Argent public : vivement un moratoire !
HONTE à nous, Congolais ! L’extérieur nous regarde avec des yeux goguenards. Si l’on se mettait à raconter toutes les anecdotes croustillantes sur les scandales financiers dans le pays où pas un seul secteur n’est à l’abri, on noircirait toutes les pages de ce journal. Tellement les exemples sont légion. Qu’il s’agisse du rapport annuel d’activité de l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC), publié le 25 mai 2021, ou qu’il s’agisse des courriers de l’Inspection générale des finances (IGF) adressés aux mandataires des entreprises publiques auditées par ses experts, le bilan dressé est particulièrement sombre.
D’abord, parce que le portefeuille d’entreprises à participation publique est vaste et hétérogène, sans cohérence globale et qu’il comprend des entreprises soumises à des défis majeurs. Ensuite, car les experts de l’IGF ont mis en avant la situation financière critique de certaines des sociétés d’État concernées. Le moins que l’on puisse dire est que la gouvernance laisse à désirer, même si de notables progrès sont réalisés.
Qui est propre ?
Tout a été dit ou presque sur la corruption, le détournement de deniers publics, la fraude fiscale, la concussion, la prévarication… en République démocratique du Congo. Est-ce pour autant qu’il ne faille plus en parler, même si les rapports de l’IGF et de l’APLC ne semblent pas emballer l’opinion nationale ? En tout cas, la problématique ne saurait être abordée, aujourd’hui, en termes de faut-il en parler ou non mais bien en termes de relation des Congolais à l’argent public.
En juillet 2009, l’on s’en souvient, les évêques catholiques, réunis au sein de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), avaient préconisé que l’on décréta 2010, année du cinquantenaire de l’indépendance, « année de lutte contre la corruption sous toutes ses formes ». En réalité, une sorte de moratoire avant d’engager une lutte sans fin contre la corruption et ses corollaires. Mais les évêques catholiques n’ont pas été entendus. Et depuis, la CENCO ne cesse de stigmatiser la corruption désignée comme « un fléau qui gangrène la société congolaise ». Sanctionner sévèrement les pratiques de corruption, de détournement de fonds de l’État et de fraude fiscale, c’est bien. C’est même l’idéal… Soit !
Mais les gens se demandent par où il faudra commencer. Le mal est tel qu’il faut aujourd’hui redéfinir la relation des Congolais à l’argent public. Il faut vraiment une catharsis à la manière du grand philosophe grec Aristote. Pour sortir la RDC de la « malédiction », c’est de ramener tout simplement au respect des principes, à la bonne gouvernance, à l’équité, à la justice et à l’humanité. Il n’est plus question de laisser une criminalité financière effrénée se répandre davantage car les effets de cette criminalité sont préjudiciables à l’ensemble de la société. D’ailleurs, les Nations Unies recommandent aux gouvernements de s’engager à éradiquer la corruption et à promouvoir l’État de droit dans tous ses aspects. En effet, la corruption aggrave les injustices et les inégalités.
Passer à l’action
Et si on faisait comme au Kenya ? Ce pays avait décrété en 2003 une décennie d’action de lutte sans fin contre la corruption, à l’avènement au pouvoir de Mwai Kibaki. Des milliards de dollars disparaissaient du budget de l’État. À l’époque, la corruption sous toutes ses formes (la prévarication, la concussion, la fraude fiscale, la prise illégale d’intérêts, le trafic d’influence, le blanchiment et les pots-de-vin) entravait la croissance économique, engendrait un découragement pour l’investissement privé étranger, et entraînait une réduction des ressources.
La cérémonie d’investiture de Mwai Kibaki s’était transformée en immense fête populaire à Nairobi car il avait promis de lutter contre la corruption et de relever l’économie du pays. Pour nombre de Kenyans, la cérémonie d’investiture de Mwai Kibaki était « une fête de libération » ou tout comme. Les voix s’étaient élevées pour réclamer des emplois, l’éducation gratuite et surtout la fin de la corruption. Et Mwai Kibaki ne les avait pas déçues dans son discours.
Il n’avait pas mâché ses mots : « Nous héritons d’un pays victime d’années de gestion inepte… On est loin des images paradisiaques vendant le Kenya aux touristes étrangers, les plages de l’océan Indien et les animaux sauvages des safaris. L’économie du pays est à genoux. Et pour le Kényan moyen, cela signifie une survie au jour le jour. » Mwai Kibaki avait affiché ses priorités : la lutte contre la corruption qui a ravagé l’économie, la création d’une école primaire gratuite, un meilleur accès aux soins de santé et beaucoup d’autres choses.
En 2002, le Kenya avait l’un des plus bas taux de corruption, soit un degré de 1,90 sur une échelle de 10. Ce qu’a fait Mwai Kibaki, c’était d’abord de décréter un moratoire avant de déclencher l’opération mains propres qui a produit des résultats positifs bénéfiques à la démocratie et à l’économie kenyane. Cependant, depuis 2013, le Kenya a replongé dans la corruption (240 %), le classant parmi les pays les plus corrompus du monde, selon Transparency International. Le Fonds monétaire international (FMI) estime, pour sa part, que les Kényans donnent en moyenne 16 pots-de-vin par mois.
En 2018, Uhuru Kenyatta, l’actuel président, sortira les grands moyens pour contrer la corruption. Il suspend divers responsables de marchés publics, oblige les agents publics ainsi que les membres du gouvernement à fournir des rapports détaillés sur leur train de vie quotidien. Grâce à ces mesures, le président kenyan a pu ordonner en 2018 l’arrestation de 28 personnes qui ont eu un rôle à jouer dans le scandale qui a fait tomber un ministre des Finances. En lien avec un projet de construction de deux barrages, ces personnes ont détourné pour une centaine de millions de dollars.
La même année, Ferdinand Waititu, le gouverneur du comté de Kiambu, et sa femme Susan Ndung’u sont accusés d’avoir eux aussi détourné les fonds de leur comté pour 5,8 millions de dollars. Face à ce défi à relever, Mgunjiri Wambugu, un député du pouvoir, avait l’intention de soumettre au Parlement une proposition de loi visant l’application de la peine de mort pour les crimes liés à la corruption.
RDC dans le rouge
Malgré les différents mécanismes de lutte et les bonnes intentions au sommet de l’État, la corruption est devenue même un sport national par manque de volonté politique pour l’éradiquer sinon réduire son impact sur la société. En 2010, le gouvernement avait décidé de mettre en œuvre pas moins de 45 mesures pour lutter contre la corruption (code minier et code forestier, processus de Kimberley…). Pour la majorité des investisseurs, les processus d’attribution des marchés publics, par exemple, demeurent encore trop peu transparents et sont encore un terrain propice pour le développement de la corruption et du trafic d’influence.
Des rapports des ONG ne laissent entrevoir aucun progrès en matière de lutte anti-corruption. Au contraire, ils dénoncent le dysfonctionnement du secteur judiciaire. Même les gens qui sont attrapés la main dans le sac, peuvent s’en tirer à très peu de frais. Pour ces ONG, la justice a une fonction de régulation. Or, la justice est le parent pauvre de trois pouvoirs constitutionnels sur lesquels reposent l’État et la démocratie en Afrique. Elle se caractérise par des dysfonctionnements importants. La question de l’indépendance de la justice reste posée.