En décidant en avril 2014 de développer une « cellule de veille » chargée du suivi du projet de transfert d’une partie de l’eau du fleuve Oubangui vers le lac Tchad, l’assemblée nationale congolaise a juste pris la mesure d’une initiative qui devrait à terme affecter des générations de la RD Congo. La vieille idée de redonner vie à un lac, qui en perd dans tous les sens, a pris de contours concrets il y a une dizaine d’années. Le bassin versant du lac Tchad compte plus de 20 millions d’hommes et de femmes habitant quatre pays : Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad. Aujourd’hui, le lac couvre moins de 10 % de son état de 1960 ; de 26.000 km2 en 1960, il est à 1.500 km2. Il a perdu la majeure partie de son intérêt économique, notamment en devenant non navigable ; ainsi, toute une population est condamnée à terme. La très sérieuse et redoutable agence spatiale américaine, la NASA, qui a conduit « une étude de simulation climatique sur la région, prédit la disparition du lac à plus ou moins brève échéance ». C’est là où est l’enjeu.
En se réunissant récemment en Italie, les délégués des quatre pays les plus concernés (Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad) poursuivaient ainsi une activité de mobilisation des fonds afin de consolider les études de faisabilité, commencées depuis belle lurette. Il faut noter que c’est depuis 2008 que cette opération de quête des ressources financières a été mise en route ; en ce temps-là, le Nigeria avait mis dans la corbeille 5 millions de dollars américains et les autres pays, qui sont tous réunis au sein de la Commission du bassin du Tchad (CBLT), un million de dollars américains. Le leitmotiv était ainsi cerné car « pour sauver le lac Tchad », il n’y a qu’une possibilité : prendre de l’eau du fleuve Oubangui.
La RD-Congo dubitative
En fait, il est prévu de creuser un canal de 1350 km en République Centrafricaine, dans le cadre de la complexe initiative Transaqua (regroupant le Cameroun, le Nigeria, le Niger, le Tchad, la Centrafrique et la Libye). Pour bien réaliser cet ouvrage, il fallait aussi convaincre le Congo-Brazzaville et le Congo-Kinshasa ; si le premier a donné son accord depuis 2005, le second continue à avancer qu’il n’a pas encore été saisi de manière formelle.
C’est toute cette réflexion qui cause évidemment de gros soucis au niveau de Kinshasa. Le fleuve Oubangui, dont le niveau ne cesse du reste de baisser, est l’un des affluents majeurs du fleuve Congo. A la confluence avec le Congo (en aval de la ville de Mbandaka), l’Oubangui a un débit de 5.936 m3 par seconde ; ainsi cette réalité risque de baisser, entraînant d’autres conséquences fâcheuses auprès des communautés riveraines ainsi que sur la biodiversité du bassin du Congo.
Une autorité régionale, qui a la responsabilité de la « gestion transfrontalière du bassin » existe : il s’agit de la Commission internationale du Bassin Congo-Oubangui-Sangha, CICOS en sigle avec siège à Kinshasa. Créée en 1999 par quatre pays (Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville et RD Congo), elle veut promouvoir « une intégration physique et économique de la sous-région en favorisant une exploitation équitable et concertée des voies d’eau transfrontalière et une mise en valeur durable et mutuellement bénéfique des ressources en eau du bassin ». Elle devrait être ainsi un des outils susceptibles de calmer les visées des uns et des autres, surtout en participant à une dynamique d’atténuation de germes de conflits qui sont déjà sur terrain.
Ce cas du fleuve Oubangui appelle directement celui du fleuve Congo, même si c’est à des niveaux différents. L’histoire renseigne que des projets ont été ficelés pour une éventuelle capture d’eau à deux niveaux : d’une part, au niveau de la région de Mbandaka, justement pour alimenter les pays semi-désertiques ou désertiques du nord de l’Afrique, et, de l’autre, au niveau de Moanda pour servir des Etats du sud du continent et de la côte ouest. Certes, ce sont aussi des projets. Une certaine opinion peut se dire que la desserte du bassin versant du fleuve Congo est suffisante et minimiser l’impact de tels ouvrages ; pourtant il faut se dire que les conséquences seront à terme les mêmes que celles projetées pour le fleuve Oubangui : pénalisation des populations riveraines, perturbation majeure de la biodiversité. Il y a déjà des cercles de réflexion en RD-Congo qui affûtent leurs « armes » afin de faire face à de telles éventualités.
En réalité, au niveau international, il se pose ainsi un important problème : la répartition inégale de l’eau, surtout douce, sur la planète. Dès lors, au moment où se constate une demande de plus en plus forte en raison surtout de la croissance démographique et économique, bien d’experts craignent que l’eau pourrait venir à manquer dans plusieurs régions du monde. A la limite, certaines populations ne pourraient pas hésiter à user de la force pour avoir accès à la ressource eau ; on n’en est pas encore là, mis toutes ces pressions qui s’expriment sous divers modes, même au niveau diplomatique, démontrent suffisamment que la levée des boucliers est effective.
Bassin : diktat des uns, désapprobation des autres
L’autre exemple, et cette-fois des plus emblématiques sur le continent, est le fleuve Nil. Long de 6.700 km et couvrant un bassin versant de 3.400.000 km2, ces deux branches (Nil bleu et Nil blanc) baignent tout un ensemble de pays : Rwanda, Burundi, Tanzanie, Ouganda, Ethiopie, Soudan du sud, Soudan, Egypte. Mais sont aussi concernés la RD-Congo, le Kenya et l’Erythrée. Face aux différentes pressions et menaces entre pays, il a été institué une autorité de régulation : l’Initiative du bassin du Nil. Bien auparavant, l’Egypte et le Soudan avaient signé, seuls, un accord en s’octroyant de grandes quantités d’eau, respectivement de 55,5 milliards de m3 par an et de 18,5 milliards de m3 par an. Cela a créé la furie des autres Etats, mais Le Caire et Karthoum ont fortement argué que cela relevait « d’une question de sécurité nationale ».
Concernant toujours ce cas du fleuve Nil, l’Ethiopie a décidé, en mai 2013, de détourner les eaux du Nil bleu en construisant un ouvrage gigantesque qu’elle a appelé le « barrage de la Renaissance ». Cela a provoqué une véritable ire de l’Egypte qui a même menacé de le détruire, tout simplement. En dépit de ces prises de position ferme, d’autres pays de l’Initiative du bassin du Nil (Ethiopie, Tanzanie, Rwanda, Ouganda) ont décidé de signer un texte afin que le Caire et Karthoum reviennent sur leur accord leur octroyant, à eux seuls, les trois quarts de l’eau disponible du fleuve Nil. Mais, cela reste bloqué car deux pays approchés pour se joindre au projet n’ont pas encore pris position : le Burundi et la RD-Congo.
Tout cela démontre suffisamment qu’il y a des étincelles en l’air. La communauté internationale est consciente de ces différentes réalités. Ainsi, les Nations Unies, en décrétant 2013 « Année internationale de la coopération dans le domaine de l’eau », ont voulu essentiellement « cerner les questions brûlantes concernant la gestion des eaux transfrontalières, les cadres juridiques, l’éducation et la diplomatie de l’eau, afin de mieux sensibiliser les Etats aux possibilités de développer la coopération internationale pour faire face aux défis que représente la demande mondiale toujours croissante ».