CETTE FOIS-CI, les lignes vont devoir bouger. Après avoir été mis au courant des dénonciations rapportées dans l’enquête de The New Humanitarian (TNH) et Thomson Reuters Foundation, publiée le mardi 29 septembre, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a appelé à « une enquête approfondie ». Dans cette enquête de TNH et Tomson Reuters Foundation, 51 femmes ont pris leur courage pour porter à la place publique via cette enquête les « abus » (le mot n’est pas fort) sexuels des travailleurs humanitaires dans la crise sanitaire de la fièvre à virus Ebola qui a sévi à Beni dans le Nord-Kivu entre 2018 et 2020.
Selon un spécialiste des agences du système des Nations Unies que nous avons contacté, « une enquête approfondie » ne veut rien dire. Pour lui, il y a derrière toutes les réactions venues du système des Nations Unies de l’hypocrisie. « L’affaire sera tout simplement étouffée. Et ce n’est pas nouveau ! », nous confie-t-il au téléphone.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé le mardi 29 septembre ouvrir une enquête interne sur des accusations d’agressions sexuelles visant ses employés en RDC. Et l’Organisation internationale des migrations (OIM) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) ont décidé le mercredi 30 septembre de lui emboîter le pas. L’UNICEF s’est dit particulièrement « choqué » que des gens qui se présentent comme ses employés « aient abusé des femmes vulnérables ».
Sexe contre emploi
Ce sont là trois puissantes agences de l’ONU qui se retrouvent mis en cause par TNH, la très sérieuse agence de presse spécialisée dans l’action humanitaire, et son allié, la Thomson Reuters Foundation. Et depuis, c’est le clash des déclarations-justifications. Cette enquête est le fruit de plusieurs mois d’investigation qui ont permis de receuillir les témoignages de 51 femmes accusant des employés de l’OMS et des ONG impliquées dans la lutte contre la pandémie d’Ebola « d’exploitation sexuelle ». On leur proposait notamment des rapports sexuels en échange de la promesse d’un emploi ou de renouvellement de leur contrat de travail à durée déterminée. Ces faits se sont produits entre 2018 et 2020, selon TNH et Tomson Reuters Foundation. Qui concluent sur la base des recoupements des récits à une « pratique très répandue ». En effet, la plupart des récits sur les abus sexuels, commis par des hommes prétendument travailleurs humanitaires internationaux, ont été corroborés par des chauffeurs employés des agences humanitaires et par des travailleurs des ONG locales.
« Le moins que l’on puisse dire est que les agences du système des Nations Unies ne sont pas au-dessus de tout soupçon », souligne notre spécialiste du système des Nations Unies. Dans le cadre de son enquête, TNH fait remarquer que « les tentatives de dénonciation de certaines pratiques ont été au mieux étouffées et, au pire, ont entraîné la mort, comme dans le cas du Dr Richard Valery Mouzoko Kiboung ». TNH souligne que tous ceux qui militaient pour la réduction sensible des dépenses dans la riposte à Ebola, seraient la cible des tueurs du médecin camerounais.
Business humanitaire
« Depuis une vingtaine d’années déjà, la République démocratique du Congo a totalement basculé dans les mains des agences onusiennes et des ONG internationales. Pour ces investisseurs humanitaires, un seul impératif : le profit, et vite ! Faut-il en avoir peur ? », charge notre interlocuteur.
Les ONG ! Quelles ONG ? Ne parlez pas surtout d’elles dans le Nord-Kivu. Par exemple, dans la ville de Goma et sa périphérie, il y a pas moins de 2 500 ONG établies, internationales ou locales. Malgré leur débarquement massif dans le microcosme congolais, les agences du système des Nations Unies et les autres ONG internationales n’ont pas réussi à transformer les vies des personnes pour lesquelles elles sont venues au Congo.
Sur les millions de dollars qu’elles brassent au nom de l’aide humanitaire et leurs pratiques, c’est le silence absolu. Sans doute parce que les travailleurs humanitaires sont un peu perdus, voire gênés quand il s’agit d’aborder le sujet. Parler du travail des agences onusiennes ou des ONG internationales, oui, mais desquelles ? De ces puissantes organisations dont les travailleurs mènent une vie de pacha aux côtés des populations misérables qu’ils sont censés assister et améliorer leurs conditions de vie ? De ces puissantes organisations qui louent des villas luxueuses, roulent en 4X4 alors que les personnes bénéficiaires de l’aide humanitaire marchent à pied ? Ou alors de celles qui passent leur temps à s’en prendre aux pouvoirs publics pour leurs choix des politiques nationales ?
Si ces derniers feignent de ne rien voir dans tout ce qui se fait au sein et par les agences onusiennes et les autres ONG internationales, les citoyens, eux, remarquent que ces mastodontes ne sont pas là que pour « aider ». Les enquêtes de TNH sont révélatrices de la « vraie face de l’aide humanitaire en RDC ». Combien de temps va-t-il falloir encore attendre pour que nos politiques poussent des cris et dénoncent ces puissantes agences et ONG qui osent dépouiller la RDC sans se rendre compte que cette dernière est déjà largement déplumée.
Certains esprits chagrins, même au sein de ces organisations, regrettent que les humanitaires venus d’ailleurs tirent des profits mirobolants de l’aide humanitaire en complicité avec certains dirigeants du pays et ONG locales. Ce n’est pas un hasard si les agences onusiennes et les ONG internationales pullulent en RDC et se tiennent les unes les autres par un système de pratiques croisées.
Certes, ces agences et ONG éclaboussées par l’enquête de TNH disent qu’elles vont ouvrir des enquêtes internes. Mais c’est une démrache qui rique de n’émouvoir personne car elles sont tout-puissantes. Pour le cas d’école qui nous concerne maintenant, le sexe en échange d’une promesse d’emploi est un secret de polichinelle dans le cadre de la riposte à l’épidémie d’Ebola en RDC, particulièrement à Beni dans l’Est. Des hauts responsables de l’ONU et des travailleurs humanitaires ont confié à The New Humanitarian et à la Fondation Thomson Reuters que les stratégies pour mettre fin aux abus sexuels ont largement échoué. Au contraire, entre 2018 et 2020, ils ont pris des proportions inquiétantes comme le révèle l’enquête publiée le mardi 29 septembre dernier.