D’ordinaire, les théories du complot se propagent à la vitesse du clic dans les recoins du web, font quelques incursions sur le fil Twitter du président américain Donald Trump ou de certains de ses partisans mais ne débordent que peu dans le monde réel. Mais la dernière thèse qui fait les délices des conspirationnistes, liant la technologie 5G au coronavirus, a eu des impacts très concrets au Royaume-Uni depuis début avril.
Au moins cinq antennes 5G – la prochaine génération de réseau téléphonique à haut débit – ont été vandalisées de l’autre côté de la Manche par des individus craignant apparemment pour leur santé, ont rapporté les autorités britanniques. Des actes de violence qui ont poussé le gouvernement à condamner très officiellement des théories qualifiées de « dangereuses et insensées ».
Londres a même convoqué en urgence les responsables britanniques des principaux réseaux sociaux pour leur demander de faire le ménage sur leur plateforme. Si le Royaume-Uni est le pays où ce complotisme à la sauce Covid-19 a les conséquences les plus visibles, cette théorie se propage tout autant aux États-Unis que dans d’autres régions d’Europe, ont constaté des chercheurs de l’université d’Oxford qui ont analysé comment les rumeurs se propagent durant l’épidémie de coronavirus.
Conspiration
Les dangers supposés de la 5G sont, depuis 2018, l’une des sources favorites des conspirationnistes. Jusqu’à l’apparition du coronavirus, la théorie la plus populaire voulait que les « gouvernements du monde » eussent développé cette technologie, accusée de favoriser le cancer, comme une technique de régulation de la population. Georges Soros, le milliardaire philanthrope, l’une des cibles favorites de l’extrême-droite, et Bill Gates, le fondateur de Microsoft, étaient même désignés comme les « marionnettistes » en chef de ce plan machiavélique.
Les dangers supposés de la 5G pour la santé ont même été un des leviers utilisés par la propagande russe « pour déstabiliser les démocraties occidentales », avait affirmé le New York Times dans une enquête publié en mai 2019 à ce sujet.
Plusieurs médias pro-Moscou ont mis en avant les thèses conspirationnistes « dans l’espoir de faire croire aux populations que leurs gouvernants leur cachaient la réalité du danger de la 5G », assure le quotidien américain.
La pandémie a donné une seconde jeunesse à ces divagations. Elles se sont enrichies de nouveaux éléments et se sont diversifiées. L’une des principales difficultés pour contrer ces déclinaisons des théories du complot autour de la 5G à l’heure du Covid-19 vient, d’ailleurs, de la variété de thèses développées, explique FullFact, un site britannique de lutte contre la désinformation.
« Il y a ceux qui soutiennent que le virus est réel mais que la 5G en amplifie les symptômes, d’autres qui affirment que le Covid-19 est une invention pour masquer la multiplication de maladies dues à l’exposition aux ondes 5G, sans compter ceux pour qui le coronavirus est une opération médiatique pour détourner l’attention du déploiement de cette technologie à grande échelle », souligne le site.
Soutiens de stars
À l’appui de leurs affirmations, ces conspirationnistes brandissent sur YouTube, Facebook ou Twitter des cartes censées démontrer que les foyers d’épidémie correspondent aux endroits du globe où se trouvent le plus d’antennes 5G. Ils avancent aussi que Wuhan, point de départ de la pandémie de coronavirus, serait la première ville en Chine où a été déployée cette technologie.
Autant de « preuves » dont la réfutation n’est qu’à un ou deux clics sur Internet. Qu’importe aussi si l’Iran a été l’un pays les plus touchés par le Covid-19 alors même que la 5G est loin d’y être une réalité.
En fait, cette technologie n’a été déployée que dans une quarantaine de pays… alors que le coronavirus sévit partout sur le globe. « Les affirmations scientifiquement saugrenues peuvent faire sourire et sont facilement contredites par les faits, mais il ne faut pas sous-estimer à quel point l’inquiétude par rapport au risque sanitaire du Covid-19 peut pousser les gens à se raccrocher aux explications simplistes des théories du complot », souligne une note d’analystes du cabinet de conseil Jefferies Financial Group, publiée dimanche 5 avril.
À cela s’ajoute le fait que ces théories du complot ont été relayées sur Internet par des stars du show-bizz comme l’acteur américain Woody Harrelson, la chanteuse britannique M.I.A. ou le boxeur britannique Amir Khan. L’étude de l’université d’Oxford a établi que la parole de personnalités était un formidable accélérateur pour la propagation d’une théorie du complot.
Les actes de vandalisme ne sont pas le seul effet pernicieux de cette théorie du complot, ont constaté des chercheurs du King’s College de Londres, dans une étude publiée le mercredi 8 avril. Ceux qui y adhèrent sont, aussi, beaucoup moins susceptibles de suivre à la lettre les consignes de confinement émises par les autorités. Ainsi, près de 30 % de ces conspirationnistes interrogés pour cette étude assurent qu’il n’y a pas de raison valable de rester chez soi.
En ce sens, cette théorie du complot représente un réel risque sanitaire.