De Kasa-Vubu à Mobutu, de Mobutu à Kabila père, de Kabila père à Kabila fils, de Kabila fils à Tshisekedi, les programmes économiques prônés par les présidents de la République qui se sont succédé au sommet de l’État, ne manquent pas dans l’histoire et la littérature politiques du Congo-Kinshasa. La soif d’améliorer les conditions de vie des populations via la croissance économique y a souvent été perçue comme le fondement d’une volonté de puissance pour mieux valoriser les ressources naturelles dont la République démocratique du Congo est scandaleusement nantie.
Tous ces présidents de la République ont eu du progrès une vision politique farouchement positive et euphorique dans l’exercice du pouvoir ; ils souhaitaient vaincre la pauvreté, faire reculer les limites du chômage, domestiquer la nature, dompter l’énergie et rendre enfin l’homme congolais réellement maître de son destin.
La question de cette volonté de puissance économique au cœur de l’Afrique se pose de nouveau avec intensité aujourd’hui. En premier lieu parce que tous les programmes économiques claironnés suscitant l’espoir et la confiance aveugle et totale des populations ont conduit au cours des années de l’après-indépendance à des bourdes, des excès et des aberrations criminelles.
Un nouveau regard
De ce jour date un nouveau regard sur la classe politique en général, et sur les dirigeants qui gouvernent le pays en particulier. Soixante-trois ans après l’indépendance du pays et son accession à la souveraineté internationale, à l’immense crédit que les politiques – appelés au pays « politiciens » à juste titre -avaient auprès des populations succède un sentiment de méfiance et d’inquiétude ; principalement à l’égard du social. Or le social se porte bien, voire mieux quand l’économie va.
Une telle méfiance et une telle inquiétude s’étaient déjà manifestées à plusieurs occasions, au cours de l’histoire politique du pays ; par exemple quand l’épiscopat catholique du pays dénonce la mal gouvernance des hommes politiques au pouvoir à travers ses déclarations sans ménagement, ou quand les syndicats de la Fonction publique ainsi que ceux des enseignants et des professeurs appellent à des grèves, ou encore quand les opposants au régime au pouvoir l’accusent de mégestion des finances publiques, etc.
« Soixante-trois ans après l’indépendance du pays et son accession à la souveraineté internationale, à l’immense crédit que les politiques – appelés au pays « politiciens » à juste titre -avaient auprès des populations succède un sentiment de méfiance et d’inquiétude ; principalement à l’égard du social. Or le social se porte bien, voire mieux quand l’économie va. »
Mais les réticences étaient de plus en plus exprimées par ce que l’on peut qualifier de manque de vision claire et nette partagée par tous les Congolais. Depuis 2006, année des premières élections démocratiques, c’est au nom de la raison, de la démocratie, du bon sens, et dans le souci de préserver le futur que l’on va critiquer le culte irréfléchi du bien-être et du progrès, la folie de l’enrichissement délirant d’une minorité au détriment de la collectivité.
Alors commence à se poser, un peu partout dans le pays, une question politique majeure, à propos du contrôle démocratique du pouvoir et ses effets. Question que beaucoup de Congolais formulent en ces termes : quel mécanisme de décision mettre en place qui permette à l’ensemble des citoyens de faire valoir leur point de vue, non sur la politique elle-même, mais sur les questions posées par les applications de la politique ?
Le citoyen se demande s’il peut tolérer qu’au nom d’une certaine conception du pouvoir, sa vie, celle de ses descendants et le sort de la nation soient longtemps encore mis en péril. D’autant qu’il n’est pas sans sentir que la réelle complexité des problèmes fournit un excellent alibi aux hommes politiques au pouvoir, à leurs experts fanatiques et supporters pour écarter de la discussion démocratique les décisions de nature à promouvoir le progrès économique, et partant le progrès social.
Le Congo d’en bas
D’ailleurs quand cette discussion a lieu dans les assemblées représentatives, chacun constate que les élus de la nation ont rarement les moyens intellectuels et matériels de mesurer l’importance et les conséquences des décisions à prendre en faveur des populations.
Ainsi s’édifient, peu à peu, les écarts sociaux effarants entre ceux du Congo d’en haut et ceux du Congo d’en bas. La manière dont le pays est géré, en marge du vrai débat politique, et hors de la naturelle curiosité des citoyens a fait prendre conscience à la collectivité que la cécité de la classe politique aux souffrances des populations et la course au profit personnel se conjuguent dans l’oubli et le mépris de l’homme.
Mais c’est dans le domaine de la sécurité que les frayeurs sont, à juste titre, les plus grandes. Car avec ce qui passe dans le Nord-Kivu principalement, la guerre d’agression du Rwanda via le M23, en Ituri, et dans le Maïndombe, on touche là à des racines très profondes, relevant de l’irrationnel : l’intégrité du territoire national, la propriété des Congolais.
« Le citoyen se demande s’il peut tolérer qu’au nom d’une certaine conception du pouvoir, sa vie, celle de ses descendants et le sort de la nation soient longtemps encore mis en péril. »
Le progrès, estimaient les penseurs des Lumières, est ce qui libère l’homme des superstitions et l’aide à vivre mieux grâce à un meilleur usage de la raison. Quand celle-ci dérape et que, profitant de la crise des idéologies, elle tente d’ériger le régime au pouvoir en nouvelle divinité, comment ne pas réclamer le sursaut des citoyens ? Car, au-delà du seuil des élections – franchi pour la première fois en 2007, puis en 2011 et ensuite en 2018 – l’appauvrissement de la majorité des Congolais peut apporter la mort généralisée et la stérilisation de la nation, comme le craignent certains observateurs. Par ces temps de fragmentation du monde et de dangereux repli sur soi, n’est-ce pas de réaffirmer la confiance dans le progrès par la vigilance de tous les citoyens ?
Les hommes politiques tiennent volontiers le langage suivant : donnez-moi votre voix, j’améliorerai vos conditions de vie. C’est de la folie politique ! Le fait est indéniable, mais le propos un peu court. Il sous-entend que ceux qui sont passés avant n’ont rien fait. Cette façon de voir les choses et la nation dévalorise la politique.
Aujourd’hui, les politiques ne peuvent plus conserver des mains propres. La politique est partout impliquée. Mais de quelle politique s’agit-il ? L’homme de la rue voit les politiques à peu près comme nos grands-parents les voyaient : menteurs, orgueilleux, égoïstes, opportunistes par-dessus tout. Et, pourtant, c’est maintenant qu’un changement révolutionnaire de penser et d’agir doit intervenir dans la classe politique. En politique, le manque d’éthique des dirigeants ne passe plus.