Par ces temps de crise, où joindre les deux bouts relève de l’acrobatie, il vaut mieux être propriétaire que rien du tout. Plus l’espace qu’on occupe est important plus on peut le découper en mille morceaux et le vendre à plusieurs candidats à la propriété.
« Kata kata », « Pasola », « Mbadi ». Les Kinois sont friands de formules imagées. Ces termes et d’autres sont utilisés pour parler d’un des phénomènes sociaux les plus inattendus de ces dernières armées : le morcellement par des individus de leurs propriétés afin d’arrondir les fins de mois ou de faire face à une urgence. En scène, un trio indissociable : le vendeur, l’acheteur et le commissionnaire. « En 2006, en tant qu’aîné d’une famille de six enfants, j’ai pris la décision de découper notre propriété en trois parties. Cela m’a aidé à mettre fin à la pression des membres de ma famille par rapport à un héritage cause de multiples problèmes », indique un homme qui est passé par la case morcellement. Un autre affirme qu’il a dû recourir à cette solution pour des raisons de santé « J’ai morcelé ma propriété en vue d’aller me faire soigner en Inde. Mon salaire étant insignifiant, je ne pouvais pas compter sur un emprunt bancaire », explique-t-il.
Au dire d’un commissionnaire expérimenté, le morcellement a plusieurs avantages pour les deux parties car il permet d’alléger le coût de l’achat pour ceux qui veulent accéder à la propriété tout en ayant des moyens financiers modestes. Pour les commissionnaires, c’est une aubaine car le taux de leur rémunération est de 5 % à chaque vente. Le système contribue, par ailleurs, à réduire la durée de l’offre sur le marché. Le commissionnaire poursuit : « Dans la commune de Bandalungwa, il est actuellement difficile de vendre une propriété à 150 000 dollars ou plus endéans un mois, à cause d’un contexte socioéconomique défavorable. Raison pour laquelle, je peux conseiller au vendeur de procéder au morcellement en l’aidant à choisir les différentes mesures de l’espace à vendre qu’il va marquer soit à l’aide d’un morceau de bois planté dans le sol ou par une marque de craie ou de braise au mur. Là, nous pouvons peut-être avoir quatre morceaux à 30 000, 35 000, 45 000, 60 000 dollars, qu’elles soient inégales ou pas, à condition qu’elles puissent rapporter plus que la somme escomptée dans un délai très bref. C’est très bénéfique pour nous parce que nous gagnons plus qu’en cas de vente d’une propriété intégrale. »
Au service d’Urbanisme et de l’Habitat de la commune de Bandalungwa un responsable indique que « le texte spécifique en matière de morcellement n’existe pas encore. Cependant, la loi relative à la vente et à l’achat de terrains, parcelles et autres espaces est toujours d’application. Les mêmes formalités administratives s’appliquent pour toutes sortes de ventes. » Il arrive très souvent qu’une vente par morcellement soit à l’origine de conflits inextricables. Le plus exposé reste le vendeur qui, ne maîtrisant pas forcément les rouages du secteur de l’immobilier, se laisse gagner par le goût du lucre et toutes sortes de sollicitations. Normalement, « le service du cadastre doit être informé de la situation afin d’envoyer ses experts pour procéder au morcellement avec des mesures correctes moyennant un coût. Mais les vendeurs ne tiennent même pas compte de cette expertise et refusent de payer ce service. Ironie du sort, ils sont les premiers à comparaître devant les tribunaux », explique un responsable du service d’Urbanisme et de l’Habitat.
En dehors de cela « kata kata » entraîne très souvent des problèmes liés aux murs mitoyens ; d’eau avec la séparation des robinets ; d’électricité ; d’installations sanitaires… Le vendeur qui n’a pas les moyens de disposer de ses propres installations est condamné chaque jour à utiliser celles des autres. Ce qui n’est toujours pas vu d’un bon œil. En dehors de ces conséquences sur le plan social, il se pose des problèmes de promiscuité ou de surpeuplement. Un espace qui, avant, comptait dix à quinze personnes, doit désormais abriter plus de trente personnes.
La problématique de la détention du livret de logeur ou certificat d’enregistrement hante les esprits dans ce système de vente morcelée de propriétés. À qui doit-on remettre ce document officiel lorsque la propriété a été vendue à trois ou quatre personnes ? À cette importante question, un commissionnaire précise que c’est le premier acheteur qui a le droit de le détenir, quelle que soit la taille ou le prix d’achat de son « morceau ». La seule chose à faire sera d’aller changer le nom et de donner quelques informations supplémentaires. Quant aux autres propriétaires, ils doivent amorcer des démarches auprès des services du cadastre et des affaires foncières pour recevoir un nouveau certificat d’enregistrement qui a la même valeur qu’un livret de logeur.