LE développement de la globalisation financière s’est basé sur un contexte favorable des points de vue économique, politique et technologique. Durant les années 1970-80, les politiques keynésiennes se sont essoufflées ce qui a conduit à la diffusion des idées libérales qui se sont par la suite imposées dans les milieux économiques et politiques. Les débuts de la révolution libérale se sont concrétisés lors de l’arrivée de Margaret Tchatcher au pouvoir en Grande-Bretagne et de Ronald Reagan aux États-Unis. Partant de l’idée que le marché est l’instrument de régulation économique le plus efficace et que l’État doit intervenir le moins possible, ils ont instauré des mesures favorisant les 3D (la déréglementation, le décloisonnement et la désintermédiation des marchés financiers). Ceci caractérise le contexte politique favorable à la globalisation financière. Dans beaucoup de pays, comme la France, le développement du système libéral passe par de nombreuses privatisations et un recul de l’intervention de l’État, notamment sur le financement de l’activité économique.
D’un point de vue technologique, la récente apparition des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) a rendu possible les échanges économiques permanents et immédiats en dématérialisant (possible 4è D) les capitaux. Cette nouveauté a facilité les transactions internationales et la multiplication des transactions sur les marchés de capitaux, connectés en permanence. Les coûts de transaction ont également diminué grâce aux NTIC.
D’un point de vue économique, l’ouverture des marchés financiers à l’international répond à divers facteurs. On peut tout d’abord relever les déséquilibres d’épargne observés à l’échelle mondiale, impliquant un excédent structurel de capitaux (= capacité de financement) tandis que d’autres pays ont, eux, un déficit structurel de ressources en capital (= besoin de financement). Ceci explique l’essor des capitaux constatés d’un pays à l’autre.
Fuites des capitaux
De plus, la multiplication du nombre d’acteurs grâce à l’ouverture internationale des marchés permet aux investisseurs de diversifier leurs portefeuilles de titres, c’est-à-dire de posséder plus de types différents d’actifs financiers. Cet élément est très important en ce qui concerne la diminution des risques, car cela diminue la probabilité que tous les titres que l’on détient perdent de leur valeur au même moment.
Une complicité passive de certains pays riches plombe les efforts de l’Afrique. De l’Afrique, on parle toujours des ravages économiques qui y sont causés par les phénomènes de corruption, et de fuite illicite des capitaux, ainsi que de leurs coupables (États, multinationales). Plusieurs pays du continent figurent d’ailleurs dans le top 10 des pays considérés comme les plus corrompus au monde, ou encore ceux dont la part des revenus sortis chaque année de manière illicite est la plus importante. Mais jusqu’à récemment, on se posait peu la question relative aux complices qui facilitent ces deux fléaux économiques, en captant les ressources qui en sont issues.
L’Afrique victime et parfois coupable, mais qu’en est-il des complices ? C’est dans cette logique qu’a été mis sur pied le Financial Secrecy Index, l’indice qui classe les pays du monde en fonction du niveau de pratique des secrets financiers qui y existe. Ce dernier a été créé en 2009 par l’ONG britannique Tax and Justice Network. Il se déclare « politiquement neutre », mais s’apparente subtilement à un anti-classement de l’ONG Transparency International qui, lui, classe les pays en fonction du degré de perception de la corruption.
La question n’est pas anodine. Les données permettent d’estimer qu’entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars de capitaux privés dans le monde, sont situés dans ces juridictions secrètes, en étant très peu ou pas du tout imposés. Par ailleurs, les flux financiers transfrontaliers illicites ont été estimés à 1 600 milliards de dollars par an, un montant qui dépasse de quelque 135 milliards de dollars l’aide publique internationale. Depuis les années 1970, les pays africains ont perdu à eux seuls près de 1 900 milliards de dollars en fuite des capitaux.
Vu sous cet angle, c’est plutôt le monde entier qui doit de l’argent au continent africain. Mais le fait est que le surplus de ses avoirs se retrouve entre les mains d’une élite riche, et protégé dans des places offshores, tandis que les dettes sont soutenues par les populations africaines. « De notre point de vue, la corruption était perçue sous le mauvais angle. On n’a jamais pensé à examiner la corruption sous l’angle des services qui lui permettent de prospérer », a confié John Christensen, le responsable de Tax and Justice Network, lors d’une interview accordée en 2016 à l’Agence Ecofin.
L’information selon laquelle le Nigéria a récupéré 321 millions de dollars de fonds cachés dans des pays qui pratiquent le secret financier, est une illustration de l’ampleur du défi dans la région. Aussi, un récent rapport sur les inégalités de revenus dans le monde démontre qu’en Afrique subsaharienne, 40 % des revenus des pays sont distribués à moins de 10 % de la population. De vastes enquêtes menées dans différents pays de la région ont très souvent rarement permis de recouvrer des traces de ces fortunes, ce qui laissent émettre l’hypothèse selon laquelle elles se trouveraient dans des paradis fiscaux et surtout dans des juridictions sécrètes.
Dans le collimateur
La Suisse, les États-Unis et la Grande-Bretagne, sont en tête des pays soupçonnés de soutenir les flux financiers illicites internationaux, en pratiquant le secret bancaire et financier. La Suisse s’est beaucoup améliorée depuis la crise financière internationale de 2008, mais continue de préserver solidement sa réputation de pays le plus secret du monde pour ce qui concerne les avoirs bancaires. La loi sur le secret bancaire continue de s’appliquer de manière rigoureuse, exception faite de quelques pays avec lequel existent des accords de partage d’informations.
Tax and Justice Network, estime que les concessions que la Suisse a faites jusqu’ici, l’ont presque toujours été en réponse à des pressions sur ses banques, plutôt que sur le pays lui-même. Elle se résume de la manière suivante : de l’argent propre pour les pays riches et puissants, et de l’argent sale pour les pays vulnérables et en développement. En réalité l’indice de secret financier appliqué par la Suisse qui est de 76, n’est pas très loin de celui de ses suivants dans le classement que sont les États-Unis d’Amérique et les Île Caïmans.
La différence avec ces deux derniers se situe surtout sur le volume des actifs financiers qu’on retrouve dans les coffre-fort suisses. Selon des chiffres de l’association des banques de ce pays européen, 25 % de la fortune privée mondiale y est gérée. Cela représente l’équivalent de 6 560 milliards de dollars, dont 48 % en provenance de l’étranger. En plus de cela, le pays des montres et du chocolat abrite aussi des firmes d’audit, des banques d’affaires et des compagnies d’assurance qui, de partout dans le monde, se trouvent citées dans des pratiques illicites ou de facilitation ces pratiques. S’il est rapporté que de nombreuses réformes ont été menées pour faire infléchir la tendance, la Suisse devra encore fournir plus d’efforts pour atteindre la transparence bancaire et financière.
Un autre pays qui pratique le secret bancaire est la juridiction des Îles Caïmans. Ce petit territoire britannique est la huitième place bancaire du monde, avec des actifs de près de 1026 milliards de dollars, un volume gigantesque comparé à la taille de son économie. Parallèlement les actifs sous la gestion des fonds mutuels y sont de 3 575 milliards de dollars et le territoire abrite la plus forte concentration de fonds spéculatifs qui ont très mauvaise presse dans des pays peu développés. Les autres pays qui pratiquent le secret bancaire et financier sont des entités comme Hong Kong, Singapour, l’Allemagne, Taiwan, et les Émirats Arabes Unis, qui entretiennent de fortes relations économiques avec le continent africain.