LE JEUDI 25 juin, se joue le premier acte d’une tragédie qui en compte cinq, et dont l’Initiative du bassin du Nil (IBN) n’est déjà plus le personnage principal. Après une semaine une intense pression diplomatique de la part de l’Égypte, le Conseil de sécurité des Nations unies annonce qu’il va se pencher sur les tensions autour du Grand barrage de la Renaissance (Gerd). Le Soudan et l’Égypte sont donc invités à présenter leurs arguments par vidéoconférence ce lundi 29 juin. L’Éthiopie pourra ensuite leur répondre, et le Conseil de sécurité adoptera une position commune.
Le vendredi 26 juin, l’après-midi, acte II. À l’initiative du Conseil de sécurité des Nations unies, le Conseil exécutif de l’Union africaine (UA) convoque en urgence un sommet virtuel extraordinaire que préside Cyril Ramaphosa, le chef de l’État sud-africain et président en exercice de l’UA, et auquel prennent part les présidents égyptien, rd-congolais, kenyan et malien, ainsi que les 1ER Ministres soudanais et éthiopien.
Le vendredi 26 juin, dans la soirée, acte III. Ouf de soulagement, quand la présidence égyptienne fait savoir que l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan sont tombés d’accord pour « reporter la mise en eau » du gigantesque barrage construit par l’Éthiopie sur le Nil, et objet d’un conflit entre les trois pays. Pour sa part, le Soudan reconnaît le bénéfice que pourrait lui apporter le barrage, mais dénonce le « risque pour des millions de Soudanais » si l’Éthiopie mettait son plan à exécution de remplissage du réservoir sans accord avec ses voisins.
Le samedi 27 mars, acte IV. Coup de théâtre ! L’Éthiopie indique qu’elle va commencer à remplir le réservoir du Gerd qui permettrait de collecter 18,4 milliards de m3 d’eau sur deux ans, « dans les deux prochaines semaines », tout en s’engageant à conclure un accord définitif avec l’Égypte et le Soudan sous l’égide de l’UA. Le communiqué publié le samedi matin par le cabinet d’Abiy Ahmed, le 1ER Ministre éthiopien, contredit en partie les déclarations du vendredi soir des dirigeants égyptien et soudanais, selon lesquelles l’Éthiopie avait accepté de surseoir à la mise en eau de son barrage jusqu’à la conclusion d’un accord.
Ce lundi 29 juin, acte V. Le Conseil de sécurité des Nations unies devra trancher. Tout porte à croire qu’il appellera à poursuivre les négociations en vue d’un accord. Le Grand barrage de la Renaissance, avec une capacité de production installée de plus de 6 000 MW est appelé à devenir le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique. En attendant de la réunion du Conseil de sécurité, la tension remonte dans la région depuis quelques semaines, faisant peser la crainte que la situation ne vire à la tragédie.
Éviter le coup de trop !
En tout cas, explique un diplomate africain en poste à Kinshasa ayant requis l’anonymat, personne ne devait sortir gagnante de cette crise dans la région. Schématisons : l’Éthiopie qui est au cœur du conflit du Nil, voit le barrage de 145 m de haut comme « essentiel » à son développement et à son électrification. En effet, le Nil qui coule sur quelque 6 000 km, est une source d’approvisionnement en eau et en électricité essentielle pour une dizaine de pays d’Afrique de l’Est.
Vu du Soudan, l’un des principaux bénéficiaires du barrage, mais aussi l’un des grands perdants si les risques ne sont pas limités, il y a « nécessité absolue » de trouver une solution. Du côté de l’Égypte, remplir le barrage est une « menace existentielle » pour sa population qui n’a pratiquement pas d’eau en dehors de celle que lui procure le Nil. L’Égypte tire 97 % de ses besoins en eau de ce fleuve. Bref, le Soudan et l’Égypte craignent que le remplissage du réservoir du Gerd ne restreigne leur accès à l’eau.
Ce diplomate africain, spécialiste des questions de paix, sécurité et stabilité, confie au téléphone à Business et Finances que « reporter la mise en eau du Grand barrage de la Renaissance n’est pas en soi une solution durable pour ne pas dire définitive ». De son point de vue, « certes, le conflit a désormais dépassé le seul cadre régional, mais un sommet de l’UA sur le conflit n’apportera pas une solution durable ». D’après lui, « la solution durable ne viendra que des pays du bassin du Nil, eux-mêmes » et « dans ce conflit, la République démocratique du Congo a un sacré rôle à jouer compte tenu de ses responsabilités dans la région ». Mais qui va vraiment prendre l’initiative de ce sommet ? « Je pense que l’initiative devrait venir des États du bassin du Nil, eux-mêmes, sous l’égide de l’UA. L’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie qui sont parties au conflit, ne devraient pas logiquement la revendiquer ». Quel pays ou quel chef d’État alors devra prendre la main ?
« Très logiquement, je vois la RDC jouer ce beau rôle pour deux raisons. La première, la RDC va prendre la présidence de l’UA l’année prochaine, et la seconde, dans ce bras de fer entre l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan, le poids historique et la potentiel en eau de la RDC ne devrait dérouter aucun des deux blocs solidaires opposés [les pays signataires, d’une part, et, d’autre part, les pays non encore signataires de l’Accord d’Entebbe] au sein de l’Initiative du bassin du Nil. Ce me semble être la clé de la solution durable. » Et d’ajouter : « En Afrique de l’Est, les chefs d’État aiment bien le président Félix Antoine Tshisekedi. Ils disent qu’il vient d’arriver, il n’est pas embrigadé par les idéologies ambiantes et il est capable de dépasser les bornes ».
Un accord est-il possible ?
Et comment la RDC devra-t-elle aborder ce sommet que tous appellent à leurs vœux ? « C’est déjà un bon voyant que l’Égypte accepte de reprendre les négociations avec le Soudan et l’Éthiopie sur l’utilisation des eaux du Nil afin de parvenir à un accord juste, équilibré et global. C’est seulement à cette condition-là que tout le monde gagnerait. Et d’ailleurs, en mars dernier, le ministre égyptien des Affaires étrangères est venu à Kinshasa solliciter l’implication du président Tshisekedi dans le différend avec l’Éthiopie, en sa qualité de 2è vice-président de l’UA qui s’apprête à en assumer la présidence tournante en 2021. » À dire vrai, estime ce diplomate africain, les négociations sont la seule solution à la crise : « C’est évident qu’un accord devra être trouvé avant que l’Éthiopie ne procède aux opérations de remplissage du réservoir du Grand barrage de la Renaissance. » L’Égypte croit fermement à « une solution politique » de la crise. Et le recours au Conseil de sécurité des Nations Unies découle de cette volonté d’un accord politique et diplomatique. C’est là même la position du Conseil de sécurité qui va encore se pencher sur cette question au cours de sa réunion de ce lundi 29 juin.