C’EST Herbert Gontran Djono Ahaba, le ministre centrafricain du Développement de l’énergie et des Ressources hydrauliques, qui a conduit cette délégation auprès de Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre et chef du gouvernement. L’audience a tourné autour de la situation qui prévaut au sein de le Commission internationale du bassin Congo-Oubangi-Sangha (CICOS), qui a son siège à Kinshasa. Il a été notamment question de l’autonomie du siège, du règlement des arriérés des contributions statutaires des pays membres, et aussi de la mutualisation des efforts pour effectivement faire jouer à la CICOS son rôle. Les pays qui composent la CICOS sont : Angola, Cameroun, Gabon, République centrafricaine, République du Congo et République démocratique du Congo.
Feuille de route
Selon des experts interrogés, il y a longtemps que la réforme devenait nécessaire à la CICOS pour plus de crédibilité. On s’en souvient, le secrétariat général de cette organisation avait présenté à la RDC un projet de restructuration de son fonctionnement ainsi que de son centre de formation. Judith Enaw, la secrétaire générale de la CICOS, soutenait que la réforme de la commission ouvrirait la voie à la réalisation de plusieurs projets sur la gestion commune des eaux du bassin du fleuve Congo.
Tout comme le Centre de formation régional de navigation intérieure (CRFNI), créé en 2015, en vue de former le personnel navigant fluvial qualifié de la sous-région, et que l’école de navigation de la Société commerciale des transports et des ports (SCTP) à Kinshasa abrite, il a vraiment besoin d’être redynamisé.
Depuis qu’elle existe, il y a plus de dix ans, la CICOS n’a pas jamais fait montre d’ambitions pour lesquelles elle a été créée. Nombre d’experts se disent déçus parce qu’ils s’attendaient à l’ouverture des cours d’eau intérieurs aux navires de chaque État membre. Selon leurs estimations, quelque 3 000 navires pourraient voguer sur ces eaux intérieures, pourvu que la CICOS joue son rôle. La CICOS se fonde notamment sur les traités internationaux datant du XIXe siècle, du temps où les puissances occidentales faisaient pression sur Léopold II afin qu’il ouvre le bassin du Congo au commerce international. Elle justifie son rôle, principalement par l’Acte final du Congrès de Vienne du 19 juin 1815 et par l’Acte général de Berlin du 16 février 1885, revu par la Convention de Saint-Germain de 1919. De là on peut comprendre que ce n’est pas un fait du hasard si le siège de la CICOS se trouve en RDC.
Quid de l’armement ?
L’armement congolais est une véritable galère. À ce jour, il n’y a, en réalité, qu’un seul navire marchand répondant aux normes qui vogue sur les eaux intérieures de la RDC. C’est l’ITB Kokolo, propriété (jusqu’à quand ?) de la Société commerciale des transports et des ports (SCTP). L’entreprise s’est toutefois engagée à réhabiliter une dizaine d’unités flottantes, dont l’ITB Ngungu, l’ITB Ebeya, l’ITB Goma, etc. L’armement privé n’est, au contraire, constitué, pour l’essentiel, que des pousseurs, barges et baleinières de fortune… et autres pirogues motorisées. Qui ne cinglent pas sans occasionner des drames.
Le transport fluvial en RDC compte parmi les moins sûrs du monde. En avril 2018, la Régie des voies fluviales (RVF), les armateurs et les navigants s’étaient réunis à Kinshasa pour définir les priorités des passes de navigation à baliser sur le fleuve Congo et la rivière Kasaï. À l’issue de la réflexion, il y a des recommandations spécifiques et transversales, pour passer à l’action de manière concrète.
La campagne de balisage et cartographie du fleuve Congo et de la rivière Kasaï a débuté le 1er août 2019 pour prendre fin le 24 janvier 2020, en principe, soit presque six mois de travaux. Cette campagne est financée par l’Union européenne (UE), à travers le Projet d’appui à la navigabilité des voies fluviales et lacustres en RDC (PANAV). Cela fait plus de 20 ans, pour diverses raisons, que le fleuve Congo et la rivière Kasaï ne sont plus balisés comme il se doit.
En avril (26-27) 2018, le PANAV avait réuni la RVF, les armateurs et les navigants à Kinshasa pour la localisation à l’unisson des passes réputées « dangereuses » à la navigation que sont les passes rocheuses, les passes divagantes, les passes à forte courbure, les passes étroites et les passes aux courants d’eau violents. Il était aussi question de la désignation sur ces différentes passes, jugés « prioritaires » par les usagers des routes fluviales, les tronçons à baliser en priorité à court terme. Il était également question de l’actualisation ou la migration de la production des cartes analogiques datant de l’époque coloniale vers la production numérique par la RVF à l’usage des navigants.
La cinquantaine de navigants et armateurs réunis à cette occasion se sont appliqués avec beaucoup de conscience en vue d’apporter leur contribution au balisage. Ils ont recommandé pour le fleuve Congo, de renforcer d’abord les balises cassées et de remettre les bouées disparues dans toutes les passes rocheuses, ainsi que le balisage permanent de tous les pools (Malebo, Sandy Beach et Bolobo) ainsi que de toutes les passes divagantes. Et pour ce qui est de la rivière Kasaï, ce sont des travaux sur toutes les passes rocheuses, de Kwamouth à Ilebo : la remise en place des alignements, la reconstruction ou la réhabilitation des balises en maçonnerie, le mouillage des bouées à certains endroits déterminés sur les tronçons sablonneux, la réalisation de nouveaux levés bathymétriques par les hydrographes…
En ce qui concerne la cartographie, les participants ont été informés de la mise au point et d’un test d’un prototype de carte électronique de navigation à bord de baliseurs Kauka et Congo, ainsi que de la collecte des données à intégrer dans les cartes de base. En tout cas, les participants ont recommandé la création d’un cadre de concertation réunissant les armateurs, les navigants, la RVF et la cellule de gestion du PANAV pour le suivi et l’évaluation des actions.
Pour rappel, la RVF a bénéficié d’un financement de 60 millions d’euros dans le cadre du 10è FED (Fonds européen pour le développement), à travers le PANAV, entre autres notamment pour la réhabilitation de deux baliseurs (Lomela et Kauka) et la réparation d’un autre (Congo) ; pour l’acquisition de deux bateaux multifonctions, de 13 canots hydrographiques et 300 bouées ; pour la réhabilitation de son chantier naval ; ainsi que pour la remise en l’état du réseau de signaux de rive et des balises. Le projet porte aussi sur l’actualisation des albums de navigation à mettre à la disposition des usagers des voies fluviales, la réhabilitation du Centre de traitement des données (CTD) de la RVF.
En pratique, le management du projet d’appui à la navigabilité des voies fluviales et lacustres en RDC est assuré par un coordonnateur qui est le délégué par l’UE, et un régisseur qui représente les intérêts du gouvernement de la RDC. Le PANAV étant un projet hautement technique, Déocard Mugangu a été désigné régisseur. Il a le profil qu’il faut. Ancien commandant au long cours à la Compagnie maritime belge (CMB) et à l’ex-Compagnie maritime zaïroise (CMZ), Déocard Mugangu a dirigé également la Régie des voies maritimes (RVM). Il a été aussi directeur des infrastructures à la CICOS et directeur au CRFNI. C’est vraiment quelqu’un qui a les prérequis indispensables que seuls confèrent la formation et le métier à travers l’expérience, pour mener à bon port un tel projet de transport par voies d’eau intérieures.