LES ENTREPRISES publiques ressemblent à des cadavres dans le placard. Partout, les indicateurs de gestion sont dégradés. Elles sont toutes ou presque dans une situation de quasi faillite. Surtout, pas la peine de se demander combien ces sociétés apportent comme contribution au produit intérieur brut (PIB). D’après Clément Kuete Nyimi Bemuna, le ministre du Portefeuille sortant, la contribution des entreprises publiques au PIB se situe actuellement à moins de 2 %. Son ambition a été de la porter à plus de 5 % à l’échéance 2023. Il y a 50 ans, la contribution des entreprises publiques à la richesse nationale était à hauteur de 40 %.
Prises dans leur ensemble, le chiffre d’affaires des entreprises publiques ne dépasse guère 1,5 milliard de dollars. Les charges du personnel engloutissent 34 %. Les entreprises publiques souffrent de la vétusté de l’outil de production, de la mauvaise qualité du service offert à la clientèle, des détournements de fonds, du déficit managérial. Elles sont également plombées par la spoliation de leur patrimoine, l’instabilité des équipes dirigeantes qui n’arrivent jamais à la fin de leur mandat, les conflits permanents entre le conseil d’administration et la direction générale. Sans oublier le clientélisme politique, le tribalisme, les conventions collectives devenues anachroniques, etc.
Gestion jugée laxiste
Toutes les recettes imaginées jusqu’à maintenant pour tirer les sociétés d’État vers le haut ont été un échec. Le problème ne semble pas résider dans l’ambiguïté du statut juridique accordé de manière informelle, mais bien dans les pratiques de gestion qui demeurent peu orthodoxes. Des nouveaux mandataires ont été déjà nommés dans certaines entreprises et établissements publics : Direction générale des impôts (DGI), Caisse nationale d’épargne du Congo (CADECO), Ligne maritime congolaise (LMC), Office national d’identification de la population (ONIP), Direction générale de la dette publique (OGDP), Société commerciale des transports et des ports (SCTP), Régie des voies aériennes (RVA), Office des voiries et drainage (OVD)… Dans les états-majors des partis politiques, c’est l’attente pour la suite du mouvement des chaises musicales, après l’investiture du prochain gouvernement.
La suite nous réserve sans doute encore beaucoup de surprises. « À quoi aura servi finalement la transformation des entreprises publiques en sociétés commerciales ? Jusqu’à quand les entreprises publiques seront-elles considérées comme le tiroir-caisse par la classe politique ? Au nom de quelle logique économique, les entreprises publiques doivent-elles faire l’objet d’un partage équitable et équilibré entre les politiciens ? », râle-t-on… En tout cas, ici et là, on se fait finalement l’opinion que les nominations n’obéissent pas aux « intérêts du peuple » ni au besoin de développement des unités de production de l’État. Certes, l’État est connu pour être le pire actionnaire dans une entreprise. Ce qui l’intéresse, ce sont seulement les dividendes qu’il peut en tirer. Est-ce pour autant la raison pour que les politiciens mettent les entreprises et les établissements publics dans une coupe réglée ? Pendant longtemps, les entreprises publiques en République démocratique du Congo ont fonctionné dans cette logique au point que toutes sont devenues au fil du temps un fardeau pour l’État propriétaire.
« Canards boiteux »
Comme celui qui veut noyer son chien l’accuse de rage, les hommes politiques au pouvoir ne se gênent pas de traiter de « canards boiteux » les propres unités de production de l’État. Si les sociétés d’État se trouvent depuis des décennies dans une situation de quasi-faillite, ce n’est pas que les mandataires qui les ont gérées ont été tous incompétents. Les causes de leurs contreperformances économiques et financières sont certainement à chercher ailleurs.
La réforme COPIREP de 2009, appuyée par la Banque mondiale pour faire renaître les sociétés d’État, avait suscité beaucoup d’espoirs chez les syndicats des travailleurs du secteur public. En effet, le constat général était que la plupart des entreprises publiques n’étaient plus viables, il fallait carrément les liquider ou les transformer en calquant leur gestion sur le modèle du secteur privé. C’était vraiment la cure pour les mastodontes comme la Générale des carrières et des mines (GECAMINES), l’Office national des transports (ONATRA), Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC), Société nationale d’électricité (SNEL), REGIDESO, Office d’or de Kilo-Moto (OKIMO)…
La réforme envisagée avait pour objectif de restructurer, donner une vision et rendre compétitives les entreprises publiques. Mais c’était sans compter avec les calculs des politiciens. En effet, depuis 1990, faire la politique en RDC est devenu un business très lucratif. Le pays compte à ce jour un millier de partis politiques et associations apparentées. Tous concourent soit pour entrer dans le gouvernement, soit pour gérer les entreprises publiques. Dieu seul sait pour quel but et pour quels intérêts.
Lorsque l’on fait la ronde de ces entreprises publiques, on est frappé par le vieillissement des équipements et des effectifs, la clochardisation des travailleurs réduits quasiment à l’état d’indigence… « Si l’État est incapable de gérer ses propres unités de production, il n’a qu’à les céder à ceux qui le peuvent bien… » Le modèle de gestion actuel des entreprises publics reposant sur le clientélisme politique dominant, la corruption, les malversations et l’opacité ne favorise guère le management et la compétitivité. Ce modèle a donc clairement montré son inefficacité à générer de la richesse pour le pays.
Bref, la situation globale dans les entreprises publiques n’a pas vraiment changé depuis la réforme de 2009. Les principaux travers dans la gestion sont restés les mêmes et personne n’a vraiment recapitalisé les entreprises à des niveaux compatibles avec une activité économique. Grosso modo, les intérêts de l’État, donc des Congolais, ne sont pas protégés. La revitalisation des entreprises publiques est un enjeu économique considérable pour les repositionner sur l’échiquier régional et continental, avec l’avènement de la Zone de libre-échange continentale (ZLECA).
L’enjeu pour l’État, c’est développer la valeur ajoutée locale car l’activité appelle l’activité. Et sur ce registre, la RDC regorge encore de nombreuses opportunités de développement dans tous les secteurs. « Au lieu de se tourner vers cette nouvelle vision économique en Afrique, ceux qui nous gouvernent veulent justement tuer les entreprises publiques au profit des investissements privés, alimentés par ailleurs par l’argent public et échappant superbement au fisc et à la douane. »
Les sociétés coloniales
Sous la colonie, l’économie du pays était contrôlée par des groupes belges, dont la Société générale de Belgique, Empain, Lambert, Cominière, mais aussi par d’autres sociétés étrangères, peu nombreuses mais influentes, comme Unilever. Les grandes entreprises coloniales étaient en fait managées à partir de la métropole. Concrètement, le Congo fut pour la Belgique un réservoir de matières premières.
Les richesses minières et agricoles avaient provoqué l’éclosion en Belgique de nouvelles branches d’industrie et la création de nombreux emplois. C’est le cas de la société métallurgique d’Hoboken, qui traitait les métaux non ferreux et fournissait à elle seule du travail à près de 4 000 ouvriers belges tandis que le traitement du diamant employait environ 15 000 ouvriers.
L’apport de la colonie à l’économie belge fut également considérable dans d’autres secteurs comme le transport maritime, l’ingénierie… Une étude réalisée en 1960 évalua l’impact du Congo sur l’économie belge à 3,3 % du PIB et à 3,6 % du revenu national. Pendant les cinq premières années de l’après-indépendance, le sort des entreprises publiques ex-coloniales fut suspendu à l’évolution politique de l’État. Les conflits armés ont perturbé la production, les transports, l’exportation et ont favorisé la fraude…