Depuis cinq ans, des chefs d’établissement de l’Enseignement supérieur, universitaire et de la recherche scientifique de tout le pays se retrouvent pour un état des lieux des progrès réalisés dans le domaine des sciences, qui souffre d’un manque de moyens et d’intérêt.
« Opportunités et défis de l’enseignement supérieur, universitaire et de la recherche scientifique face à l’émergence de la République démocratique du Congo à l’Horizon 2030 ». C’est l’intitulé du thème qui a réuni les responsables de l’Enseignement supérieur et universitaire et leurs partenaires à l’occasion de l’exposition 2014, qui s’est tenue du 11 au 15 octobre à l’Académie des beaux-arts de Kinshasa. Objectif : montrer le génie des chercheurs congolais. Mais les intéressés n’étaient pas légion. Il n’y a eu qu’une cinquantaine de stands, alors que l’enseignement supérieur et universitaire compte plus de 700 établissements et plus de 16 000 professeurs et chercheurs (tant publics que privés) recensés par la direction des études et planification du ministère de tutelle entre 2012 et 2013.
Quelques exceptions malgré tout
Le budget de la recherche en République démocratique du Congo ne représente que 0,4 % du produit national dont l’essentiel est d’ailleurs consacré au payement du personnel, alors que la moyenne africaine recommandée est de 1 %.
Mukambilua Sale, membre de la commission scientifique de l’expo 2014
Globalement, les instituts supérieurs techniques ont tiré leur épingle du jeu. L’Institut supérieur des techniques appliquées (ISTA) est revenu avec son fameux robot-roulage dont deux prototypes régulent déjà la circulation routière dans deux quartiers de la capitale. Les créateurs attendent toujours une commande du gouvernement pour étendre l’expérience à l’ensemble des routes congolaises. Chaque unité coûte 10 000 dollars. Quant à l’Institut supérieur pédagogique des techniques appliquées, il a suscité beaucoup de curiosité grâce à son éolienne. Elevées sur une hauteur de huit mètres, connectées aux batteries et autres convertisseurs, les hélices de l’appareil, avec leurs deux mètres de diamètre, peuvent tourner sous la pression du vent et produire à temps plein 4 kilovoltampères (KVA) d’énergie électrique propre non polluante pour des besoins domestiques élémentaires (éclairage, téléviseur, frigo, charge de téléphone et d’ordinateur), selon l’ingénieur Alain Luyindula, commis à l’exposition. Le coût de l’installation est évalué à 2 000 dollars. Le Centre d’information et de vulgarisation agro-alimentaire de Kimpese (CIVAK), dans le Bas-Congo, avec ses différentes recettes en conservation et transformation des produits agricoles locaux (jus de fruits, confiture, pain à base de farine de manioc désamidonné, etc.) a attiré beaucoup de visiteurs et de curieux séduits par l’agrobusiness. En dehors de ces exceptions, moult d’institutions en mal d’innovation ont simplement converti leurs stands en restaurants de fortune. Parlant de cette carence des inventions dans les institutions publiques, Mukambilua Sale, membre de la commission scientifique de l’exposition 2014, évoque le manque de moyens. « Le budget de la recherche en République démocratique du Congo ne représente que 0,4 % du produit national dont l’essentiel est d’ailleurs consacré au payement du personnel, alors que la moyenne africaine recommandée est de 1 % », affirme-t-il. Pour lui, l’insuffisance des moyens est à l’origine de la mort programmée de la recherche opérationnelle et l’innovation dans les institutions habilitées, même si quelques illuminés privés ont pris la relève. Mais il reconnaît toute la difficulté pour l’Etat de les encadrer, car ils n’obéissent qu’à leur intuition et non à une politique générale avec des objectifs précis. Le stand réservé aux chercheurs indépendants est d’ailleurs le seul à avoir attiré du monde, c’est-à-dire pas moins de 5000 visiteurs, selon les organisateurs. Le centre de recherche Nieca, par exemple, initiative d’un chercheur congolais, a présenté une découverte révolutionnaire sur le traitement de la drépanocytose (Beat SS et Docabe) qui convertit progressivement les hémoglobines SS en AS ou AA, donnant ainsi l’espoir de guérison à une maladie héréditaire considérée comme incurable par la médecine moderne. « Ces résultats sont certifiés par l’Institut national des recherches biomédicales, une université japonaise et le ministère de la Santé publique », soutient l’initiateur. Ingénieur Matadi d’Afrique, une autre unité de recherche privée, a présenté ses trouvailles : une méthode de fabrication de craie à base du calcaire local transformé en gypse, de bandes médicales plâtrées et de plafonds. De son côté, le centre Okapi Hi-Tech a exposé son robot espion. C’est un engin mobile autonome capable d’espionner les zones hostiles à l’homme et lui renvoyer en temps et en heure les données, avec des applications dans les domaines de la recherche géologique, de la sécurité et de l’hydrographie. Mais le jeune inventeur peine à trouver des financements pour commercialiser et faire connaître son produit à des usagers potentiels à travers le monde. Tel est le cas du moulin manuel « Wakasa » du « Groupe de recherche de résolution des problèmes socio-économiques des mamans ménagères » avec son moulin manuel confronté à l’indifférence des responsables. Ce moulin est capable de moudre deux sacs de manioc par heure, d’après l’un des inventeurs, Godé Khonde. C’est une solution à la corvée physique imposée aux femmes en milieu rural où l’électricité est inconnue.
Des contraintes
La plupart des chercheurs se plaignent du manque de moyens et d’institutions d’appui à la recherche. L’état, qui est incapable de trouver de l’argent pour la vraie recherche utilise l’essentiel de son maigre budget au simple payement des salaires de son personnel. Même cette exposition, qui se veut comme un forum d’échanges entre professionnels de la recherche, est financée par les étudiants eux-mêmes à qui l’Etat impose une quotité de 5 dollars prélevés sur tout payement de frais académiques, explique un membre du comité d’organisation. Il se plaint au passage d’une mauvaise utilisation de cette ressource estimée à 2 millions de dollars chaque année, si l’on s’en tient aux statistiques fournies par le département des études et planification du ministère de l’Enseignement supérieur, universitaire et de la Recherche scientifique, qui font état d’un total de 437 527 étudiants, public et privé confondus. Plusieurs voix encore discrètes souhaitent un audit financier pour connaître le vrai usage de cette retenue et réclament plus de professionnalisme dans le management d’un événement annuel qui peut être aussi un carrefour de rencontres entre chercheurs congolais et investisseurs nationaux ou étrangers, susceptibles d’acheter les inventions pour les mettre à la portée de la population.
INFO BOX
- L’Expo Esures a été instaurée en 2009 par l’ancien ministre Mashako Mamba.
- La RDC compte 764 établissements d’enseignement supérieur et universitaire dont 379 publics et 385 privés.
- La population estudiantine est estimée à 437 527 étudiants.
- 16 017 personnes constituent le personnel scientifique.