LA semaine dernière, le dollar s’échangeait contre 18 000 FC à certains endroits, contre 17 500 FC la semaine d’avant. Le taux d’inflation est estimé à 5,7 % sur un objectif annuel de 8 %. Mais la population à Kinshasa se plaint que « l’argent ne circule pas » et les commerçants disent qu’« il n’y a pas de ventes ». Bref, l’économie nationale fait les frais de la pandémie de coronavirus. Chaque mardi, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre, réunit autour de lui les membres du Comité de conjoncture économique du gouvernement.
À la séance de travail du mardi 14 avril, les membres de ce comité et le patronat (FEC) représentant les opérateurs économiques ont examiné la note de conjoncture présentée par Elysée Munembwe Tamukumwe, la vice-1ER Ministre, ministre du Plan, ainsi que la note d’information de Willy Kitobo Samsoni, le ministre des Mines. À propos de la note de conjoncture, le Comité de conjoncture économique du gouvernement a constaté que le taux de change est plus ou moins stable sur les marchés parallèles et à l’interbancaire. Quant à la note d’information du ministre des Mines, Business et Finances a publié dans son édition n°265 un rapport interne sur les conséquences des mesures sanitaires pour lutter contre la propagation du coronavirus sur les produits miniers marchands de la République démocratique du Congo.
Le chômage et le stress
Avec la mesure de confinement de Gombe, les salariés, dans le public comme dans le privé, réduits au chômage déguisé ont du mal à garder le moral. Si les uns travaillent à distance (télétravail) notamment dans les organismes internationaux et les sociétés de services, les autres sont quasiment en chômage technique ou partiel… Mais comment vivent-ils le confinement de Gombe, c’est-à-dire l’arrêt de travail ?
Les opinions livrées par un rapide sondage psychosocial sont plutôt inquiétantes. Plus de quatre salariés sur dix déclarent connaître une « détresse psychologique ». Un quart des sondés serait même en « risque de dépression » nécessitant un traitement. Des spécialistes soulignent que « vivre dans un logement de moins de 20 m² présente un facteur de risque important et les personnes en couple ou avec enfants sont encore plus exposées ».
Il faut d’ores et déjà se préparer à la suite, au déconfinement de Gombe et aux réouvertures des commerces et services. « Mais ça ne sera pas simple », précise un responsable hôtelier. « C’est un travail préparatoire qu’on a déjà commencé. Il faut préparer une réouverture qui sera sous le signe du sanitaire. Il ne faut pas rêver, la reprise sera assez lente pour les hôtels, restaurants, boîtes de nuit, terrasses et autres », poursuit-il. Donc il faut des équipements, aujourd’hui très peu sont à même de les avoir.
La crise liée au Covid-19 a accentué les déséquilibres. Partout, dans tous les secteurs. La conséquence est la fragilité alimentaire accentuée par le confinement, qui aggrave les inégalités d’accès à une nourriture de qualité. Depuis un mois déjà des millions de pauvres sont désemparés. La charité ne suffit pas à résoudre les problèmes alimentaires à Kinshasa. « Il faut arrêter de traiter les citoyens en simples consommateurs en parlant de déconfinement progressif de Gombe », estime un fonctionnaire de l’État. Mais pour ce faire, « il faut surtout un plan général » : un outil de gouvernance en période de crise sanitaire qu’un professeur affirme réclamer depuis plusieurs jours.
La crise sanitaire représente en effet une occasion en or de renforcer la sécurité alimentaire des Congolais, est-il convaincu, en renforçant en accroissant la production de nourriture locale pour atteindre environ 80 % d’autonomie. « Le climat et les sols congolais le permettent, le changement climatique et la croissance démographique l’imposent », estime ce professeur. D’après lui, la crise du coronavirus est une nouvelle opportunité, une sonnette d’alerte pour tous les pays à prendre au bras le corps la question de la résilience des systèmes alimentaires.
Rentrée des classes
Le cabinet du ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique a précisé dans un communiqué que contrairement à la rumeur, aucune reprise des cours pour les 22 millions d’élèves de la RDC n’est prévue le 11 mai prochain. La question a été soulevée lors de la réunion du Conseil des ministres du vendredi 24 avril. Une tripartite primature-ministère de l’EPST-Comité de riposte au Covid-19 se tiendra cette semaine pour fixer l’opinion. Entretemps, un enseignant du primaire interpelle : « N’ajoutons pas une crise sociale à la crise sanitaire ».
Pour rappel, les écoles ont été fermées le 18 mars pour 4 semaines, d’abord, suite à la pandémie de coronavirus. « Pourquoi s’empresser d’ouvrir les écoles quand l’équipe de riposte nous dit que le pic sera atteint à la mi-mai. Que fera-t-on des mesures sanitaires notamment la distanciation sociale dans les salles des cours ? », poursuit-il.
Des parents d’élèves sont sceptiques. « Le virus est un ennemi invisible que nous combattons. Si on était dans une guerre (armée), on n’envoie pas les enfants à l’école. Le ministre de l’EPST n’a pas à redouter une année blanche, parce qu’il s’agit d’un cas de force majeure. La santé des enfants avant tout », insiste un père de famille. « D’ailleurs, ajoute-t-il, on a déjà perdu beaucoup sur le plan économique, une année blanche ne fera du mal à personne ».
Tout est bousculé
Des parents préconisent un report du reste de l’année scolaire, pourvu que le calendrier scolaire et la rentrée des classes prochaine soient bouleversés. L’annonce de la tripartite suscite davantage de critiques parce que les responsables d’école, les enseignants et les parents d’élèves ne seront pas consultés. « Quels sont les impératifs qui semblent avant tout guider cette proposition ? En matière de scolarité, d’ouverture des écoles, il nous semble que l’impératif doit être avant tout celui de la santé des élèves et des personnels », tance un syndicaliste du secteur de l’enseignement. Au vu des interrogations nombreuses des Kinois, inquiets pour l’avenir de l’activité économique parce qu’ils ne savent pas quand le virus sera vaincu en RDC tant que le vaccin ne sera pas trouvé, ils suggèrent en effet de prévoir un dispositif d’allègements. Lesquels ? Surtout, ils suggèrent au gouvernement, devant ces incertitudes, de prendre des mesures qui protègent le pouvoir d’achat des ménages et de relance de l’activité économique.
Pour tenter d’endiguer la propagation de la pandémie de Covid-19, les déplacements de chacun sont réduits au strict minimum depuis plusieurs semaines et le seront encore probablement pour plusieurs mois. L’économie en est bien sûr bouleversée : toutes les entreprises ou presque se sont soudainement retrouvées privées de leur mobilité. Des alternatives digitales comme la visioconférence et le télétravail prennent le relais et se montrent globalement efficaces. Cette crise a donné un vrai coup d’accélérateur au télétravail et l’on voit mal comment la donne pourrait désormais changer : certaines habitudes prises vont perdurer.Mais le confinement de Gombe a aussi démontré l’importance de la communication physique, « en face à face » : pour des exigences familiales (décès, démarches administratives, réconfort des parents…), ou des rendez-vous professionnels à fort enjeu, le contact humain, et donc les déplacements, restent essentiels.
Comment concilier cette mobilité avec la nécessité de limiter les contacts pour endiguer de nouveaux risques d’épidémie ? Comment faire coïncider les déplacements avec les restrictions dans le secteur du transport en commun ? Tous nos déplacements sont-ils vraiment indispensables ? Les logiques de polarisation des activités économiques et de délocalisation des chaînes de production d’industries stratégiques sont-elles toujours acceptables ? De nombreuses questions sont au centre des débats et la crise sanitaire que nous traversons va nous obliger à les traiter. Le moment est sans doute venu de faire évoluer la façon dont nous envisageons nos déplacements et plus encore, notre modèle de fonctionnement économique.
Article paru dans l’édition n°266 de Business et Finances.