EN PLEINE CRISE de Covid-19 mais aussi de surenchère politique dans le pays, l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP) pense que l’attention ne devrait pas être détournée du vrai débat citoyen : les finances publiques et ses corollaires comme la priorité des priorités. À l’occasion du lancement, le 4 janvier 2021, du dernier rapport de contrôle citoyen de l’ODEP sur « l’exécution du budget global et des dépenses publiques pro-pauvres pour la période de 2017 à 2019 », Florimond Muteba Tshitenge, le président de son conseil d’administration, n’a pas usé de langue de bois et n’y est pas allé par le dos de la cuiller pour décrire la situation.
D’ailleurs, il ne pouvait en être autrement. À en juger par le titre même du résumé de ce rapport, c’est un boulet de canon : « En République démocratique du Congo, les régimes se succèdent, mais la mauvaise gouvernance des finances publiques demeure et empire, au mépris de l’éradication de la pauvreté et de la lutte pour le développement et la transformation sociale. » C’est donc une analyse sans complaisance et surtout sans état d’âme que l’ODEP met à la disposition du grand public.
60 ans de gâchis
« Six décennies se sont écoulées depuis l’accession de notre pays à l’indépendance nationale. Ces 60 années ont été des années gâchées et perdues. Cet échec est d’abord celui d’un modèle de développement extraverti qui a surtout profité à une infime minorité de notre population : sa classe dirigeante », a écrit en introduction Florimond Muteba Tshitenge. Rappelant que l’ODEP a toujours plaidé pour une voie de développement endogène pour la RDC. « Cette voie ne vise pas seulement une croissance économique plus forte, mais exige aussi un développement qui répond à des valeurs communes, à une inspiration cohérente, à des espoirs et des besoins partagés, où se reconnaîtrait l’ensemble de notre collectivité nationale, et qui puisse mobiliser ses volontés, ses énergies, ses imaginations rassemblées. C’est au regard de cette exigence que nous pourrions envisager le processus de modernisation et la maîtrise du savoir et du savoir-faire modernes », a-t-il poursuivi.
D’après lui, cette vision pour être concrétisée, implique que soit mise en avant « une ferme volonté de promotion d’une gestion rigoureuse des finances publiques, d’une lutte réelle acharnée contre la corruption et l’impunité, des antivaleurs qui ne font que s’aggraver avec des pratiques de la corruption à grande échelle et à ciel ouvert au mépris de la lutte contre la pauvreté, le développement et le progrès social pour tous ».
Et pour l’ODEP, la participation aux décisions relatives aux budgets publics est un droit fondamental et relève de la responsabilité de tous les Congolais étant donné que les budgets proviennent des contributions des citoyens et des revenus générés par les actifs publics. De ce fait, l’ODEP est mû par quelques principes de base. Premièrement, les budgets publics doivent être transparents : « toutes les informations relatives à la manière dont les fonds publics sont levés, alloués, dépensés et justifiés doivent être mises à la disposition du public d’une manière accessible, opportune, compréhensible et en temps réel ».
Deuxièmement, les processus budgétaires doivent être inclusifs : « de manière à garantir que tous les citoyens connaissent leur droit à participer et à influencer l’ensemble des décisions relatives à la collecte, l’affectation et la gestion des fonds publics ».
Troisièmement, les budgets doivent être collectés et dépensés de manière efficace, efficiente et équitable et doivent assurer que les ressources publiques aient le plus grand impact possible pour éliminer la pauvreté et parvenir à l’équité. Quatrièmement, les données budgétaires doivent être exactes et s’appuyer sur des estimations connues du public. Elles doivent également garantir que les gouvernements dépensent les deniers publics sur les priorités pour lesquelles ils ont été approuvés, réduisant ainsi la marge de fuite, de corruption et d’inefficacité.
Cinquièmement, les budgets doivent être complets et englober toutes les recettes et les dépenses, indépendamment de leur origine, y compris l’aide internationale, les fonds paraétatiques et la gestion de la dette intérieure et extérieure. Sixièmement, les budgets doivent être durables et assurer que les finances publiques servent des objectifs communs sur le long terme, tant pour les générations actuelles que pour les générations futures. Septièmement, les budgets doivent faire l’objet des rapports réguliers et systématiques à tous les niveaux du gouvernement. Et huitièmement, les budgets doivent en permanence faire l’objet d’une surveillance, d’un contrôle et d’une responsabilité par les législatures, les institutions d’audit internes et externes, les médias et les citoyens.
L’analyse proprement dite
Le scan réalisé par l’ODEP avec une plus grande résolution sur l’exécution des budgets de 2017 à 2019 met en avant « des petits progrès » du gouvernement mais aussi les pratiques et les dysfonctionnements, à corriger ou à prohiber carrément. « Nous n’avons pas voulu séparer la période de 2017 à 2018 de celle de 2019 dans la mesure où nous considérons qu’il y a continuité dans la gouvernance financière et économique », fait remarquer Florimond Muteba Tshitenge. Et qui souligne qu’il n’y a pas eu d’amélioration en 2019. « Au contraire, la gouvernance est allée de mal en pis ».
En clair, l’ODEP revendique un vrai débat sur les finances publiques : « Comment riposter à la pandémie de Covid-19 sans une gouvernance budgétaire transparente, sans redevabilité et sans participation citoyenne conséquente ! Toute l’agitation politicienne actuelle est nulle si on n’arrive pas à mobiliser 2 milliards de dollars de recettes publiques en 2021. Avec la tendance des détenteurs du pouvoir à marginaliser les réformes urgentes des finances publiques, une telle contreperformance est une hypothèse non négligeable. »
En conclusion, l’ODEP recommande un changement de vision globale en matière de politique économique, c’est-à-dire tourner le dos aux politiques publiques fondées sur l’extraversion économique et opter pour une voie de développement endogène. Il recommande aussi l’amélioration de la gouvernance budgétaire et propose quelques éléments de base des politiques macroéconomiques pro-pauvres.
Ces recommandations sont principalement adressées au Parlement, au gouvernement (en particulier aux ministres des Finances, du Budget et du Plan), aux régies financières, aux organes de contrôle des finances publiques, aux partenaires techniques et financiers de la République démocratique du Congo, à la société civile.