LA DÉCISION est saluée tous azimuts par l’ensemble des entreprises, même si les inquiétudes demeurent nombreuses tant le système fiscal actuel de la République démocratique du Congo est souvent décriée comme trop complexe et asphyxiante pour bon nombre d’entreprises. Sera-t-il réformé un jour ? Et si c’était maintenant ? Le Covid-19 vient de fragiliser davantage l’économie de la RDC, déjà en peine à être stable et autosuffisante. Avec la récession de 3 % de l’économie mondiale, les pays les plus pauvres sont les plus gravement touchés par cette crise sanitaire, désormais aussi économique.
Alors que le monde vient cinq années à peine de sortir de la grande crise des subprimes de 2008 et que des chiffres de croissance allaient leur bon chemin, les pays voient leurs efforts de stabilité économique tant consentis s’effriter en l’espace de 3 mois maintenant, depuis l’apparition du virus en Chine, fin décembre 2019. Les analystes du Fonds monétaire international (FMI) estiment que la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) sera négative dans 170 pays en 2020.
La RDC a revu à la baisse son taux de croissance à 4,1 % en 2020, initialement prévue à 4,6 %. Bien que le gouvernement se soit doté d’un ensemble des mesures pour mitiger l’impact négatif de la pandémie sur l’économie et le social, le pays est entrain d’encaisser gravement le coup fatal de la baisse de la demande globale de matières premières, qui constituent la principale source des revenus du pays. Déjà en 2019, ces revenus avaient chuté de 310 millions USD, représentant une chute de 25 %, comparativement à l’année 2018.
De plus, avec des nouveaux avantages fiscaux accordés aux entreprises pour 3 mois, depuis février dernier, les recettes de l’État baisseront davantage. Face à ce tableau sombre, l’alternative, la meilleure, est de repenser profondément le modèle sur lequel l’économie du pays est basée pour la rendre performante et résiliente. Et une des pistes est la réforme du système fiscal actuel.
Pourquoi réformer ?
« Trop asphyxiant », « trop lourd », « trop complexe », tels sont les descriptifs par lesquels les opérateurs économiques désignent le système actuel de perception des taxes et des redevances de l’État auprès des entreprises. En effet, le pays compte trois administrations fiscales nationales, 58 services d’assiette au niveau national, 26 régies financières provinciales et 260 services d’assiette au niveau provincial. Cette liste pléthorique permet de renseigner sur la compléxité des procédures administratives auxquelles les opérateurs économiques font face, outre le nombre important d’intervenants avec qui elles doivent traiter.
À cela s’ajoutent les visites intempestives des agents du service fiscal, qui, si elles sont nombreuses, réduisent la productivité de l’entrepreneur à cause du temps considérable que celui-ci doit lui consacrer. Par ailleurs, cette fiscalité à outrance, étouffe la croissance des entreprises et pénalisent des investissements.
À la suite des conséquences désastreuses du nouveau coronavirus, de nombreux pays d’Europe, d’Asie ainsi que les États-Unis ont injecté des capitaux importants dans leurs économies pour soutenir la production et la consommation, ainsi limiter le risque de récession. Cependant, ces mesures, aussi drastiques qu’elles ont pu être, n’ont pas toutes réussi à stopper la vague de la pandémie, qui a fini par engloutir certains pays comme la France, qui est entrée officiellement en récession le 6 avril dernier.
Aussi, tant que les économies resteront-elles fermées à cause des mesures de confinement, qui touche actuellement 2/3 du globe, il est à craindre que la situation économique globale devienne très critique et irréversible pour certains secteurs. Et, par conséquent, de plus en plus de capitaux seront nécessaires pour relancer la machine économique du monde. Survivra tel pays qui sécurise les investisseurs et dont le climat des affaires est propice. Et que fera la RDC ?
Nouvelle réforme, possible
Le système fiscal actuel décourage des opérateurs économiques et freinent des investissements privés. À peine nées, des entreprises se voient contraintes de subir des tracasseries des services fiscaux, qui exercent une telle pression sur des opérateurs qu’ils se sentent en terrain hostile, ménacés et finalement se résignent à plier bagages et scellent leurs bureaux, envoyant des gens au chômage et ne contribuant plus aux recettes de l’État.
Plusieurs dirigeants d’entreprises ont décrié ce système qui crispe le climat des affaires congolais. Intervenant au cours de l’assemblée générale ordinaire du patronat congolais tenue à Kinshasa le 31 mai 2018, Albert Yuma, son president, avait déclaré : « Le système appliqué en RDC tue l’entreprise, pousse à l’informel et favorise la contrebande ». Ceci peut expliquer l’explosion du secteur informel en RDC. Selon des experts, le secteur informel représenterait 80 % de l’économie. Quoiqu’il n’existe pas des études dûment prouvées pour attester de la véracité de ce chiffre, la réalité sur terrain n’en est pas loin. En effet, beaucoup d’« entreprises » exercent des activités en dehors du cadre formellement établi pour se soustraire à la complexité du système fiscal. Si cette attitude est contraire au civisme fiscal, elle justifie à suffisance la nécessité de la réforme, en vue de faciliter la collecte des taxes et redevances de l’État chez tous, plutôt que s’acharner sur un petit groupe. Le système fiscal devrait favoriser la confiance des opérateurs et inciter à plus de responsabilité sociétale. Et quand cette confiance disparaît, le système fiscal devient une structure de corruption.
En septembre 2017, Henri Yav Mulang, alors ministre des Finances, avait convoqué le Forum national sur la réforme fiscale de la RDC (FONAREF). Treize options avaient été retenues : la rationalisation de nomenclatures des impôts et taxes à percevoir à l’initiative du pouvoir central et des provinces, ainsi que des ETD ; la révisistation de la nomenclature des actes générateurs de recettes non fiscales du pouvoir central, des provinces et des ETD ; la globalisation de l’impôt sur les revenus ; la suppression de certaines taxes et perceptions sans fondement légal ; la rationalisation et la baisse des taux de certains impôts taxes et redevances ; la révisitation des régimes fiscaux d’exceptions et l’intégration de certaines de leurs dispositions dans le code des impôts ou des douanes ; la mise en conformité des politiques économiques, budgétaires, financières et fiscales ; la poursuite du renforcement de l’informatisation des services de l’administration fiscale et leur interconnexion ; la fusion progressive des administrations fiscales actuelles en une administration publique ; la création d’un guichet unique de perception des taxes ; l’instauration de la TVA à plus d’un taux moyennant renforcement de la capacité de l’administration fiscale et d’en assurer la gestion ; le renforcement de la formation et des capacités des agents et cadres de administration fiscale ; et le renfoncement des sanctions positives comme négatives tant contre les agents et cadres de l’administration publique que contre certains opérateurs économiques.
Ces assises avaient suscité un vif intérêt auprès des opérateurs économiques. Cependant ces options attendent encore d’être appliquées jusqu’à ce jour pour alléger le système fiscal du pays. L’application de ces mesures devrait être la priorité du gouvernement pour relancer l’économie après le Covid-19. Car, bien que des décisions soient prises au jour le jour à cause de l’imprévu de la pandémie, le gouvernement devrait aussi penser à ce qu’il adviendra de l’économie du pays une fois le virus vaincu. Et la réforme du système fiscal est une des pistes importantes à emprunter pour ressusciter l’économie et favoriser des investissements privés.
Luc Mubay est spécialiste en investissement en RDC.