Après avoir reconnu la sous-estimation de la quantité de barils déversée, en 2008, dans la zone de Bodo, le géant pétrolier anglo-néerlandais risque un nouveau procès en justice et peut dédommager au prix fort les populations touchées.
Quatre ans après les déversements d’hydrocarbures à Bodo, dans le Sud du Nigeria, la compagnie Shell a avoué, le 13 novembre, que la pollution causée par deux fuites de pétrole en 2008, dans le delta du fleuve Niger, avait été plus importante que prévu. La filiale de Shell au Nigeria avait, à l’époque, avancé le chiffre de 4 144 barils déversés alors que l’ONG britannique Amnesty International parle plutôt de plus de 100 000 barils et les experts cités par les plaignants évoquent l’équivalent de 500 000 à 600 000 barils sur 6 000 hectares. « Nous acceptons que le volume total de pétrole déversé après les deux fuites ait dépassé les estimations », a reconnu Shell Petroleum Development Company (SPDC), filiale de Shell au Nigeria. Les documents judiciaires rendus publics par Amnesty International, le 13 novembre, révèlent aussi que l’entreprise a menti à plusieurs reprises à propos de l’ampleur et de l’impact des deux grands déversements d’hydrocarbures survenus à Bodo, afin de limiter le montant des dédommagements à verser aux populations. Ces documents montrent en même temps que Shell savait depuis des années que ses oléoducs dans le delta du Niger étaient vieux et défectueux. Cela signifie pour cette ONG que, si d’autres déversements similaires ont été minimisés de la même manière, des centaines de milliers de personnes pourraient avoir été privées d’indemnisation ou avoir touché des indemnisations insuffisantes.
Yves Prigent, responsable d’Amnesty International en France pour la campagne Pauvreté et Droits humains, s’est félicité de cet aveu et s’attend à des conséquences positives pour les personnes touchées : « Shell connaissait le volume des déversements qui ont généré ces pollutions-là et a menti en disant que c’était beaucoup moins. Shell savait aussi que les dommages étaient liés à un défaut d’entretien des canalisations de l’oléoduc et a également menti à plusieurs reprises en affirmant que c’était le résultat de sabotages. Il est fort probable que ces aveux pèsent dans la suite de la procédure judiciaire qui est en cours ».
Les populations de Bodo, dans le territoire d’Ogoni, vivent essentiellement de l’agriculture et de la pêche. Beaucoup de personnes sont aujourd’hui privées de leurs sources de revenus dans un environnement pollué et qui menace leur santé. « Le fait que Shell ait sous-estimé les déversements de Bodo, qui a été prouvé de manière irréfutable dans le cadre d’une action en justice lancée au Royaume-Uni par 15 000 personnes, dont les moyens de subsistance ont été dévastés par la pollution aux hydrocarbures en 2008. Dans le cadre de cette action en justice, la compagnie Shell a été contrainte d’avouer qu’elle avait minimisé la véritable ampleur d’au moins deux déversements et l’étendue des dégâts provoqués », peut-on lire dans le communiqué d’Amnesty International. Pour l’ONG, ce géant pétrolier a fait preuve de négligence. « Amnesty International est convaincue que Shell était au courant que les données concernant Bodo étaient fausses. Sinon, c’est qu’elle a fait preuve d’une négligence scandaleuse, puisque nous lui avons donné à maintes reprises des preuves montrant qu’elle avait fortement sous-estimé les déversements », a déclaré Audrey Gaughran, directrice du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.
Des preuves…
La filiale avait reconnu, en 2011, sa responsabilité pour les fuites, tout en contestant les chiffres avancés par le cabinet d’avocats londonien Leigh Day, qui représente les victimes. La société estime qu’une grande partie du pétrole répandu provient de tentatives pour en pomper illégalement sur les oléoducs. Les victimes ont rejeté, en 2013, la proposition d’indemnisation de Shell qu’ils ont qualifiée de « dérisoire », ouvrant ainsi la voie à un procès. Toujours dans le cadre de l’indemnisation, un montant de 7,5 milliards de nairas (35 millions d’euros, 46 millions de dollars) avait été proposé aux victimes à l’époque. Si l’on soustrait une somme forfaitaire devant être versée à la communauté, chaque villageois aurait touché environ 275 000 nairas (1 300 euros, 1 700 dollars).
Pour éclairer davantage la situation, Shell a demandé une nouvelle expertise pour évaluer l’impact sur l’environnement et les quantités de pétrole déversées. Mais l’entreprise met en doute les chiffres avancés par Amnesty International. Ainsi, l’ONG a fourni à Shell des photos, des images satellites et des vidéos prouvant que les données figurant dans les rapports JIV des experts de Shell sur Bodo étaient fausses. Mais le pétrolier a continué de défendre ses chiffres. A titre d’exemple, dans une lettre adressée au quotidien britannique Financial Times, en mars 2012, le directeur général de Shell Nigeria avait « reconnu sa responsabilité dans deux déversements d’environ 4 000 barils au total, provoqués par des défaillances opérationnelles ». Répondant précisément à des éléments de preuve publiés par Amnesty International en 2012, qui montraient que le premier déversement de Bodo avait été sous-évalué, Shell a répliqué au journal britannique The Guardian que « la procédure (JIV) a été utilisée à propos des deux déversements en question, et nous maintenons nos conclusions.»