S’APPUYANT sur les données récentes publiées par la Banque centrale du Congo (BCC) selon lesquelles l’économie nationale connaîtra un taux de croissance négatif (-1,7 %), sinon plus, soit un recul de 6,1 % par rapport à son niveau de 2019, ainsi que sur les enquêtes réalisées par la Fédération des entreprises du Congo (FEC) auprès de ses membres en vue d’évaluer l’impact de la pandémie de Covid-19 sur leurs activités, Albert Yuma Mulimbi, le président de la FEC, n’a pas eu sa langue dans la poche.
À l’analyse, les chiffres publiés par la Banque centrale montrent que depuis le mois de janvier, les opérations financières sont déficitaires, et ce, malgré les appuis budgétaire du Fonds monétaire international (FMI). Face à un amenuisement criant des recettes publiques alors qu’il faut faire face aux dépenses publiques, le solde du compte général du Trésor affiche un déficit budgétaire cumulé provisoire de l’ordre de CDF 891,23 milliards au 20 septembre 2020.
Par ailleurs, le niveau de recettes mobilisées à fin décembre se situerait à moins de 4 milliards de dollars, contre 11 milliards prévus dans la loi de finances de l’exercice 2020. Sur le marché des biens et services, le rythme de l’inflation est élevé avec une accélération du niveau général de prix depuis l’apparition de la pandémie de coronavirus en République démocratique du Congo et de ses effets pervers sur l’activité économique. À ce rythme, le taux d’inflation se situerait à 21 % d’ici la fin de l’année, contre 4,6 % l’année passée. Ce qui ne peut, in fine, qu’avoir, comme conséquence, l’amenuisement du pouvoir d’achat de la population dont plus de la moitié vit déjà en deçà du seuil de la pauvreté, a laissé entendre Albert Yuma.
Sur le marché des changes, la monnaie nationale a perdu 16 % de sa valeur face au dollar américain entre mars et août. Actuellemennt, a-t-il rappelé, la parité est de USD/CDF 1=1 962 sur le marché interbancaire pendant qu’elle est de USD/CDF 1= 2 010 sur le marché parallèle. En ce qui concerne les réserves de change, leur niveau actuel est en baisse dans un contexte d’instabilité macroéconomique, soit 730,78 millions de dollars correspondant à 2,9 semaines d’importations des biens et services sur ressources propres au 20 septembre. Plus de 80 % des entreprises dans le pays ont connu une baisse de 75 % de leurs revenus. Par ailleurs, toutes les entreprises directement concernées par les mesures gouvernementales de lutte contre la propagation du Covid-19 ont été en cessation de paiement pendant toute la durée de ces mesures enregistrant ainsi une perte sèche d’au moins 75 % de leurs revenus annuels. Seul 1 % des entreprises reconnaît avoir bénéficié d’un soutien du gouvernement pendant la période d’état d’urgence sanitaire pour faire face aux effets néfastes de la pandémie.
Train de vie clinquant
La FEC, par la voix de son président, est vent debout, fustigeant le manque de volonté de l’État de « réduire son train de vie dans la création de services moins importants ». D’après Albert Yuma, ce comportement est à la base d’un déséquilibre récurrent des opérations financières de l’État. « Entretemps, l’État ne semble pas vouloir réduire son train de vie en continuant à accroitre ses dépenses par la création de services dont il conviendrait sincèrement de se poser la question de leur opportunité et leur nécessité en ce temps particulier. » Pas besoin d’un dessin pour comprendre que l’accroissement des dépenses publiques a pour effet de « contribuer à renforcer le déséquilibre récurrent des opérations financières de l’État, de surcroît dans le contexte actuel. »
Vent debout, la FEC l’est aussi à propos de l’importation de 100 000 tonnes de ciment gris de la République du Congo. La FEC y est farouchement opposée. « Une telle mesure ne peut aboutir qu’à tuer les industries locales et les emplois », a déclaré Albert Yuma. Jean Lucien Bussa Tongba, le ministre du Commerce extérieur, qui a sollicité une dérogation du Conseil des ministres, a évoqué la nécessité d’approvisionner, en particulier, l’Équateur, le Kasaï et la province Orientale. « Une telle mesure ne peut qu’entretenir et rémunérer les facteurs de production dans les pays fournisseurs.
« Cette mesure fait partie des incohérences préjudiciables dans certaines décisions de l’État, qui à notre sens, vont à rebours de ce qu’il conviendrait de faire pour développer cette classe d’entrepreneurs nationaux que nous appelons tous unanimement de nos vœux. » En effet, a fait remarquer le président de la FEC, c’est « une mesure injuste » pour l’économie nationale : « Les cimentiers du Congo-Brazzaville bénéficient, eux, des avantages fiscaux énormes et sont en surcapacité de production. » Au lieu de leur faire bénéficier des dérogations, l’État ferait œuvre utile de les inviter carrément à investir en RDC.
La FEC persiste et signe : les industries locales du ciment disposent des capacités installées de production annuelle de 3,2 millions de tonnes en 2020. Et la demande solvable réalisée a atteint 800 000 tonnes. Selon la FEC, cette mesure cause un préjudice énorme aux cimenteries locales privées d’exonérations pourtant leur accordées par le gouvernement dans le cadre du partenariat public-privé stratégique.
Pour faire court, cette dérogation demandée par le ministre du Commerce extérieur déstabilise la cimenterie locale dont la capacité installée de production annuelle se chiffre à 3,2 millions de tonnes. Vive donc la pauvreté et le chômage, laisse entendre Albert Yuma. Rien à faire, la FEC appelle le gouvernement à « promouvoir un protectionnisme intelligent pour favoriser l’essor de l’industrie locale ». Avec un marché intérieur de 100 millions de consommateurs, la RDC doit cesser de tout importer et de n’exporter que les minerais.
Le Donquichotte
Autre préoccupation : la FEC fait un constat d’une application en demi-teinte du code minier révisé en 2018. Les superprofits ou les régimes préférentiels liés aux conventions dérogatoires sont toujours d’application malgré la loi. « Des efforts énormes ont été engagés pour aboutir à la révision du code minier en RDC, quoi de plus normal que le pays s’active pour en tirer profit. Une bataille féroce a déjà eu lieu pour faire adopter ce code, mais ce n’était que la première mi-temps. La seconde sera de lui faire produire tous ses effets et c’est alors que nous saurons si nous avons gagné le match du rééquilibrage du partage de la richesse entre les investisseurs internationaux présents dans notre pays et la République démocratique du Congo », a insisté le président de la FEC.
Qui estime que le revenu actuel du secteur minier est faible. « Je sais combien cette question est sensible, mais combien de temps faudra-t-il pour que tous comprennent qu’il n’y a aucune raison que nous nous satisfassions des revenus actuels de nos mines quand notre industrie nationale du cuivre et du cobalt contribuait fiscalement à hauteur de 39 % de la valeur totale des exportations dans les années 1980 pour moins de 10 % aujourd’hui ? », interroge Albert Yuma.
Et d’ajouter : « Ce combat est donc un combat légitime que notre État doit mener pour créer les marges de manœuvre dont il a besoin pour financer ses politiques publiques ».
Le code minier révisé est censé doper la contribution du secteur minier au budget de l’État. Il prévoit une hausse des redevances classiques de 2 à 3,5 % et allant jusqu’à 10 % sur les minerais considérés comme stratégiques (cobalt, cuivre et coltan). Optimisme tout de même : « Une fois le succès sera obtenu dans le secteur des mines, la RDC pourra s’attaquer à tirer profit de ses trois autres grands atouts à savoir le majestueux fleuve Congo, les dizaines de millions d’hectares de terres arables et la puissance écologique de sa forêt équatoriale. »