DES soupçons planent depuis plusieurs années sur les conditions de l’octroi de la Coupe du monde 2018 en Russie et de l’édition 2022 au Qatar. Sur la base de documents ou de témoignages recoupés, plusieurs médias avaient affirmé que des dirigeants de la Fédération internationale de football association (FIFA) avaient été payés pour choisir le Qatar lors du scrutin. Mais pour la première fois, la justice d’un pays s’empare de ce délicat dossier. L’acte d’accusation publié, lundi 7 avril, par Richard Donoghue, le procureur fédéral de Brooklyn aux États-Unis, met en lumière que les votes désignant le Qatar et la Russie ont été entachés d’irrégularités.
Il inculpe trois nouveaux individus (ainsi qu’une société), dont Jack Warner, l’ancien président de la CONCACAF (la fédération de football d’Amérique du Nord, Centrale et des Caraïbes), qui aurait reçu 5 millions de dollars pour voter en faveur de la Russie. La compétition a été officiellement désignée le 2 décembre 2010. Toujours selon le procureur de Brooklyn, le versement aurait été effectué par l’intermédiaire d’un réseau complexe de sociétés écrans.
Outre Jack Warner, qui était, à l’époque, le vice-président de la FIFA, le document cite également Rafael Salguero, l’ancien président de la Fédération guatémaltèque de football et ancien membre du comité exécutif de la FIFA. Selon l’acte d’accusation, Rafael Salguero se serait vu promettre un million de dollars en échange de son soutien à la candidature russe lors du vote décisif.
Par ailleurs, dans le cadre de l’attribution de la Coupe du monde 2022, le même acte d’accusation affirme également que plusieurs dirigeants ont reçu des enveloppes pour acheter leurs voix. Il cite Ricardo Teixeira, l’ancien président de la Fédération brésilienne de football (CBF), et Nicolas Leoz, l’ex-président de la Confédération sud-américaine de football (CONMEBEL) décédé en août 2019.
Les services du procureur fédéral de Brooklyn donnent peu d’indications sur l’origine de ces versements. Dans le cas de Jack Warner, par exemple, ils mentionnent néanmoins un individu ayant fait office de contact, selon l’accusation, qui le décrit comme « un proche conseiller » de Sepp Blatter, le président de la FIFA de l’époque. Le document cite à cet effet un courrier électronique envoyé par cet individu à l’assistant de Jack Warner, lui confirmant le transfert de 5 millions de dollars.
45 personnes inculpées
Des enquêtes et des informations judiciaires ont été ouvertes dans plusieurs pays sur des soupçons de corruption lors de l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022. Quelque 45 personnes physiques et morales ont été inculpées à ce jour par la justice américaine dans l’affaire dite du Fifagate, qui a mis au jour un vaste système de corruption, qui minait surtout les fédérations du continent américain. À ce jour, 26 accusés ont plaidé coupable, ainsi que 4 personnes physiques. Deux autres personnes, qui avaient plaidé non coupable, ont été condamnées à l’issue d’un procès.
Réclamé par la justice américaine, Jack Warner, aujourd’hui âgé de 77 ans, se trouve toujours à Trinité-et-Tobago. Son recours contre la demande d’extradition présentée par les États-Unis doit encore être examiné par le Privy Council, qui se trouve à Londres, mais constitue la plus haute juridiction de droit trinitéen. Jack Warner est également accusé d’avoir vendu son vote pour l’octroi de la Coupe du monde 2010, attribuée à l’Afrique du Sud. Il a été condamné par contumace, en 2019, à verser 79 millions de dollars de dommages et intérêts à la CONCACAF.
Quant à lui, Rafael Salguero a été condamné en décembre 2018 à une peine de trois ans d’assignation à résidence, équivalente à celle qu’il avait déjà effectuée. Cette peine réduite prenait en compte sa collaboration dans l’enquête menée par la justice américaine. Quant à Ricardo Teixeira, il se trouve au Brésil et échappe donc, pour l’instant, aux autorités américaines.
La réaction de Blatter
Alors que la justice américaine est bien décidée à faire tomber les membres du comité exécutif de la FIFA qui auraient touché des pots-de-vin dans le cadre de l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022, tout le monde y va de sa petite déclaration pour se dédouaner. Après la Russie, c’est Sepp Blatter qui a pris la parole, pour l’AFP. Droit dans ses bottes, l’ancien président de la Fédération internationale de football association, a appuyé la version qu’il a toujours défendue, niant tout pot-de-vin et faisant une nouvelle fois référence au déjeuner entre Nicolas Sarkozy (ancien président français de 2008 à 2012), Michel Platini (ancien président de l’UEFA et vice-président de la FIFA) et Tamim Ben Hamad, l’actuel émir du Qatar, en novembre 2010.
« Il y avait un gentleman’s agreement au sein du Comité exécutif de la FIFA : le Mondial 2018 à la Russie et le Mondial 2022 aux États-Unis. Il y a eu une intervention politique pour attribuer le Mondial 2022 au Qatar, c’est tout. Dans ce genre de décisions, c’est une intervention politique à haut niveau qui se fait », a-t-il déclaré. À J-958 avant le Mondial qatari, le feuilleton continue. Le Qatar dément lui aussi avoir versé des pots-de-vin à la FIFA.
Le pays de la Péninsule arabique « dément fermement les allégations contenues dans les documents. Malgré des années de fausses accusations, aucune preuve n’a jamais été produite qui démontrerait que le Qatar a obtenu l’organisation du mondial de manière douteuse ou par des moyens contrevenant aux règles strictes de la FIFA. » Cette dernière a répondu aux accusations de la justice américaine, indiquant que plusieurs membres du comité de l’instance internationale avaient reçu des pots-de-vin dans le cadre de l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022.
La fédération internationale de football association a précisé qu’elle « suivait de près ces enquêtes », et allait continuer à « coopérer pleinement » avec la justice américaine, en charge de l’enquête. « Il est important de souligner que la FIFA a elle-même obtenu le statut de victime dans les procédures pénales américaines et que les hauts dirigeants de la FIFA sont en contact régulier avec le ministère de la Justice américaine. Si des actes criminels commis par des officiels du football sont établis, les individus en question devraient faire l’objet de sanctions pénales. », rappelle l’instance dans un communiqué.
De leur côté, les autorités russes ont formellement nié l’existence de toute magouille quant à l’attribution du Mondial 2018 : « La Russie a reçu de façon tout à fait légale le droit d’organiser la Coupe du monde. Ce n’est pas lié à de quelconques pots-de-vin, nous démentons cela catégoriquement », a affirmé aux médias Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin. Dossier à suivre.