Alors que les prix du baril ont chuté, rien ne bouge à la pompe. Ce qui suscite des interrogations de la part des consommateurs.
Avec 111 dollars le prix du baril de pétrole en juillet et plus de 30 % de perte de valeur en deux mois de chute progressive, le gouvernement a été contraint de réajuster le prix du litre à la pompe, suite à la pression des pétroliers qui menaçaient d’assécher les stations services sous prétexte d’avoir du mal à assurer normalement les approvisionnements sur le marché international où le pétrole coûte de plus en plus cher.
C’est ainsi que le prix du carburant à la pompe était passé de 1400 francs (1,5 dollars) à 1 475 francs (1,6 dollar) dans l’Ouest du pays et de 1 525 francs (1,65 dollar ) à 1 590 francs (1,72 dollar) dans l’Est, soit une hausse de 5 %. Cette dernière hausse était elle-même précédée de celle du mois d’août 2013 dans des proportions semblables. Justifiant le phénomène, le ministère de l’Économie avait évoqué des facteurs exogènes, dont la fermeture des grandes raffineries internationales, en novembre 2013, pendant près de deux mois et la situation sécuritaire au Proche-Orient, qui avaient créé une rareté sur le marché international.
Si les valses de prix se répercutaient, chaque fois et immédiatement sur les prix à la pompe, elles seraient l’objet de perturbations sociales qu’aucun gouvernement ne serait en mesure de gérer. Le gouvernement ne peut laisser le prix du pétrole, qui est un régulateur de la vie économique et sociale, se réguler sur la base du seul principe de l’offre et de la demande
Ministère des Hydrocarbures
Cette crise, arguait-il, avait occasionné une hausse de plus de 14 % du prix moyen frontière, un des facteurs intervenant dans la fixation du prix du carburant pour les consommateurs. Aujourd’hui, note le commun des mortels, le prix du pétrole a chuté de plus de 30 % sur le marché international sans que les mêmes causes produisent les mêmes effets, c’est-à-dire la baisse du prix à la consommation.
Au ministère du Commerce extérieur, qui a la responsabilité de fixer le prix du carburant à la consommation, personne n’a voulu répondre à la question. C’est au ministère des Hydrocarbures qu’un conseiller lève un petit coin du voile. «Le prix du pétrole est une question extrêmement politique et stratégique», d’après le conseiller, qui prend part à toutes les concertations avec les pétroliers sur la fixation du prix du produit à la pompe.
Selon lui, ce prix ne dépend pas du prix du cours sur le marché international, mais plutôt de la politique du gouvernement qui peut décider de l’augmenter ou de le baisser. Lorsque le prix du baril était passé de 90 à 110 dollars sur le marché international (20 % d’augmentation), il y a plus de deux ans, se souvient-il, le prix à la pompe n’avait augmenté que de 5 %. « Personne ne se demandait d’où provenait la différence », dit-il, avant de conclure que le pétrole est généralement subventionné par beaucoup de gouvernements du monde et plus encore en République démocratique du Congo qui est parmi les pays qui, sans être producteurs, imposent un prix qui n’a jamais lésé la corporation des distributeurs du pétrole.
Dans la structure des prix, outre le coût du produit, le bénéfice des distributeurs et d’autres intervenants comme le Service des entreprises pétrolières (SEP), spécialiste en logistique pétrolière au profit des distributeurs (transport, stockage, transbordement, sécurité…), il y a des taxes et autres royalties dues à l’État sur lesquelles il joue régulièrement pour amortir le choc des augmentations imprévisibles. «Si les valses de prix du marché international se répercutaient chaque fois et immédiatement sur les prix à la pompe, elles seraient l’objet de perturbations sociales qu’aucun gouvernement ne serait en mesure de gérer. Le gouvernement congolais ne peut laisser le prix du pétrole se réguler sur la base du seul principe de l’offre et de la demande», relève un expert du ministère des Hydrocarbures.
En pareille situation, note Martin Bodo, analyste des questions pétrolières, les gouvernements prévoyants procèdent plutôt à une restructuration interne de la structure des prix, sans toucher forcément au prix à la pompe, de façon à augmenter le volume des avoirs de l’État pour se prémunir des crises à venir. Les cours du pétrole étant toujours fluctuants, les gouvernements responsables réalisent toujours des économies supplémentaires quand les temps sont favorables.
Peut mieux faire
Avec 25 000 barils par jour au large de Muanda, le potentiel pétrolier de la République démocratique du Congo serait considérable si le pays faisait preuve de plus de sérieux pour saisir toutes les opportunités. Les problèmes ont commencé vers les années 1970, lorsque Shell mit en valeur les gisements de Muanda. Le pays créa une raffinerie, la Société zaïro-italienne de raffinerie (SOZIR). Mais la nouvelle usine n’eut pas le temps de fonctionner : sa structure était incompatible avec le type de pétrole lourd produit à Muanda. Pas du tout rentable, l’usine finit par fermer.
Après son indépendance, en 1975, l’Angola décida d’étendre l’exploration et l’exploitation du pétrole dans la zone maritime frontalière avec le Zaïre. En réalité, il venait d’annexer de fait une grande partie du plateau continental zaïrois sur lequel on produit aujourd’hui plus de 600 mille barils par jour, soit le tiers de sa production actuelle qui revient de droit à la République démocratique du Congo, selon le professeur Kasongo Numbi.
Se basant sur les dispositions de la Convention de Montego Bay (qui délimitent les frontières maritimes des États côtiers), la République démocratique du Congo n’accepte plus cette situation. D’où les pourparlers entre les deux pays commencés en 2000 et qui se sont accentués depuis 2004.
Mais rien n’a jamais réellement avancé. Un expert qui suit de près le différend frontalier entre les deux États estime que le règlement de cette question en faveur du Congo conduirait immédiatement au transfert immédiat des compétences, des taxes et royalties des exploitants au pays. Les études les plus sérieuses évaluent cette manne à 10 milliards de dollars par an au bénéfice du Trésor public congolais.
En outre, les études pour la création d’une zone d’intérêt mixte, toujours entre l’Angola et le Congo, sur le plateau continental, montrent qu’elle devrait rapporter annuellement 3 milliards de dollars si les deux États exploitaient ensemble le potentiel découvert dans les eaux communes. Si l’Angola a déjà fini son montage financier, son exploitation tarde à se réaliser à cause des lenteurs de son partenaire.
Enfin, le graben Albertine est un autre cas d’école. En 2006, sur le lac Albert, aux blocs 1et 2 (du graben Albertine), la société irlandaise Tollow Oil, qui avait obtenu un permis d’exploration auprès du gouvernement, s’était vue retirer le droit de poursuivre ses activités sur ce site par le même gouvernement, sous prétexte de vice de procédure. Par un tour de passe-passe et sans appel d’offres, les mêmes blocs furent attribués à un autre opérateur, Kaprikat-Foxwelp, qui tarde à montrer les résultats de son travail. Alors que sur les blocs voisins ougandais, l’opérateur irlandais qui avait commencé le travail à la même période que son homologue du côté congolais, est sur le point d’installer des usines d’exploitation et’apprête à livrer son premier baril l’année prochaine. Sa production annuelle attendue est de 60 000 barils par jour.
J-C.B.
INFO BOX
- La consommation annuelle de carburant sur toute l’étendue de la République démocratique du Congo était de 1,15 millions de litres en 2013, selon le Groupement professionnel des distributeurs des produits pétroliers (GPDPP).
- Il existe une centaine de distributeurs des produits pétroliers, mais les majors sont essentiellement Cobil, Engen et Total.
- L’entreprise Service des entreprises pétrolières (SEP), a le monopole de la logistique pétrolière au profit des distributeurs (transport, stockage, transbordement, sécurité…). Elle dispose de bateaux, d’un charroi important de véhicules citernes, de structures de stockage sur toute l’étendue du pays, d’un réseau de pipelines reliant le port pétrolier d’Ango Ango à Matadi et Kinshasa pour transporter et stocker les produits pétroliers dans les conditions de sécurité répondant aux normes internationalement admises.