SE BATTRE jusqu’au bout pour défendre la cause juste, même s’il y avait l’occasion d’éviter l’issue finale, est une qualité qu’on ne retrouve que chez les gens d’un esprit supérieur. Ce qui implique les notions d’héroïsme, de bravoure et de droiture, disent les philosophes. Alors que d’aucuns semblent l’inviter à éviter « l’humiliation » que lui réservent ceux qui ont adhéré à l’Union Sacrée de la Nation (USN) pour le destituer en direct, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre et chef du gouvernement, nommé en mai 2019, reste imperturbable.
Alors que tout le monde le croit en difficulté depuis l’annonce de la rupture de la coalition FCC-CACH (Front commun pour le Congo/Cap pour le changement), le 6 décembre 2020, Sylvestre Ilunga Ilunkamba accomplit sereinement ses obligations gouvernementales : il préside les réunions, il accorde des audiences, il signe les documents… Un mois après la chute de Jeanine Mabunda Lieko Mudiayi, la présidente de l’Assemblée nationale, les députés ralliés à la nouvelle coalition formée autour de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, souhaitent désormais mettre en place un nouveau bureau de la Chambre basse, et investir un nouveau gouvernement, en remplacement du cabinet Ilunga nommé en septembre 2019.
Responsabilité politique
Le 7 décembre dernier, au lendemain de l’annonce de la rupture de la coalition FCC-CACH, le chef de l’État avait lui-même tenté d’obtenir la démission du chef du gouvernement. Logique ! Mais pourquoi, depuis, Sylvestre Ilunga Ilunkamba est toujours à son poste. Qu’est-ce que ce professeur d’économie, âgé de 74 ans, veut réellement apprendre à la classe politique par son attitude digne d’un moine bouddhiste ? Mystère ?
Business et Finances a demandé au politologue Jean Marie Kidinda de tenter de décrypter l’attitude de Sylvestre Ilunga Ilunkamba. « On ne peut pas soutenir que la crise actuelle, c’est la responsabilité politique du 1ER Ministre. La démission du 1ER Ministre et celle de son gouvernement sont toujours et nécessairement liées à sa responsabilité politique. Vu sous cet angle, la démission de son gouvernement serait une hérésie. Tout comme l’est aussi la désignation d’un informateur alors que le 1ER Ministre et chef du gouvernement est à son poste. »
Rien à faire, l’USN est comme un rouleau compresseur. Le président de la République a déjà dressé les priorités de la seconde moitié de son quinquennat. Le prochain gouvernement sera donc chargé d’appliquer le nouveau « cap » de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Qui reste attendu sur sa décision de nommer un nouveau 1ER Ministre en remplacement de Sylvestre Ilunga Ilunkamba, qui a été, rappelons-le, le 1ER Ministre du compromis.
Mais pourquoi, soudain, cet acharnement sur cet homme ? Est-ce que la qualité de sa relation avec le président de la République a été si mauvaise à ce point qu’aujourd’hui sa tête est mise à prix ? La semaine dernière, plusieurs députés ont confirmé que la signature d’une motion de censure est en cours contre le 1ER Ministre et son gouvernement. Ils reprochent au 1ER Ministre « l’incapacité de gérer les affaires de l’État » (sic !). « Comme il ne veut pas démissionner, il sera humilié par cette motion de censure. Au lendemain de l’annonce de la rupture de la coalition entre le FCC et le CACH, le 1ER Ministre aurait dû démissionner par élégance… »
Avec la fébrilité qui règne au sommet de l’État, les choses devraient s’accélérer…
Un autre analyste politique avoue ne pas comprendre ce qui se passe actuellement dans le pays. Pour certains, l’USN qui continue de ratisser large dans la classe politique, est « une œuvre majeure de notre temps, un nouvel élan pour le bien-être de la population ». Pour ses détracteurs, c’est au contraire « un jeu dangereux car notre pays a connu d’autres unions sacrées, d’autres reniements aussi spectaculaires… ».
Double message
Loin des feux de la rampe et des polémiques politiciennes qui, à coup sûr, ne changent rien dans la vie de la majorité des Congolais, Sylvestre Ilunga Ilunkamba quittera la primature avec le sentiment de n’avoir pas démérité, si l’on tient compte de la moyenne sur l’ensemble du mandat et de la pandémie de Covid-19. La stabilité du cadre macroéconomique et la lutte contre la pandémie de Covid-19 auront été les deux priorités au centre de son action gouvernementale pour la relance économique.
Après ces derniers mois plus que mouvementés, rythmés par une crise sanitaire sans précédent, Sylvestre Ilunga Ilunkamba a présidé le mardi 12 janvier 2021 la réunion hebdomadaire du comité de conjoncture économique pour faire le point de la situation. Constat : légère décélération du rythme de formation des prix, légère dépréciation du taux de change. Et l’année 2020 s’est clôturée sur un déficit de 997 milliards de nos francs, totalement financé par les appuis budgétaires du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque africaine de développement (BAD), ainsi que par les bons du Trésor.
Le mercredi 13 janvier 2021, il a réuni le comité multisectoriel de riposte à la pandémie de Covid-19 qu’il préside. Il en ressort que la deuxième vague de la pandémie est fort préoccupante, avec en moyenne 230-250 nouvelles contaminations par jour. Les cas de décès augmentent de manière inquiétante et les hôpitaux sont débordés. De nouvelles mesures ont été soumises à l’approbation du chef de l’État pour renforcer la prévention, en plus de l’observance des gestes barrières.
Homme d’un calme olympien, façon force tranquille, selon ses proches, Sylvestre Ilunga Ilunkamba va prendre, certes, la route vers du repos, loin du tumulte dans l’intérieur de la classe politique. Mais son départ sera-t-il vraiment un « soulagement », comme dans le cas de Jeannine Mabunda Lieko Mudiayi à l’Assemblée nationale ? Loin s’en faut ! Au contraire, ça sera un grand défi pour la majorité parlementaire recomposée sous la houlette de l’USN. Qui devra désormais faire montre de pragmatisme britannique dans son entreprise de déboulonnage du paradigme du mal, pour persuader qu’il s’agit bien d’une œuvre destinée à redonner dignité et espérance humaine au peuple.
Les polémiques politiciennes qui enflent dans le pays sont loin d’avoir entamé Sylvestre Ilunga Ilunkamba, laissent entendre quelques-uns de ses proches : « Il a du caractère, des principes, une intégrité à toute épreuve. Il est attaché aux valeurs traditionnelles, familiales et chrétiennes. » Parmi ces valeurs, la fierté et le sens de la responsabilité. Un double sentiment qu’il avait exprimé lors de l’investiture de son gouvernement à l’Assemblée nationale en septembre 2019.
Et dans son message, il dénonçait la soif de pouvoir : « Le Congo, notre pays, a besoin d’actions cohérentes et des résultats palpables à tous les niveaux et en toutes matières. Il est en quête d’acteurs imprégnés de valeurs fortes qu’ils sont à même de prôner et de mettre en pratique par conviction. Le temps du bricolage et autres tactiques sinueuses est révolu. »
Dans leur quotidien, « les Congolais nous demandent de la clarté dans nos projets, de la justice et de l’efficacité. Ils veulent la paix, surtout dans l’Est du pays meurtri, la sécurité dans nos villes comme dans nos campagnes, l’emploi pour tous, l’accès aux soins médicaux, à l’eau potable et à l’électricité, la scolarisation de leurs enfants… En somme, ils exigent de nous, dirigeants, moins de discours mais plus d’actions concrètes. Ils exigent un développement économique réel du pays conduisant à l’amélioration de leur vécu quotidien ».