EN TOUT CAS, Veolia, leader mondial des services à l’environnement, a remis le dimanche 30 août à Engie une offre ferme à 2,9 milliards d’euros en vue de lui racheter 29,9 %, soit la quasi-totalité de sa participation actuelle (32 %) dans son concurrent Suez. Véolia a vu le jour au 19è siècle sous le nom de Générale des Eaux tout comme la Lyonnaise des Eaux, devenue par la suite, Suez. Ces deux entreprises se sont développées parallèlement en France grâce au régime de la concession. Elles gèrent, via des contrats longue durée, la distribution de l’eau potable (puis le traitement des eaux usées) pour le compte des collectivités locales (ville ou agglomération). Résultat, Veolia et Suez quadrillent le marché français de la distribution d’eau aux Français.
Être leader mondial
Leur part de marché cumulée avoisine les 60 %, le reste se répartissant entre un troisième acteur, la Saur, et des régies municipales (lorsque qu’une collectivité gère directement cette activité). Au fil, du temps, Suez et Veolia ont parallèlement développé des services complémentaires aux collectivités comme la gestion et le recyclage des déchets. Suez emploie 30 000 personnes en France et 90 000 au total dans le monde. Veolia emploie près de 180 000 dans le monde.
Sur fond de préoccupations environnementales croissantes, Veolia voit la demande croître dans les services destinés aux collectivités, qu’il s’agisse d’eau potable, de traitement et de recyclage des déchets ou de gestion des flux d’énergie. Son ambition affichée est de constituer ainsi un champion mondial du traitement de l’eau et des déchets, soit au total, un secteur à 1 400 milliards d’euros annuels. Pour Veolia, « la taille fait la force », pour développer « les innovations » dans les services à l’environnement tels que la capture du carbone pour en réensemencer les sols ou le recyclage de déchets comme le polystyrène.
Veolia, avec ce mariage, réaliserait un vieux rêve en créant un géant pesant quelque 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Réunis, Veolia et Suez, numéros un et deux mondiaux de leur secteur, représenteraient pour autant moins de 5 % des parts de marché, morcelé en une myriade d’acteurs à l’international, ce qui relativise la notion de « champion mondial » tant vantée par Veolia.
Suez a « pris acte » dès l’annonce de Veolia le 30 août dernier, d’une démarche « non sollicitée ». Le groupe a fait valoir que « la complexité du processus retenu conduirait à deux années de perturbations opérationnelles, au moment où, dans le contexte post-Covid, les équipes sont focalisées sur la mise en œuvre de leur plan stratégique ». Sur un ton assez abrupt et direct, Bertrand Camus, le directeur général de Suez, a écrit dans un message adressé aux 90 000 salariés du groupe :
« Cette démarche n’est ni amicale, ni pertinente. Elle nie la spécificité de nos valeurs, de notre culture et de notre projet stratégique ».
La direction de Suez joue aussi la carte très sensible d’éventuelles menaces sur l’emploi en France qu’engendrerait un tel mariage. « L’offre de Veolia génère des préoccupations sur l’avenir des activités de traitement et de distribution de l’eau en France et sur l’emploi au regard du montant des synergies espérées », a-t-elle déclaré publiquement. Enfin, la direction de Suez n’a aucun intérêt à donner l’impression qu’elle va accepter d’emblée l’offre de son grand rival aussi facilement et a tout intérêt à faire monter les enchères.
La perspective d’une fusion entre des deux frères ennemis depuis des décennies sur un marché national, bute sur le risque d’hégémonie en France et sur la question de l’emploi liée aux risques de doublons de postes. Marier Veolia avec Suez c’est comme s’il s’agissait de marier, dans l’industrie automobile, Peugeot avec Renault ou, dans les télécoms, Orange avec SFR. Il n’est pas aisé de faire travailler ensemble des équipes ayant été en concurrence pendant aussi longtemps que celles de Veolia et Suez.
Dans tous les cas, l’opération de rapprochement sera passée au crible par l’Autorité de la concurrence. Pour anticiper cette question qui pèse surtout en France où les deux entreprises totalisent 60 % de la distribution de l’eau, Veolia a pris les devants. Le groupe a trouvé un repreneur pour les activités eau de Suez : la société Meridiam, un investisseur de long terme dans des projets durables (transports, énergie, télécommunications…). Pour l’activité de gestion des déchets, le groupe attend de discuter avec l’Autorité de la concurrence. Certains actifs dans ce domaine pourraient être cédés, pour maintenir un marché concurrentiel, à des acteurs français (Derichebourg, Séché Environnement).
En théorie, le mariage entre Veolia et Suez concerne deux compagnies entièrement privées, au capital majoritairement détenu par des actionnaires privés, non directement liés à l’État. Mais, le troisième acteur de ce projet, Engie, qui possède 32 % de Suez, a, à son capital, l’État comme actionnaire de référence. Ce qui explique que, tour à tour, deux membres éminents du gouvernement aient exprimé publiquement une opinion à ce sujet. Le rapprochement des deux géants français de l’eau et des déchets Veolia et Suez « fait sens » d’un point de vue industriel, a jugé Jean Castex, le 1ER Ministre français, tout en rappelant que l’État serait vigilant sur le maintien de l’emploi en France. Bruno Le Maire, de son côté, le ministre de l’Économie, a déclaré, « l’État sera vigilant aux engagements que prendra Veolia en termes de maintien de l’emploi en France, et de conservation des actifs stratégiques pour la France ».
« Le compte n’y est pas »
« Le compte n’y est pas » sur le prix proposé pour Suez, a jugé le vendredi 4 septembre Jean-Pierre Clamadieu, le président d’Engie, après avoir reçu une offre de Veolia à 2,9 milliards d’euros en vue de lui racheter la quasi-totalité de sa participation dans son concurrent de l’eau et des déchets. « Le projet par certains aspects est attrayant » mais Clamadieu, a aussi appelé à « une offre inclusive dans laquelle les équipes de Suez se sentent parties prenantes ». Sur le prix, « le compte n’y est pas parce qu’il faut que nous fassions une valorisation de Suez. Notre vision est que la valeur de Suez est plus importante que la base de cette discussion », a-t-il estimé, jugeant aussi que les bénéfices des synergies attendues de cette éventuelle union profiteraient surtout à Veolia.
Sur le fond du projet, le président d’Engie a aussi estimé qu’il devait être revu, soit par Veolia, soit via un projet alternatif apporté par la direction de Suez. « Il faut qu’une offre, quelle qu’elle soit, soit une offre inclusive dans laquelle les équipes de Suez se sentent parties prenantes, parce que sinon ça ne marche pas (…) il y a un énorme chemin à parcourir sur ce sujet et il faut le faire rapidement », a-t-il dit, alors que la proposition de Veolia court jusqu’à fin septembre.
« Peut-on concrétiser une offre alternative ? Et si on travaille sur l’offre de Veolia, comment peut-on l’améliorer ? », a-t-il détaillé. Pour lui, « le projet, par certains aspects, est attrayant – créer un grand champion mondial. (Mais) sur le marché français de l’eau, non : il provoque un changement radical. On n’aurait plus qu’un seul acteur stratégique ».