UN NOTABLE kasaïen trouve ce jugement « nocif », et ayant seulement « l’intention de nuire à une affaire qui n’a même pas encore commencé ». Selon lui, c’est l’occasion d’interpeller les consciences, car sans un projet d’investissement viable et d’envergure pour la Minière de Bakwanga (MIBA), la ville de Mbuji-Mayi, particulièrement, va disparaître de la surface. La virulence des critiques à propos du contrat de partenariat entre la MIBA et le consortium des entrepreneurs émirati et américains A&M International Development & Investment continue de déclencher des réactions aussi vives que spontanées. Il y a ceux qui expriment leur surprise et leur tristesse devant une telle formulation, ou qui jugent ces réactions sur la Toile extrêmement « désagréables » et « désobligeantes », d’autres laissent éclater leur indignation.
Revenons aux faits, pour comprendre sereinement. Dans les critiques qui sont relayées dans les réseaux sociaux, on évoque souvent le « bradage » des concessions (réserves) diamantifères de la MIBA estimées à 1 milliard de dollars pour seulement 30 millions de dollars. On dit également que le conseil d’administration de la MIBA a signé un contrat avec A&M International Development & Investment pour un appui financier de 200 millions de dollars destinés à la relance de sa production. Et que le partenariat a été cautionné par Clément Kwete, le ministre du Portefeuille.
On ajoute encore qu’à première vue, l’espoir de la résurrection de cette entreprise minière d’économie mixte paraissait acquis. Mais, au fil du temps, cet investissement vient de montrer rapidement ses limites à travers la première intervention financière. Qu’A&M International Development & Investment est une société roumaine dont la spécialité est avant tout la construction mais s’est invitée dans le secteur minier pour les besoins de la cause. Fait troublant dans le dossier, elle vient de libérer, sans condition, un chèque de 30 millions de dollars non remboursables.
Dans l’analyse, on expose que ce financement devrait servir à la liquidation des commissions et rétro-commissions, des arriérés des salaires ainsi que des indemnités réclamées par la société canadienne BGM, dont le contrat venait d’être résilié pour cause de doute sur sa capacité financière et technique d’aider la MIBA à relancer sa production. Parmi les autres critiques étayées dans l’analyse, on rapporte que l’investissement d’A&M devrait s’arrêter aux 30 millions de dollars.
Que l’agenda caché de cette firme roumaine et ses parrains congolais est de faire main basse sur le Massif 1 du polygone minier de la MIBA à Mbuji-Mayi. Or, selon des études géologiques en souffrance dans les archives de cette entreprise d’économie mixte, les réserves de diamants qui dorment dans le Massif 1 sont évaluées, au minimum, à un milliard de dollars.
Qu’en réalité, A&M a mis précipitamment sur la table 30 millions de dollars dans l’intention de contrôler les gisements des pierres précieuses pesant plus d’un milliard de dollars. En conclusion, selon ces critiques, citant des experts en géologie, si ce contrat n’est pas urgemment dénoncé et résilié, la République démocratique du Congo aura bradé ses bijoux de famille, avec la complicité du ministère du Portefeuille, et pourquoi pas des Mines. En conclusion, les critiques anti-A&M relayées dans les réseaux sociaux exigent une commission de contrôle (experts de la présidence de la République, gouvernement et Parlement) pour « faire échec à cet hold-up minier du siècle ». Elles rappellent que des cadres et agents de la MIBA gardent un amer souvenir de la Sengamines (2002-2004), la société zimbabwéenne créée de toutes pièces sous le régime 1+4, et préviennent que le scénario ficelé par A&M est pratiquement « une copie améliorée de cette autre opération de pillage des diamants de la RDC »…
Intention de nuire
Tel est le raccourci emprunté par toutes ces critiques pour peindre le visage que l’on veut donner à A&M International Development & Investment, et au contrat qu’il a signé avec la MIBA, dont l’annonce a été faite le 14 février par le ministère du Portefeuille. Au reste, ceux qui représentent les intérêts de ce consortium en RDC ou ses dirigeants, bien que visés, frustrés par les critiques dans les réseaux sociaux, ont le droit légitime de se défendre à travers un droit de réponse ou une mise au point, conformément à la loi sur la liberté de presse, contre une qualification qui, à l’évidence, souligne le déficit d’information sur la genèse de cette affaire.
Pour enrichir l’information sur cette affaire, les rédactions de Business et Finances ont gratté. Il appert qu’A&M International Development & Investment Srl n’est pas une « firme roumaine », même s’il est domicilié à Bucarest en Roumanie. C’est au contraire un consortium, c’est-à-dire une association d’entreprises pour des opérations en commun. Les dirigeants de ce consortium regrettent « l’intention de nuire qui est maligne et tend à salir la réputation des gens et d’un groupe », ainsi que « tout le mal que la formulation des critiques a produit ».
Dr Khaled Mohamed Sadek, le CEO d’A&M International Development & Investment, avertit que le consortium des entreprises émirati et américaines n’envisage nullement exploiter les ressources de la RDC, puis prendre la clé des champs. Au contraire, le consortium veut investir et développer les infrastructures dans le pays pour le bien-être des populations congolaises. D’ailleurs, c’est ce qu’on ne dit pas dans cette « campagne de diabolisation », le consortium n’investira pas que dans l’exploitation du diamant de Mbuji-Mayi. Il y a d’autres secteurs de l’économie qui sont dans sa ligne de mire.
Genèse de l’affaire
À Mbuji-Mayi, le débat sur la relance de la MIBA est un sujet majeur, toujours d’actualité depuis des années.
Mais toutes les tentatives n’ont pas abouti à quelque chose de concret. D’où le débat actuel aux allures d’une polémique. Dans cette ville, les gens ont déjà perdu espoir au point de soutenir qu’il vaut mieux jauger toute initiative à la tâche. D’aucuns font savoir que le fait que ça soit un « fils du terroir » qui a approché, intéressé et convaincu à Dubaï ces hommes d’affaires à venir investir dans le pays, et surtout à relancer la production à la MIBA, est perçu comme une garantie supplémentaire de croire et faire confiance au projet d’investissement.
Celui qui a réussi à emmener les dirigeants d’A&M International Development & Investment à Kinshasa pour rencontrer les autorités du pays, c’est l’homme d’affaires congolais Serge Kasanda Lusamba wa Ndeka, le PDG du Groupe Serkas. Originaire de Bakwanga (comme son post-nom, wa Ndeka, signifie), c’est un homme convaincu de la nécessité de rééquilibrage de la MIBA pour redonner la vitalité à la ville diamantifère et à la province du Kasaï-Oriental. Comme le dit ce notable de Mbuji-Mayi, venant des milieux d’affaires, et totalement intégré dans le secteur minier, « Serge Kasanda paraît bien placé pour emmener chez lui des investisseurs qui ont tout sauf l’air d’être des aventuriers ».
Au Kasaï, ou partout ailleurs en Afrique, tout le monde le sait, la relation à la terre ou au foncier est un lieu sacré. Signe d’une culture où l’on appartient à son village et à son clan plus qu’à toute autre entité. C’est pourquoi, selon la tradition spirituelle, chinoise ou kongo plus près de nous, l’esprit d’un mort doit retourner sur la terre de ses ancêtres afin d’être protégé par les aïeux.
Pour ce notable de Mbuji-Mayi, il est donc hors de question de penser un seul instant que Serge Kasanda puisse trahir son peuple.
Serge Kasanda le sait aussi : la réussite ou l’échec de l’opération aura une influence considérable sur lui. C’est pourquoi, nous explique un proche du dossier, dès le début, il a voulu avoir le cœur net sur la capacité financière illimitée du consortium A&M International Development & Investment. Pour vérifier cette capacité financière, dit-il, il fallait passer par la Banque centrale du Congo (BCC). Or cette dernière n’interagit qu’avec les institutions, et non pas avec les individus.
Pour ce faire, il a fallu solliciter l’intervention du ministre des Finances ayant la tutelle de la Banque centrale. En date du 20 septembre 2019, Freddy Shembo, consultant à la présidence de la République, et partenaire de Serge Kasanda dans les négociations avec ces investisseurs qui composent ce consortium, adresse une correspondance à José Sele Yalaghuli, le ministre des Finances, et dans laquelle il l’informe qu’en sa qualité de détenteur d’un mandat spécial du chef de l’État pour identifier, et, le cas échéant, emmener les investisseurs capables de réaliser les projets de développement dans notre pays, il avait soumis à ce dernier un rapport sur ce consortium des entreprises émirati et américaines intéressées par notre pays. C’est ainsi que Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, l’a recommandé auprès du ministre des Finances pour faire procéder à la vérification de la capacité financière de ce dernier. Ce qui a été fait en toute transparence et selon les règles de l’art, comme en témoignent les différentes correspondances auxquelles nos rédactions ont pu avoir accès.
Après des négociations concluantes au niveau du cabinet du chef de l’État, les représentants d’A&M International Development & Investment ont été dirigés vers le cabinet du 1ER Ministre. À la primature, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre a eu des discussions avec la délégation de haut niveau du consortium, le 16 octobre 2019, à l’issue desquelles il avait été question d’élaborer une feuille de route. Dans une lettre datée du 1er novembre 2019, ce groupe d’investisseurs va confirmer au 1ER Ministre son intention de s’implanter en RDC, où il est disposé à apporter des investissements dans un très court délai. Et ce, conformément au pilier central du Programme du gouvernement.
Ayant bien appréhendé la pertinence et la portée des projets dont le consortium est à même de financer la réalisation dans notre pays, Sylvestre Ilunga va, à son tour, orienter le consortium vers l’Agence nationale de promotion des investissements (ANAPI). Sur le boulevard du 30 Juin, au siège de l’agence, on confirme que des projets d’investissement de grande envergure, sélectionnés dans le portefeuille de l’ANAPI, et dont certains valant le milliard de dollars ou plus, sont déjà attribués à ce groupe d’hommes d’affaires. Ces projets vont de la construction des infrastructures (comme les routes) à l’agriculture en passant par bien d’autres dans d’autres secteurs.
Joint-venture avec MIBA
L’accord de partenariat qui a été signé récemment avec les dirigeants de la MIBA, porte essentiellement sur la relance de la production minière. A&M International Development & Investment s’est engagé à mettre 200 millions de dollars dans l’opération, et à la signature du contrat, le consortium a mis la main à la poche (pas-de-porte), en signant un chèque de 30 millions de dollars (non remboursables) pour éponger des mois d’arriérés de salaires mais aussi pour rembourser ce que la firme canadienne Saint-Louis BGM Sarl avait déjà avancé pour entrer dans MIBA en octobre 2019, dans des circonstances qui ne sont pas encore bien élucidées. On se souvient de ce collaborateur du chef de l’État qui a été jeté en prison à l’époque.
Selon la même source proche du dossier, le financement qu’apporte A&M International Development & Investment va porter sur le rééquipement de la MIBA en termes d’outil de production : pelles, camions, laverie, etc. On parle aussi d’améliorer la desserte en électricité à partir de la centrale hydroélectrique de Tshiala. L’accord de partenariat qui est encore frappé du sceau de la confidentialité, à ce stade, va permettre à A&M International Development & Investment d’exploiter le diamant dans le Massif 1 du polygone minier. Il va également mener des études de prospection pour la certification des deux autres massifs de la MIBA.
La MIBA estime la valeur marchande du Massif 1 à environ 1 milliard de dollars au prix moyen du carat vendu ces dernières années. En réalité, cela peut être sous-évalué ou surévalué. Certes, le gouvernement s’est lancé dans une campagne de certification des gisements, notamment du Massif 1 de la MIBA.
Donc, il faut une juste certification par des organismes ayant qualité. Un expert explique que le problème de certification est un réel problème en RDC. Le pays ne fait aucun effort pour certifier ses ressources. Il n’y a pas que les minerais, cela vaut aussi, par exemple, pour les forêts. Un vrai manque à gagner pour le pays sur le marché de carbone.
Il y a ceux qui pensent que le consortium des entreprises émirati et américaines est en train de payer les pots cassés par les autres. D’après eux, dans l’hypothèse où ce projet de partenariat avec la MIBA tombait à l’eau, c’est tout un pays qui va en pâtir. Plus particulièrement la ville de Mbuji-Mayi où sévit déjà la famine.
Or la MIBA dispose d’un parc agro-industriel que le consortium entend aussi remettre en activité. Avec un trou (passif) de 300 millions de dollars, le financement de 200 millions qu’apporte le consortium est une bouffée d’oxygène qu’il convient de saisir pour rééquilibrer les activités à la MIBA.