LE DOLLAR traverse une phase de baisse. Depuis que les marchés financiers ont touché leur plus bas en mars dernier, il a perdu 14 % face à l’euro. Et entre août et début novembre, la paire euro/dollar a fluctué dans une fourchette située en 1,1600 et 1,2000. Or, comme le craignait Philip Lane, économiste en chef de la Banque centrale européenne (BCE), un euro trop fort représente un risque pour la politique monétaire, certains de ses objectifs devenant plus difficiles à atteindre. Ainsi, compte tenu du caractère ouvert de l’économie européenne, un euro qui se maintient à un niveau élevé durant une période prolongée exerce une pression déflationniste, ce qui va à l’encontre de la mission principale de la BCE qui est de maintenir la stabilité des prix. Par ailleurs, l’un des effets de la persistance de la crise du coronavirus est la baisse de la demande. Or cette dernière agit dans le même sens que la force de l’euro et pèse sur les prix, les maintenant en territoire déflationniste. De son côté, la limitation de l’offre n’est pas en mesure de contrebalancer ce phénomène et d’exercer une pression inflationniste à l’heure actuelle. Cet effet ne pourra se manifester qu’après la fin de la pandémie.
La vigueur de l’euro s’est encore renforcée à la suite des élections présidentielles américaines, le marché tablant sur le fait qu’une administration Biden-Harris ira tester les limites des politiques de relance. Le déficit découlant des mesures de soutien liées à la pandémie qui représente actuellement environ 15 % du PIB, deviendra la « norme » et portera sur 5 à 10 % de la production du pays. Partant d’un tel scénario, les acteurs du marché ont poussé la paire euro/dollar vers 1,22. C’est du pain béni pour le tandem Yellen-Powell, car l’affaiblissement du dollar sert bien leurs objectifs. La devise commune ne doit pas devenir une valeur refuge et le tandem von der Leyen-Lagarde serait bien inspiré de passer à la vitesse supérieure.
Taux de change : casse-tête
Côté européen, le consensus plaide pour un maintien des taux directeurs à leur niveau actuel. À -0,50 %, ils paraissent en effet raisonnables. Cette appréciation semble contestable, du moins au vu du niveau excessivement élevé du taux de change nominal effectif. Ce taux reflète la moyenne pondérée des taux de change de l’euro par rapport à des principaux partenaires commerciaux de la zone euro. Or vendredi dernier, il s’établissait à 122,92, soit à peine 1% au-dessous de son plus haut de décembre 2008. Or que l’on observe ce plus haut depuis la création de l’euro le 1er janvier 1999 ou depuis 1993, année à laquelle remontent les données Bloomberg concernant l’indice de l’euro pondéré en fonction des échanges commerciaux (Euro Trade Weighted Index ou TWI), un tel niveau est proche des plus hauts jamais atteints.
Or, selon Christine Lagarde, la présidente de la BCE, le taux de change de l’euro est considéré comme l’un des indicateurs de l’efficacité de la politique de la centrale. Il est donc peut-être temps de revenir aux instruments traditionnels de la politique monétaire et de réduire l’importance des outils secondaires ou non conventionnels. Les deux sont certes essentiels pour permettre à la politique monétaire d’atteindre ses objectifs, mais la compétitivité de la zone euro en pâtit. Et le taux de dépôt fixé à -0,50 % n’a pas atteint le niveau qui déclencherait une inversion des taux et, par conséquent, un resserrement des conditions de crédit qui entraînerait à son tour une réduction du potentiel de croissance. Alors, pourquoi, à l’instar d’autres Banques centrales, ne pas abaisser le taux de dépôt aux alentours de -0,75 % ? Ceci donnerait un signal fort et très net. Ainsi le TWI s’ajusterait et l’équilibre entre instruments conventionnels et non conventionnels se rétablirait.
Cependant, si l’on part du taux de change réel de la zone euro, l’urgence paraît moins grande. En effet, ce taux, mesuré par la Banque des règlements internationaux (BRI), évolue autour de sa moyenne des vingt dernières années. Or, si la BCE ne parvient pas à relever l’indice des prix européens vers son objectif de 2 %, cette situation ne présage rien de bon. Cela signifie en effet, que si les États-Unis et d’autres pays réussissent à accroître leur inflation, une telle évolution se fera aux dépens de l’euro qui continuera de s’apprécier. Un scénario qui rappelle celui qu’a connu le Japon! À ce stade de l’histoire de l’Union monétaire européenne, la devise commune ne doit pas devenir une valeur refuge et le tandem von der Leyen-Lagarde serait bien inspiré de passer à la vitesse supérieure. Alors que les prévisionnistes s’alarment de l’évolution de la paire euro/dollar, l’essentiel est de facto déjà inscrit dans les cours. Quelles sont les anticipations actuelles des marchés en ce qui concerne l’évolution de la paire euro/dollar ? Sa valeur au comptant s’est établie à 1,2124 lors de la clôture de vendredi dernier.
Parité des taux d’intérêt
Aujourd’hui, elle se situe à 1,2340 à deux ans, à 1,2815 à 5 ans et à 1,35 à 8 ans. Ceci reflète bien la mise en œuvre de la théorie de la parité des taux d’intérêt : pour effectuer leur choix entre les investissements en dollars et ceux en euros, les investisseurs se basent sur la trajectoire de la devise dessinée par le marché. Et alors que les prévisionnistes s’alarment de l’évolution de la paire euro/dollar, l’essentiel est de facto déjà inscrit dans les cours. Il n’y a donc aucune raison de paniquer.
Le spectre de la guerre des devises a fait son retour, appelé par un environnement dans lequel les Banques centrales du monde entier ont ramené leurs taux directeurs vers zéro ou en-dessous. Cependant, pour atténuer l’impact de la volatilité des devises sur son portefeuille obligataire, pour protéger ce dernier et en accroître la valeur, l’investisseur ne dispose que d’une seule option, celle de la diversification. Ce qui est vrai pour les taux et le crédit, l’est également pour les devises. Quant au Conseil de la BCE, confronté à une équation complexe, il accroîtrait sa crédibilité en décidant d’activer les leviers conventionnels et non conventionnels qui lui permettraient d’accroître ses chances de réussite.