L’argent provenant du pétrole africain connaît des fortunes diverses. Il remplit les caisses de l’Etat, enrichit quelques initiés et laisse sur le carreau des millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de la pauvreté.
Dans un rapport publié le 21 juillet, des ONG suisses et américaines ont dénoncé l’opacité du négoce du pétrole africain sur le marché helvétique. Berne Swissaid et Naturel Resources Governance Institute ont également noté, dans ce rapport publié à Lausanne et à Berne, que les ventes du pétrole africain sont soumises à l’hégémonie des sociétés de négoce suisses, soulignant le manque de transparence de ces transactions représentant des dizaines de milliards de dollars. Intitulé « les traders suisses, le pétrole africain et les risques d’opacité », le rapport révèle que trois traders suisses ont acheté, au cours de l’année 2013, près de 50 % de la production pétrolière camerounaise revenant à la Société nationale des hydrocarbures (SNH).
Au cours des trois dernières années, ces sociétés suisses « se sont aménagées une part de marché de 25 % sur le segment très opaque du pétrole mis en vente » dans le monde par les États subsahariens et les compagnies publiques, selon les trois ONG. Cette part de marché représente 55 milliards de dollars et « l’intégralité du produit de ces ventes n’atterrit pas dans les caisses des États ». Les groupes de négoce suisses bénéficient, parfois, d’une situation de quasi-monopole. Ainsi, les sociétés suisses de négoce dominent, nettement, les exportations au Gabon, en Guinée équatoriale, au Cameroun, au Tchad ainsi qu’au Nigeria.
Au Tchad, l’une d’elles, Glencore, a acquis, en 2013, 100 % de la part étatique du pétrole pour une valeur correspondant à 16 % du budget national de ce pays, l’un des plus pauvres de la planète. En Guinée équatoriale, les ventes du pétrole national effectuées par les firmes suisses Arcadia, Glencore, Trafigura et Vitol se sont élevées à plus de 2,2 milliards de dollars en 2012, un montant égal à 36 % des recettes de cet État.
Une source renseigne que « le PIB de la Guinée Equatoriale est proche de celui d’un pays membre de l’Union européenne alors que son niveau de pauvreté réel est catastrophique ». Les ventes de pétrole brut, par les gouvernements et leurs compagnies nationales, sont l’un des secteurs les moins étudiés de la gouvernance du secteur pétrolier, selon le document de Berne Swissaid et Naturel Resource Governance Institute, qui se sont concentrés sur 10 pays d’Afrique sub-saharienne, exportateurs de pétrole, à savoir l’Angola, le Cameroun, le Congo-Brazzaville, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Ghana, la Guinée équatoriale, le Nigeria, le Soudan du Sud et le Tchad.
Les ONG demandent aux pays producteurs d’adopter des règles assurant « l’intégrité dans la sélection des acheteurs, et la fixation du prix de vente » et de publier les noms des sociétés qui achètent le pétrole étatique. En juin dernier, la Suisse a demandé plus de transparence dans le secteur des matières premières, mais, uniquement, pour les entreprises faisant de l’extraction. Le négoce en est exclu. « En tant que pays-hôte de la première place de négoce des matières premières au niveau mondial, la Suisse peut et doit prendre ses responsabilités », indiquent les auteurs du rapport. Quelques 570 sociétés de négoce de matières premières sont installées en Suisse, et emploient 10 500 personnes, selon les derniers chiffres disponibles.
« En 2013, les traders suisses Glencore, Vitol et Gunvor ont, ensemble, acheté près de la moitié du pétrole brut vendu par la SNH. Ces achats ont abouti au paiement à l’Etat camerounais, de près de 600 millions de dollars (environ 300 milliards de FCfa), représentant 12 % des recettes de l’Etat », indique le rapport.
Au demeurant, précise le document susmentionné, « le cas du Cameroun permet de démontrer comment les ventes de pétrole effectuées par les pays africains peuvent être d’une importance capitale pour les Etats vendeurs, alors que pour les traders, cela ne représente pas grand-chose. » Pour justifier cet argument, le rapport révèle, par exemple, qu’en 2013, «Glencore a acheté, pour près de 400 millions de dollars (environ 200 milliards de FCfa) de pétrole brut à la SNH », alors que le chiffre d’affaires (volume des ventes brutes) de ce trader, la même année, a culminé à « 233 milliards de dollars, et représente 9 fois le PIB du Cameroun en 2012 ».
Invitation à la transparence
Mais au-delà de ces chiffres, les auteurs du rapport font remarquer que les transactions effectuées par les firmes helvétiques « présentent d’importants risques de gouvernance, puisqu’elles se produisent dans des contextes caractérisés par des institutions faibles et une corruption endémique. En dépit de leur importance, ces ventes échappent à toute régulation et ne profitent pas comme elles le devraient, aux populations concernées. Les sociétés de négoce contribuent, en outre, à rendre ces transactions opaques. »
En 2013, les traders suisses Glencore, Vitol et Gunvor ont, ensemble, acheté près de la moitié du pétrole brut vendu par la SNH. Ces achats ont abouti au paiement à l’Etat camerounais, de près de 600 millions de dollars, représentant 12 % des recettes de l’Etat .
Rapport Berne Swissaid et Naturel Resources Governance Institute
Fort de ce dernier constat, les rapporteurs recommandent aux « gouvernements des pays africains producteurs de pétrole et aux compagnies pétrolières publiques, de se doter des normes encourageant l’intégrité dans le choix des acheteurs et la détermination du prix de vente, en incluant la publication du détail des ventes de la part étatique du pétrole. » Dans le même temps, poursuit le rapport, la Suisse est invitée à « assumer sa responsabilité de numéro un mondial du négoce de matières premières, en adoptant une régulation contraignant les firmes de ce secteur à divulguer la totalité des paiements qu’elles versent aux gouvernements et aux compagnies pétrolières publiques, y compris les paiements associés à l’activité de négoce. Le Conseil fédéral devrait donc revoir son projet de réglementation présenté le 25 juin 2014, lequel excluait le négoce.»
Par ailleurs, « les gouvernements des autres places de négoce, notamment l’Union européenne, les Etats-Unis et la Chine, devraient également inclure l’activité de négoce dans leur législation relative à la transparence des paiements aux gouvernements », suggère encore le rapport rédigé sur la base de données provenant des « 10 principaux pays exportateurs de pétrole d’Afrique subsaharienne. »
RDC a, quant à elle, renoué depuis juillet, avec l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE), après une suspension temporaire décidée en avril 2013. Elle a réintégré le processus et est redevenue crédible en matière de gouvernance dans le secteur extractif, notamment en ce qui concerne la gestion des revenus tirés de l’exploitation des ressources minières et pétrolières. Toutefois, beaucoup reste à faire dans ce dernier secteur. A titre d’exemple : dans l’offshore congolais, l’Etat n’a aucune participation aux financements des opérations et des investissements. Par conséquent, absent au comité des opérations et de décisions, il ne contrôle ni le programme des travaux, ni le cycle de formation des recettes pétrolières, ni la fixation des prix à l’exportation et encore moins les coûts de production.