L’opération de contrôle de la vignette automobile lancée par les autorités urbaines a eu comme conséquence la raréfaction des moyens de transport sur certaines avenues, perturbant ainsi l’emploi du temps des uns et des autres. L’état y gagnera-t-il quelque chose ? Pas sûr.
Bienvenu Kibonge, élève de 4e année dans une école technique, parcourt chaque jour environ 20 km, aller et retour, entre le domicile familial situé au quartier Kimbondo, dans la commune de Mont-Ngafula, et son institut à la Gombe. Lundi 13 octobre, les difficultés de transport sur son itinéraire habituel ont fait qu’il est arrivé dans sa classe qu’au moment où ses condisciples finissaient de rendre leur copie de l’interrogation de mathématiques. Evidemment, le professeur est resté sourd à ses explications. Eugène Lufimbu, responsable des Ressources humaines dans une société de distribution de produits alimentaires de la place, a anticipé pour éviter tout dysfonctionnement. Il a ainsi décalé d’une heure le début et la fin du service. Au lieu de 7h, le travail commence à 8h00 et se termine à 17h00 pendant les deux semaines du recouvrement lancé le 13 octobre. Poro Papy, taximan de son état a, quant à lui, renoué avec ses grasses matinées de l’époque où il était chômeur, il y a cinq ans de cela. Son patron, en délicatesse avec le fisc, craint de voir sa voiture finir à la fourrière. Il ne travaille plus que la nuit pour échapper au contrôle et au payement forcé. Beaucoup d’artères de Kinshasa souvent embouteillées comme l’avenue de l’Université, la route de Mokali ou l’avenue By Pass, ont connu une circulation fluide, selon un policier du bureau des accidents à Limete. La cause des agréments ou des désagréments, c’est selon, est l’injonction des autorités provinciales de procéder, pendant deux semaines, au recouvrement forcé de la vignette 20012, 2013 sur tous les véhicules circulant dans la capitale. Mais combien de temps cette mesure tiendra-t-elle et pour quel résultat ?
Enjeu : près de 17 millions de dollars à recouvrer
« Les quelques semaines de campagne de recouvrement forcé ne peuvent pas donner un grand taux de réalisation des assignations. Le contrôle devait être permanent et rigoureux. »
Evariste Mbo
Reconnu comme l’impôt annuellement payé par les véhicules circulant sur les routes d’intérêt public du pays, la vignette automobile est l’une des taxes dont la perception et l’usage sont reconnus à chaque province. Ainsi, à Kinshasa, la collecte de la vignette relève de l’autorité de la Direction générale des recettes de la ville de Kinshasa (DGRK). Elle coûte entre 70 000 et 350 000 francs selon la puissance du moteur, excepté les motos tout aussi concernées par la taxe à un prix ne dépassant pas 20 000 francs. Cet impôt est une importante source de revenus pour la capitale qui compte, à elle seule, plus de la moitié du million de véhicules que compte le charroi automobile en circulation sur toute l’étendue de la République, d’après la Direction générale des impôts. Cette année, sur 170 000 vignettes mises en vente, seuls 20 % ont été librement payés par les contribuables, d’où l’importance de ce recouvrement qui devrait rapporter la coquette somme de 17 milliards de francs (près de 17 millions de dollars soit 17 % de ses assignations budgétaires pour l’année 2015), selon le fiscaliste Evariste Mbo.
Bakchich
L’enjeu est tellement important que la campagne a mobilisé des centaines de policiers et d’agents de l’ordre et agents recouvreurs de la DGRK qui traquent les insolvables à tous les carrefours de la ville. Les véhicules en circulation devront se soumettre au contrôle de leurs vignettes automobiles des exercices fiscaux écoulés (2012 et 2013). Les contrevenants risquent de lourdes amendes, en plus de la saisie des documents de bord et la mise en fourrière des automobiles non en règle. Mais pour combien de temps, quand on sait que des agents mal payés résistent difficilement à la tentation du bakchich ? D’après Evariste Mbo, la DGRK n’a jamais donné le meilleur d’elle-même lors des précédentes campagnes. Son taux de réalisation tourne toujours autour de 60 %, ces quatre dernières années. « Il y a certainement des brèches qu’il faut colmater, au nombre desquelles le relâchement de la pression au bout de deux semaines de campagne. L’impôt étant une contrainte permanente pour les assujettis, tout relâchement crée automatiquement le réflexe d’abandon ou du ralentissement dans la collecte. Les quelques semaines de campagne de recouvrement forcé ne peuvent pas donner un grand taux de réalisation des assignations. Le contrôle devait être permanent et rigoureux », ajoute le fiscaliste. Les véhicules qui sont momentanément immobilisés par leurs propriétaires reprendront la route lorsque la vigilance et la contrainte retomberont. Lors des contrôles de routine des documents, chacun sait qu’une poignée de main entre un policier et un conducteur est une discrète façon de passer un bakchich, ce qui garantit une libre circulation aux insolvables. Il y a, en plus, les réseaux de corruption internes au sein de plusieurs régies financières, qui mettent en circulation de vrais-faux documents à un coût moindre et dont bénéficient des individus bien protégés au détriment de l’état. Dans un pays où la sécurisation des documents n’est pas encore une préoccupation, ces phénomènes sont à la base d’énormes manques à gagner pour le Trésor public. « Même si les faussaires se retrouvent partout dans le monde, la différence avec la RDC et beaucoup de pays africains c’est que les proportions sont très grandes et le combat s’avère difficile car une grande partie des agents commis au contrôle ne sont pas formés à ce genre de menaces », reconnaît un policier récemment formé à la recherche et l’investigation criminelle.