Alors que le continent attire de plus en plus d’investisseurs, en particulier asiatiques, le Brésil, considéré pourtant comme très proche, avance timidement. Même si les échanges existent, à des degrés divers.
Ces dernières années, la diplomatie brésilienne s’est montrée très offensive en Afrique. Tout semblait indiquer que le pays de Pelé avait la ferme intention de se tailler une place de choix sur le continent. Les résultats sont beaucoup plus mitigés qu’il n’y paraît. La diplomatie avance plus vite que les affaires. En prenant le cas de la République démocratique du Congo, on se rend compte que le Brésil ne s’est pas du tout intéressé au secteur minier. La coopération entre les deux pays est pourtant vieille de plus de quarante ans. Pour le moment, elle se limite au domaine de l’environnement. Un protocole d’accord a même été signé entre les deux gouvernements en 2011. Un autre a suivi l’année dernière et il porte sur la gestion forestière et la lutte contre le changement climatique.
Un geste important
Il y a dix ans, Brasilia avait un objectif : augmenter le volume du commerce bilatéral et la présence de ses entreprises en Afrique. Comparativement à la Chine qui se montre économiquement expansionniste, le pays de Dilma Rousseff est resté à la traîne. Cela serait lié à une hésitation des hommes d’affaires brésiliens, alors que leur gouvernement a ouvert plusieurs représentations diplomatiques sur le continent en vue de leur faciliter la tâche. L’ancien président Lula da Silva lui-même a eu à fouler le sol africain à douze reprises. En 2013, à l’occasion du cinquantenaire de l’Union africaine (UA), le Brésil a posé un geste remarquable en annulant 900 millions de dollars de dettes de 12 pays africains. Entre autres bénéficiaires de cette bouée de sauvetage la Côte d’Ivoire, le Congo-Brazzaville, la République démocratique du Congo, le Gabon, la Guinée… Retour d’ascenseur, le continent a soutenu le candidat brésilien Roberto Azevêdo, qui a été élu à la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Situation paradoxale
Entre les déclarations d’intention et la réalité, il existe bien un grand fossé. C’est par exemple le fait que, en 2012, le commerce entre le Brésil et l’Afrique n‘atteignait que 27, 6 milliards de dollars, alors que le volume des échanges entre la Chine et le continent est de l’ordre de 198, 5 milliards de dollars. Toutefois, si les investissements du Brésil ne sont pas très importants en Afrique, ils sont concentrés au Nigeria, en Afrique du Sud, en Algérie et en Égypte, en plus des pays lusophones. Au moment où les Asiatiques confortent leur présence, les hommes d’affaires brésiliens en sont encore à apprendre à connaître le continent.
Inversion de la tendance ?
Malgré la timidité des relations économiques, le monde des affaires semble s’éveiller. C’est dans ce cadre qu’il faut placer le forum organisé, les 9 et 10 décembre, à Rio de Janeiro, par les cabinets d’avocats français Jeantet et le brésilien Vieira Rezende. Le fait qu’il ait eu lieu au siège de la Fédération des industries de l’État de Rio, auquel s’est associé celui de São Paulo, avec le soutien d’Ecobank et du groupe français Bolloré, n’est pas anodin. La soixantaine de chefs d’entreprises présents ont planché sur des thèmes comme comment procéder pour faire connaître l’Afrique au monde des affaires brésiliens; quels sont les avantages à en tirer. En un mot, convaincre les entrepreneurs du pays que l’Afrique vaut bien un détour. Il s’est avéré que le continent est encore une grande inconnue. Comme l’a souligné Roberto Fendt, ancien conseiller du président angolais José Eduardo dos Santos et directeur du Centre brésilien des relations internationales, « en dépit de la proximité géographique, culturelle, agricole, et même sédimentaire pour le pétrole et les mines, investir en Afrique n’est pas un réflexe pour les entreprises brésiliennes.» Même constat pour Paulo Vieira, du cabinet Vieira Rezende, qui a relevé qu’ « il reste difficile de prendre un avion pour l’Afrique depuis Rio ou São Paulo, les flux financiers circulent encore mal entre nos deux zones. Et il y a une incompréhension mutuelle de nos contextes économiques et sociaux. »
D’autres observateurs, à l’instar de Nina Shapiro, ancienne vice-présidente de la Société financière internationale (IFC), une filiale de la Banque mondiale, pensent que les hommes d’affaires brésiliens, à cause de leur appartenance à un pays immense, sont tellement nombrilistes qu’ils ne cherchent pas à voir ce qui se passe ailleurs, en l’occurrence les opportunités qu’offre l’Afrique. « Les entreprises brésiliennes y ont pourtant des avantages comparatifs décisifs, notamment dans les services pétroliers, la logistique et la construction. Et pas seulement dans la zone lusophone où ils ont tendance à se cantonner », insiste-t-elle. Pour Ivo Fouto, patron d’AGN Agroindustrial, implanté depuis deux ans au Mozambique, « le Brésil a développé des technologies agroindustrielles utilisables dans la plupart des pays africains qui lui sont proches sur le plan du climat et des sols, notamment pour produire de l’énergie biomasse autour de plantations. »
La sécurité juridique des investissements
Parmi les autres questions abordées à Rio de Janeiro, celle du respect de la propriété intellectuelle a été évoquée, tout comme la sécurité juridique des investissements. Un participant a fait remarquer que « la protection de la propriété intellectuelle sur les semences agricoles reste fragile dans beaucoup de pays africains, ce qui explique notre prudence dans notre expansion sur le continent.» Quant à la sécurité juridique des investissements, elle a conduit Thierry Lauriol, du cabinet d’avocats Jeantet, à rassurer les Brésiliens en rappelant que la protection existe bel et bien grâce à la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA), dont le siège se trouve à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Elle était d’ailleurs représentée à Rio par un de ses juges, Namuano Dias Gomes, ancien ministre de la Justice de Guinée-Bissau.
Les Brésiliens ont-ils été convaincus ? Vu la qualité des participants à la rencontre et leur détermination à bousculer les idées reçues et à provoquer des nouvelles dynamiques, l’espoir n’est pas perdu. D’autant que le responsable des multinationales chez Ecobank, René Awambeng, a mis l’accent sur les accords entre Ecobank et le sud-africain Nedbank, son partenaire, avec Banco do Brasil, BTG Pactual, la Banque brésilienne de développement. Pour lui, « il faut multiplier des accords tels que celui noué par le Nigérian Dangote avec Andrade Guttierez, géant du BTP brésilien, pour la construction de la future méga-raffinerie de pétrole d’Ondo, un mégaprojet de 9 milliards de dollars. »
Il ne reste plus qu’une chose aux Brésiliens : faire diligence afin, si cela est possible, de rattraper le temps perdu. C’est l’avis que beaucoup ont partagé à Rio. Nina Shapiro est de ceux-là, elle qui dit : « Le géant sud-américain, qui traverse actuellement une période économique difficile, avec la dévaluation du réal, la baisse des cours du pétrole et du fer, a tout intérêt à diversifier ses investissements et ses échanges. Mais il arrive bien tard en Afrique : les Chinois, mais aussi les Indiens et les Turcs, sont plus rapides et déjà bien implantés ».