance du pays (59 ans) représente presque le tiers de la longueur (linéaire) totale des routes réalisées par le colonialiste de 1930 à 1959 ! »
Contraste de l’histoire
Cinquième fléau : les routes de desserte agricole revêtues sont inexistantes à plus de 90 % et sont dans un état de délabrement très avancé. Il en est de même des routes de desserte agricole non revêtues depuis la création du monde, et qui sont impraticables à ce jour. La conséquence : « Il y a rareté des denrées alimentaires dans les grandes villes périphériques, d’où la malnutrition avec toutes les conséquences qui en découlent, alors que les produits vivriers périssent en milieu rural ! Contraste de l’histoire ! » Comme remède, Jean Marie Kalambayi propose : « Le revêtement de toutes les routes de desserte agricole qui n’ont jamais été revêtues, en même temps que la réhabilitation des routes de desserte détériorées ou en état de délabrement pour cause de négligence. »
Sixième fléau : les conduites d’eau de la REGIDESO qui sont posées à même le sol le long de la route principale en réseaux primaire et secondaire et qui, en réseau tertiaire, traversent même les parcelles pour le branchement des particuliers. Remède : « Entreprendre les études hydrauliques de distribution d’eau potable qui soient appropriées au regard de la configuration du lieu pour connaître le positionnement exacte et requis des conduites d’eau et leur dimensionnement le long des rues, avenues et routes, pouvant permettre l’alimentation en eau aux populations, en quantités et pressions suffisantes. »
Et enfin, septième fléau : l’alimentation électrique. « Il y a lieu de constater que la SNEL (Société nationale d’électricité) distribue le courant en faisant passer les câbles électriques même au-dessus des habitations, alors qu’ils doivent, en toute logique, longer les rues et les routes en desservant la population. Par ailleurs, le câblage électrique est insuffisant car il ne couvre pas comme il faut toute la zone occupée par la population, qu’il s’agisse des provinces ou de la capitale. Et le courant de la SNEL est rare, sporadique et horoscopique ! Ceci est vrai dans la capitale comme dans les provinces.
Mais les factures de la SNEL sont constantes, exagérées et ne tiennent pas compte de la rareté du courant. Chose inadmissible en plein XXIe siècle ! », râle cet ingénieur constructeur de villes.