BIEN que les orientations assignées à la politique budgétaire ne soient pas toujours été assez claires et que l’espace budgétaire soit relativement limité, les finances publiques ont été globalement bien tenues par le gouvernement entre 2007 et 2015. Selon les données officielles, les déficits ont été maîtrisés et compensés par les marges de trésorerie accumulées entre 2009 et 2012, grâce à une meilleure mobilisation des recettes publiques dans le cadre notamment du pacte de doublement des recettes publiques et la discipline dans la gestion de la dépense publique.
Cependant, l’année 2016 a inauguré un cycle des déficits chroniques et a marqué un arrêt de la dominance de la politique budgétaire sur la politique monétaire. La conséquence est que les marges de trésorerie constituées dans les années précédentes ont été intégralement consommées. En 2019, par exemple, les opérations financières de l’État se sont soldées par un important déficit de 497 milliards de nos francs. Un niveau jamais atteint au cours de 13 dernières années.
Face à cette situation, l’ajustement budgétaire, essentiellement de la dépense publique, devenait un impératif. D’autant plus que le pays était entré en négociation avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un programme de référence, en vue de la conclusion éventuelle d’un programme formel au second semestre 2020. Sous l’effet de l’atonie de la croissance, le contexte budgétaire de 2016-2019 est demeuré difficile pour trois principales raisons.
Premièrement, en termes de pression fiscale, les marges de progression restent énormes. En 2019, la pression fiscale n’a été que de 9,0 %, largement inférieure à ses niveaux de 2015 (13,6 %) et 2014 (14,3 %), et nettement en dessous de la moyenne des pays subsahariens estimée à 16,9 %.
Deuxièmement, le taux de change s’est déprécié de 13,8 % l’an entre 2016 et 2019, ce qui atténue, en termes réels, la performance affichée dans la mobilisation des recettes, principalement en 2018. Troisièmement, les dépenses publiques ont augmenté dans des proportions vertigineuses, suite notamment à l’obligation du financement des opérations électorales. Le niveau de déficit de 2019 contraste par ailleurs avec l’évolution des prix intérieurs qui ont connu une désinflation.
Monétisation des déficits
Si la politique budgétaire ne change pas de fusil d’épaule, cette injection de la liquidité pourrait amplifier les risques sur le cadre macroéconomique en 2020. Le lancement des émissions des valeurs du Trésor à partir du mois d’octobre 2019 a certes permis une ponction de la liquidité, mais n’a pas pu atténuer l’ampleur du déficit. Rapproché à la dépréciation de la monnaie nationale, le franc congolais, les recettes publiques ont stagné en termes réels depuis 2016.
L’effort des services semble se tasser, si bien qu’il appelle d’imprimer un nouveau souffle ou rythme dans la mobilisation des recettes publiques, dans un contexte de positivité du crédit net à l’État traduisant la monétisation des déficits publics, laquelle conduit à l’expansion monétaire et à l’inflation. La politique budgétaire est ainsi dépourvue des marges de manœuvre pour agir efficacement sur le cadre macroéconomique et pour accélérer le financement des projets de développement. Concernant la dette extérieure, après l’effacement d’environ 70 à 80 % de son stock intervenu le 30 juin 2010 grâce à l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres et très endettés (IPPTE), elle est demeurée globalement stable à environ 4,6 milliards de dollars. En pourcentage du Produit intérieur brut (PIB), elle a été évaluée à 17,4 % entre 2012 à 2015. Ce ratio est en nette amélioration entre 2016 et 2018, soit 13,02 %. Rapportée à la norme maximale de 30 %, la marge d’endettement se chiffre à 16,9 points. Ce qui représente environ 9,2 milliards de dollars de possibilités d’endettement mais sous forme d’emprunts concessionnels, étant donné le statut de pays à revenu faible.
Après une dépréciation de 27,3 % en 2009, le franc congolais a enregistré sa plus longue période de stabilité, avec un taux de dépréciation moyenne de 0,6 % sur la période allant de 2010 à 2015. Le choc exogène enregistré en 2016 a marqué un remarquable tournant qui a vu la monnaie nationale perdre en cumul environ 55 % de sa valeur externe en cinq ans. Le taux de change nominal est ainsi passé, sur le marché parallèle, de 936,3 CDF le dollar américain à fin 2015 jusqu’à se négocier à 1 745 CDF=1 USD à fin 2019 et début 2020. Dans un contexte marqué par le retour de la dominance budgétaire, la politique de change a dû payer un lourd tribut pour garantir la relative stabilité observée sur le marché de change. En effet, les dépenses du Trésor public exécutées en devises, hors service de la dette extérieure, sont montées à une moyenne mensuelle de 29,4 millions de dollars en 2016, 39,9 millions en 2017, 115,4 millions en 2018, avant de retomber à 94,8 millions en 2019.
Avec l’incertitude qui pèse sur les perspectives de prix des produits de base, faire supporter un tel poids à la politique de change représente un risque macroéconomique important qu’il faille mitiger, selon des observateurs. Cela, dans un contexte d’étroitesse des réserves de change qui représentent à peine un mois en couverture d’importations, soit 1,03 milliard de dollars à fin 2019, contre une moyenne africaine de 4,9 mois.
L’analyse de la structure des exportations de la République démocratique du Congo renforce le constat de son extraversion et sa dépendance au regard de la conjoncture mondiale. En effet, les produits miniers et hydrocarbures ont représenté quasiment la totalité des exportations nationales en 2017 et 2018. Dans une telle situation, expliquent des analystes, un choc exogène exposerait non seulement la production intérieure dans le secteur minier, mais également l’entrée des devises, et partant la position extérieure, avec le risque de déséquilibre sur le marché de change. Quant à la structure des importations, il ressort les mêmes vulnérabilités, au regard notamment de l’importance des biens de consommation.
Dollarisation de l’économie
Dans le secteur de la monnaie et du crédit, subséquemment à la crise de 2009, l’évolution de l’offre de monnaie a été modérée entre 2010 et 2015. Elle s’est accélérée entre 2016 et 2019. Elle est passée d’une moyenne annuelle de 15,9 à 31,2 %. Aussi, la position des avoirs extérieurs nets de la Banque centrale du Congo (BCC) était positive entre 2010 et 2015. Elle est devenue négative à partir de 2016.
Cette évolution place, au sens strict, l’Institut d’émission dans l’obligation de ne plus vendre des devises aux banques. Le système bancaire, pris globalement, présente actuellement une position largement créditrice en devises. Plutôt, la Banque centrale devrait s’employer à acheter des devises auprès des banques pour conforter, dans la mesure du possible, sa position en devises. D’autre part, le taux de dollarisation de l’économie nationale a sensiblement augmenté avec la réapparition, notamment en 2016 et 2017, d’une inflation ouverte. La riposte a consisté, dans le chef de la BCC, en l’application des taux d’intérêts nominaux en déca des taux d’inflation annualisés. Ce qui a ravivé l’inflation et partant la fuite devant la monnaie nationale. D’où l’aggravation de la dollarisation de l’économie et de l’inefficacité de la politique monétaire : contre une moyenne historique de 67 % depuis 2002, ce taux est passé à 75 % en 2017 et 73 % en 2019. En outre, le ratio crédit à l’économie/PIB demeure l’un des plus insignifiants en Afrique subsaharienne, même s’il a atteint 6,3 % en 2016, contre 5,1 % de 2012 à 2015. La moyenne africaine est à 28,5 %. Dans ce cadre, le renforcement de la surveillance micro et macro-prudentielle doit se poursuivre. Le processus de liquidation des institutions financières malades serait important pour l’assainissement du système financier.