LE MINISTRE d’État, ministre des Ressources hydrauliques et d’Électricité a sollicité du gouvernement le mandat de piloter ce grand projet intégrateur et continental. Celui-ci, fait savoir le porte-parole du gouvernement, permettra à la République démocratique du Congo de jouer un véritable rôle de moteur de développement du continent africain.
Inga III est un méga projet en gestation depuis une trentaine d’années. La construction de cette centrale s’inscrit dans le cadre du projet Grand Inga qui ambitionne d’installer des centrales hydroélectriques d’une capacité totale de 42 000 MW sur le fleuve Congo. Mais les autorités du pays ont décidé de revoir à la baisse la capacité de la centrale hydroélectrique d’Inga III pour l’agrandir ultérieurement. L’infrastructure aura initialement une puissance de 4 800 MW qui sera portée à 7 500 MW, puis à 11 000 MW éventuellement, avait annoncé Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République. Avec cette nouvelle option, le président Tshisekedi estime que le projet avancerait plus rapidement en procédant par phases, étant donné l’urgence des besoins en énergie du pays et de la région.
Sa production est destinée en grande partie à l’exportation vers l’Afrique du Sud (plus de 2 500 MW) et l’Angola (5 000 MW d’ici 2025), à l’alimentation des populations de la région (1 000 MW) et à l’approvisionnement de l’industrie minière du pays (1 000 MW). Sa construction coûtera environ 12 milliards de dollars. Le gouvernement avait annoncé son intention de lancer les travaux en 2017. En 2013, la Banque africaine de développement (BAD) avait financé la réalisation d’une étude de faisabilité pour la construction d’un barrage de 4 800 MW sur le site. Cependant, suite à plusieurs développements, le gouvernement a demandé à un consortium sino-espagnol de soumettre une offre conjointe pour la construction du barrage.
Cette nouvelle version du projet a déjà obtenu l’appui financier de la BAD, pour commencer la construction à partir du premier trimestre de 2020, avait affirmé le président Tshisekedi. En effet, la BAD exhorte les autorités à accélérer la réalisation d’Inga III. La RDC devrait avancer plus rapidement sur la réalisation du projet, même si cela implique de revoir à la baisse la capacité prévue par ses nouveaux développeurs. C’est le point de vue d’Akinwumi Adesina, le président de la BAD.
Les pressions occidentales
Cependant, le projet fait face à des pressions. Au départ, c’est la BAD qui avait financé les études de faisabilité lors de la conception du projet en 2013. Un consortium hispano-chinois a cependant soumis en novembre 2019, une offre portant la capacité de l’installation à 11 050 MW pour un coût de 14 milliards de dollars, insistant sur la non-rentabilité du premier projet. Le plan des activités pour le barrage de 4 800 MW est déjà réalisé et financé. Nous devons être pragmatiques. Les gens ont besoin de l’électricité aujourd’hui, pas dans 10 ans, laisse-t-on entendre dans l’entourage du chef de l’État.
La BAD semble toujours prête à soutenir le projet malgré le désistement de la Banque mondiale. Son président a souligné qu’un nouvel appui n’est pas actuellement sur la table : « Ce n’est pas la priorité pour la Banque pour le moment. C’est au gouvernement (congolais) de décider ce qu’il veut faire exactement et nous soutiendrons leur décision. Quand un projet est bancable et est prêt à attirer des investissements, il faut s’y lancer. » Le barrage Inga III présente beaucoup d’enjeux pour la RDC. Le pays qui dispose actuellement d’un taux de couverture électrique de 20 %, compte porter ce chiffre à 50 % d’ici 2030. En outre, la RDC compte se positionner comme fournisseur régional majeur d’énergie.
L’espagnol ACS (Actividades de Construccion y Servicios), membre de l’un des deux groupements (Chine Inga III, emmené par China Three Gorges Corporation et ProInga qui, outre ACS, est constitué notamment du fabricant de turbines allemand Andritz et du spécialiste de l’énergie espagnol AEE Power) chargés du développement de ce mégaprojet en est sorti, le 20 janvier dernier. La décision intervient alors que les consortiums chinois et européen n’arrivent pas à s’accorder sur la constitution d’un consortium commun, exigé par l’exécutif congolais pour mener le projet.
L’alternative chinoise
Un rapport publié fin octobre 2019 par l’ONG Resource Matters et le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) mettait au jour l’existence de tensions entre les deux groupements choisis par le gouvernement congolais pour développer le projet Inga III. Si le projet aboutit, Inga III deviendra la plus grande centrale hydroélectrique d’Afrique subsaharienne. La décision de sortie d’ACS, selon Jeune Afrique, met en lumière un certain flottement au sein du consortium européen dans un contexte de tensions entre les partenaires, européens et chinois, sur le projet, notamment au sujet de son exécution du projet, en une phase ou en deux phases, et de la répartition des parts au sein du consortium définitif.
Des discussions avec des sociétés africaines, européennes et américaines seraient en cours pour remplacer ACS au sein du consortium, mais à un stade préliminaire. Quant à l’accord entre Européens et Chinois sur le consortium commun, « il pourrait intervenir en février », croit savoir notre interlocuteur. C’est en considération de leurs dossiers de réponse, des enjeux du projet et des développements pertinents du marché et de la demande qu’elles ont été invitées à prendre toutes dispositions utiles afin de constituer un groupement unique.
Selon Lambert Opula, le coordinateur des projets de l’Agence congolaise de développement économique (ADEC) et professeur d’entrepreneuriat, « la guerre des alternatives pour construire Inga III met sur la place publique la guerre des intérêts entre Occidentaux, les Américains en tête, et la Chine. Et d’autre part, la duplicité du couple Banque mondiale et Banque africaine de développement.
D’après lui, l’enjeu principal pour ce projet ne consisterait qu’au choix que les décideurs devraient effectuer entre, d’un côté, la nième manifestation d’intérêt du couple BAD-BM pour l’implication à un montage financier d’Inga III et, de l’autre, l’offre unique, à la fois technique et financière des groupements des entreprises Chine Inga III et Pro Inga, dont Chine Inga III est emmené par ChinaThree Gorges Corporation (gestionnaire du gigantesque barrage des Trois-Gorges en Chine).
Si les échanges sur les modes d’aménagement se sont multipliés depuis 1929 pour la maximisation de l’utilité collective du site d’Inga, souligne-t-il, c’est surtout depuis 1957 que les initiatives se sont intensifiées. Néanmoins, après les premières études qui portèrent sur la nature, la portée et la rentabilité des aménagements à réaliser, seules deux phases de capacité modeste ont été mises en œuvre : Inga I en 1972 et Inga II en 1982. Depuis lors, de nombreuses études se sont succédé, mais le projet peine à se concrétiser.
L’Afrique du Sud, par exemple, se verrait proposer une alternative nucléaire pour son énorme déficit d’électricité. Les « atermoiements funestes » de la BM pourraient coûter cher aux perspectives de valorisation du site d’Inga. Ce sont donc les tergiversations du groupe de Bretton Woods qui ont conduit à l’adoption d’une proposition alternative d’origine chinoise à travers « la possibilité d’un accord all-in, qui pourrait inclure, outre le barrage et le port, le rétablissement de la navigabilité du fleuve Congo depuis Matadi jusqu’à Kisangani, à l’instar de ce qui a été réalisé sur le cours du fleuve Yangtsé » (AfricaEnergy Intelligence, 2015b).