UNE VISION pour l’économie nationale semble être en l’air. Elle ne demande qu’à être concrétisée. Mais de quelle vision, ça peut bien être ? Après avoir dressé un diagnostic général de notre économie face aux enjeux et aux défis de l’économie mondiale, les spécialistes pénètrent plus avant dans ses arcanes. Avec, pour fil d’Ariane, l’univers complexe et souvent impitoyable des matières premières. Au début des années soixante, le célèbre agronome français, René Dumont, déclarait que l’Afrique était mal partie. Cinquante-neuf ans plus tard, la Banque mondiale semble corroborer les prévisions de ce spécialiste. Les experts de l’institution de Washington constatent, en effet, que les Africains sont aujourd’hui plus pauvres qu’il y a une cinquantaine d’années.
Cette baisse du niveau de vie des populations témoigne, à coup sûr, de l’inefficacité des stratégies de développement adoptées au lendemain des indépendances. En accédant à l’indépendance politique, les pays africains espéraient que l’indépendance économique allait suivre. Fort malheureusement, il en est autrement. En misant sur un développement tributaire des recettes d’exportation des matières premières, ils n’ont fait qu’aggraver une situation de dépendance héritée de la période coloniale. Actuellement, deux pays sur trois dépendent de trois produits au moins pour les deux tiers de leurs exportations. La majorité des pays africains sont dépendants à plus de 60 % des produits de base pour leurs exportations. Et ces pays sont les plus touchés par l’instabilité des marchés.
Comme le soulignent des spécialistes, les produits de base constituent le lieu privilégié d’affrontements politico-économiques entre les pays riches et les pays pauvres. Ce sont des réactifs de la réalité économique des rapports entre les pays riches consommateurs et les pays pauvres producteurs. Source de devises et moteur de développement pour les pays pauvres, élément indispensable pour les industries des pays riches, les produits de base sont, et resteront, le catalyseur de conflits entre eux. Comment alors sortir du carcan de la dépendance ?
Le diagnostic de la situation
La tenue (2-4 avril 2018) de la table ronde sur « la promotion des exportations des produits congolais et la réduction de la dépendance aux importations », à l’initiative du ministre d’État, ministre du Commerce extérieur (d’alors), Jean-Lucien Bussa Tongba, a permis aux participants de faire le tour complet de la situation. Selon l’état des lieux dressé par le ministre du Commerce extérieur à la table ronde des exportations, la République démocratique du Congo a connu une « situation florissante » durant la période d’avant et de l’immédiatement après-indépendance, avec une balance commerciale excédentaire, une structure des exportations diversifiées, marquée par la variété des produits agricoles : caoutchouc ; fibres de coton, de jute et de sisal, huiles, noix palmistes, café, bois. Mais aussi des produits du secteur d’extraction minière : cuivre, étain, cobalt, or, diamant…
En 1950, par exemple, les secteurs de l’agriculture et de l’industrie contribuaient quasiment à part égale aux recettes en devises, soit respectivement 48,8 % pour l’agriculture et 51,2 % pour l’industrie. En 1959, la contribution de ces deux secteurs était respectivement de 42,8 % pour l’agriculture et 57,2 % pour l’industrie. L’agriculture et l’industrie contribuaient efficacement et de manière équilibrée aux exportations de la RDC. Par conséquent, la balance commerciale est restée excédentaire pendant de plusieurs années.
Cependant, souligne Bussa Tongba, au cours des quatre dernières décennies, la RDC a aligné des « déficits extérieurs abyssaux », et l’économie nationale a été l’une des plus extraverties et hyper-dépendantes de l’évolution des cours des matières premières et des importations. La structure de nos exportations reste encore dominée par des produits primaires (minerais et combustibles, vendus à l’état brut et dont la volatilité des prix impacte négativement les recettes publiques, les réserves de change et la valeur de la monnaie nationale) à hauteur de 93,2 %.
La tendance à la diversification de l’économie nationale, héritée de la colonisation, s’est effritée au fil des années au profit des produits de l’industrie extractive et au détriment de l’agriculture. En 1997, par exemple, l’industrie extractive a contribué aux recettes en devises à concurrence de 81,3 % alors que la part de l’agriculture a baissé à 12 %. Et la tendance baissière s’est accentuée au cours des années 2000. La contribution de l’industrie extractive aux recettes en devises du pays était de 87 %, alors que celle de l’agriculture s’est située à 4 % seulement de l’ensemble des recettes.
Et selon les statistiques de l’Organisation mondiale du commerce (OMC, 2014), la structure des exportations de la RDC se présente de la manière suivante : industrie extractive, 90,2 % (produits primaires) ; agriculture, 3 % (dont 77 % des produits primaires) ; la branche manufacturière, 4,7 % ; et le secteur des services, 2,1 %. Concernant la structure des importations, on observe la prédominance des produits agricoles, soit 73,7 % (dans la catégorie des importations des produits primaires, 29 %) et la prédominance des produits manufacturés, soit 70,2 %.
Selon la Banque centrale du Congo (rapports sur la politique monétaire de 2014-2016), l’économie nationale repose essentiellement, depuis quelques années, sur les exportations des matières premières (produits miniers et hydrocarbures). Les produits miniers et les hydrocarbures ont contribué pour 10, 083 milliards de dollars, soit 98,0 % en 2015 et 9,337 milliards, soit 97,53% en 2016.
Lien de cause à effet
Pour les spécialistes, il existe un lien de cause à effet entre le volume, la structure des exportations et la structure des importations d’un pays et sa structure économique. D’après Bussa Tongba, la faiblesse structurelle d’une économie est reflétée tout naturellement par son impact négatif sur son commerce extérieur. D’où il faut se remettre en question. Il y a eu plusieurs recommandations aux assises d’avril 2018.
Entre autres : appuyer les associations professionnelles pour l’encadrement et le suivi de leurs membres, assurer la formation des agro-transformateurs de PME et PMI aux règles et normes d’emballage et d’étiquetage, relancer et privatiser les plantations abandonnées, renforcer la recherche géologique et minière, et promouvoir la destination touristique en RDC.
En rapport avec le secteur public déterminant de la croissance économique, il convient de booster les secteurs de l’infrastructure, de l’énergie, des transports, de la communication, de l’éducation au niveau de l’ambition du développement économique correspondant aux défis économiques de la RDC ; de doter le secteur des infrastructures routières des ressources budgétaires conséquentes afin de faire face aux besoins immenses d’investissement ; d’améliorer l’interconnectivité des zones de production aux marchés de consommation intérieur et extérieur en développant des infrastructures des voies de communication et en fluidifiant le circuit de la distribution.
Il faudra aussi améliorer la desserte énergétique avec une attention particulière sur le raccordement des zones industrielle et de production agricole ; valoriser le capital humain du pays en repensant et en adaptant le système de formation au niveau des défis du développement ; renforcer les performances de l’administration publique à travers la formation initiale et continue des agents et des cadres et sa mutation pour une véritable administration de développement ; et accélérer la réalisation du Grand Inga.
Ce n’est pas tout. Il faudra également diversifier le circuit de commercialisation externe et interne ; relancer la production agricole de rente et vivrière grâce, entre autres, à une intervention publique ; réduire les taxes et les redevances à l’exportation des produits agricoles et à l’agro-industrie ; financer conséquemment le monde rural ; accélérer le processus d’élaboration des stratégies nationales cohérentes d’exportation…
Enfin, le gouvernement devra concevoir et réaliser des programmes d’aide à l’exportation, à la commercialisation et à l’investissement pour aider les exportateurs dans leur recherche sur le marché d’exportation primaire ; assurer, faciliter et garantir le financement à l’exportation à court terme ; accorder des subventions pour des investissements étrangers dans de nouvelles machines et matériels, pour l’établissement de nouveaux exportateurs de produits de la RDC en RDC ; soutenir la compétitivité par le développement des ressources humaines et des technologies appropriées…