C’EST l’éternelle histoire du verre à moitié vide. Quand certains voient déjà dans la bulle spéculative dans l’immobilier « un déclin » ou « un effondrement » de la ville, d’autres diagnostiquent « une correction » ou « un assainissement » du milieu. En tout cas, la frénésie qui avait saisi les opérateurs de l’immobilier et l’État, au début des années 2000, elle, ne retombe pas. Kinshasa, « la ville de tous les fantasmes », concentre les espoirs les plus fous et les pires dérives dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Entre 2 000 et 2 020, les prix ont atteint des sommets quasi surréalistes, aiguisant l’appétit des propriétaires des maisons et des parcelles.
Un terrain à construire à Kinkole, au-delà de l’aéroport de Ndjili, sur la RN1 (route nationale) était proposé en 2 000 à 3 000 dollars. Vingt ans plus tard, le même terrain se vend à plus de 20 000 dollars. Dans les anciens quartiers de l’époque coloniale, tels Bandalungwa, Lemba, Matonge, etc., les maisons de « l’Office » [national de logement, ONL] qui coûtaient en 2 000 autour de 20 000 dollars, se vendent aujourd’hui à prix délirants : entre 100 000 et 250 000 dollars.
La loi du marché
Idem pour le locatif, où certaines villas construites dans les quartiers prisés de la ville par des promoteurs immobiliers nationaux ou étrangers coûtent les yeux de la tête : entre 1 500 et 5 000, selon que la villa est équipée ou non. Dans les quartiers moyen de gamme (Lemba, Bandalungwa, Kalamu, Kasa-Vubu, Kintambo, Ngiri-Ngiri, Matete…), le loyer a follement grimpé au fil des ans avec ce message des propriétaires : « C’est la loi du marché, vous comprenez, Kinshasa, c’est devenu comme Paris. »
Un cynisme payé au prix fort par des milliers de Kinois modestes, obligés de « s’exiler » dans les coins défavorisés sans eau ni électricité ni route pour se loger. L’odeur de l’argent facile, l’arrivée de nouveaux riches qui se recrutent dans la classe politique, de nouveaux commerçants nationaux venus de l’Est ainsi qu’étrangers, chinois, Indiens et Libanais, la tendance festive de la ville, la demande en logement toujours attractive sont à l’origine de la bulle spéculative dans l’immobilier à Kinshasa.
À Kinshasa, le métier de « commissionnaire » (démarcheur) et les agences immobilières ont pris de la valeur, avec la certitude que cet engouement repose sur du solide. On entend quotidiennement dans les conversations de rue, bureau, terrasse, restaurant, etc. : « Pierre vend », « J’ai vu hier André avec des négociants », « La maison de Stéphane est à vendre »… Sur internet, les annonces immobilières « à vendre/for sale » ou « à louer/for rent » ont fait leur apparition tonitruante et fleurissent comme des coquelicots, des textes comme : « Part… Vend… Magnifique villa… Prix abordable… »
Mais, en réalité, les réels besoins en logement de la population sont en dehors de cette bulle spéculative. À l’exception de l’étroit segment du haut de gamme à destination d’une clientèle étrangère et des cadres supérieurs, l’immobilier se porte mal à Kinshasa, à cause de l’absence de programmes de construction, y compris les plus ambitieuses villes nouvelles à destination des classes populaires ou moyennes. Enfin, tout ce qui est fait est exagéré, voire déraisonnable parce que la norme en matière d’aménagement, de planification, de construction, d’exploitation et d’entretien n’est pas de mise.
Après « les 5 Chantiers » et la « Révolution de la modernité » entre 2 007 et 2 014, les bulldozers ont repris du service en 2 019 sur les grandes artères de la capitale avec « les 100 jours du PR ». Les Kinois sont dans l’expectative. Jusqu’où va aller cette frénésie dans le BTP ? Les professionnels du secteur retiennent leur souffle. Ils ont usé de tous les qualificatifs pour dénoncer une situation qui se résume au chaos. Les chantiers de l’État et les chantiers privés dans la capitale sont-ils normés ? Leur qualité est-elle contrôlée ? Le compte n’y est pas, s’empressent de répondre beaucoup de personnes interrogées. Combien de fois n’a-t-on pas vu des constructions s’écrouler comme un château des cartes ?
Le secteur du BTP est une vraie bombe dans la capitale. Les professionnels du secteur attendent beaucoup de l’État pour faire tout revenir à la norme. Mais, apparemment, l’exécutif laisse faire. Apparemment. Préoccupé par les chantiers publics à impact visuel réel. Les chantiers de l’État représentent une partie très marginale des marchés de construction à Kinshasa. Ce que l’on attend, c’est une mesure forte de réglementation pour l’ensemble des acteurs du secteur, fait remarquer un professionnel du secteur. Si certains comportements désinvoltes et intéressés sont bannis, que l’époque du grand n’importe quoi révolue, il y aura de très belles opportunités à réaliser, croit-il fermement. À Kinshasa, le verre peut aussi être vu à moitié plein.